Danser à la Lughnasa de Brian Friel, mise en scène de Gaëlle Bourgeois

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Danser à la Lughnasa, texte français d’Alain Delahaye, mis en scène de Gaëlle Bourgeois

Brian Friel (1929-2015) a eu une longue carrière d’écrivain (1929-2015). Cette pièce devenue culte,  créée à Dublin (1990)  puis à New York, puis  en France, notamment dans la mise en scène de Didier Long, il y a quelques années avec Lena Breban, Alexandre Zambeaux et Lou de Lâage…

Cela se passe à l’été 1936 à Ballybeg, un village irlandais. Il y a un narrateur Michael Evans qui se souvient -il avait sept ans- avoir passé un mois d’août dans la maison de ses tantes. Les cinq sœurs, toutes célibataires: Kate, Maggie, Agnès, Rosie et Christina Mundy habitent une grande maison à la périphérie de la petite ville.  Kate, la plus âgée, est institutrice: ce qui n’est pas rien dans ce monde rural pauvre car même sans doute peu payée, elle est la seule à rapporter  un vrai salaire à la maison. Agnès et Rose, elles, gagnent un peu d’argent en se fatiguant à tricoter des gants qui seront vendus en ville. Maggie, elle, s’occupe de la maison, mais, comme Christina qui élève seule son enfant Michael, elle ne gagne rien. De temps en temps mais rarement et sans jamais prévenir, apparaît Gerry, le père de Michael, une sorte de vagabond charmant, soi-disant spécialiste et vendeur de postes de radio, en fait un doux rêveur fauché promettant sans cesse des cadeaux qu’il ne fera jamais… Il a déjà une femme et des enfants au Pays de Galles mais pas gêné, propose le mariage à Christina et lui annonce qu’il va s’engager dans les Brigades Internationales en Espagne pour lutter contre Franco…

Il y aussi dans cette curieuse tribu féminine, l’oncle Jack, de retour en Irlande, après avoir été prêtre vingt-cinq ans en Ouganda dans une léproserie. Un peu déboussolé, il repense souvent aux habitants de ce pays devenu le sien mais il a des crises de paludisme et peine à se souvenir du prénom de ses nièces. Michael, lui, découvre que ce monde rural déjà fragile va s’écrouler, quand arrivera la révolution industrielle et que ses tantes et sa mère à la fois solides ne sont pas aimées dans ce village et qu’elles n’ont aucun espoir de trouver un jour une vie meilleure… Nourriture très chiche, aucune vie sexuelle ou sentimentale, aucune distraction que la musique d’un poste de radio un peu détraqué, mais un trésor familial… Reste la danse près du vieux poste ou mieux à la Lughnasa, la fête annuelle du village. « Danser comme si le cœur même de la vie et toutes ses espérances étaient contenus dans ces notes apaisantes et ces rythmes chuchotés, ces mouvements silencieux et hypnotiques. » Bref, elles survivent comme elles peuvent avec un courage indéniable mais Kate va perdre son poste d’enseignante: le début de la catastrophe pour cette famille et une fabrique industrielle de gants s’est ouverte: une  autre catastrophe car Agnès et Rose ne pourront plus gagner le peu d’argent qu’elles tiraient de leur tricotage… On ne verra pas la fin, juste racontée avec pudeur et tristesse, de cette époque et d’une  tribu qui, malgré la disparition des parents et les épreuves, était restée à jamais soudée. Mais Maggie et Rose finiront par quitter la maison…

On sent que Gaëlle Bourgeois a une passion pour cette formidable pièce et elle dirige bien ses acteurs qui sont tous crédibles. Mention spéciale à Emilie Chesnais, très solide et très juste dans le rôle pas facile de Maggie… Mieux vaut oublier la scénographie approximative en cercle avec des objets et outils de la vie rurale : une brouette en bois, des bassines en zinc, quelque chaises et une couche de granulés marron sans doute pour figurer la terre. Cela ne favorise en rien le déplacement des acteurs. Et le rythme gagnerait à être plus rapide mais bon, Gaëlle Bourgeois sait rendre avec intelligence et sensibilité toute la poésie de Brian Friel. Et elle peut encore améliorer les choses. En tout cas, une bonne occasion de pénétrer dans l’univers du dramaturge irlandais auquel on ne peut être insensible… Du vrai et bon théâtre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 octobre, Théâtre 13/Jardin, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème). T:  01 45 88 16 30. 
La pièce est publiée en anglais aux éditions Faber and Faber et en français à l’Avant-Scène Théâtre Editions Quatre Vents.

 

 


Archive pour 30 septembre, 2019

L’Île des Esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey

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L’Île des Esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey

Cette comédie en un acte a été créé en 1725 à l’Hôtel de Bourgogne par les Comédiens Italiens, il y a donc juste trois siècles. Sur le thème inusable de la confusion des sentiments et du renversement de rôles entre serviteurs et maîtres qui, à la fin, reprendront le pouvoir… L’expérience et la fête sont donc bien finies et ce retour à l’ordre établi, même modifié, était inéluctable, semble nous dire Marivaux. Trivelin, le chef de l’île et représentant de la Loi, donc chargé de réprimer les abus de pouvoir, a fait le travail. Rideau.

Cette fable à l’intrigue des plus simples, reprend le thème du naufrage, souvent utilisé au théâtre et celui du reversement des rôles : Iphicrate, un général athénien assez arrogant et son serviteur Arlequin ont vu leur bateau se casser contre un rocher et semblent être les seuls survivants. Iphicrate veut aller à leur recherche mais Arlequin a compris qu’ils étaient sur une île où les esclaves deviennent maîtres et les maîtres, esclaves… Il décide donc de n’être plus celui de son maître. Mais le vaniteux et coléreux Iphicrate, a du mal avec sa nouvelle identité et menace Arlequin. Trivelin, ancien esclave et gouverneur de l’île, désarme alors Iphicrate et lui ordonne comme à Arlequin, de changer de nom et donc d’identité. Arlequin s’appellera Iphicrate qui lui, deviendra Arlequin.  Et, dit Trivelin, ici, c’est la loi: quand un maître arrive ici avec son esclave, le maître devient l’esclave et l’esclave, son maître.

Arlequin et Iphicrate vont très vite rencontrer Cléanthis et la belle Euphrosine (en grec ancien: de bonne humeur». Cette grande bourgeoise athénienne et Cléanthis, son esclave, sont dans la même situation. Arlequin propose alors à Cléanthis de tomber amoureuse d’Iphicrate dont il lui dit beaucoup de bien. Et lui, ira séduire Euphrosine mais elle s’en moque. Arlequin arrive devant Euphrosine: échec: Mais elle retournera la situation et dominera Arlequin qui ordonne à Iphicrate d’aimer Euphrosine, l’ex-Cléanthis. Mais Iphicrate essaye d’apitoyer Arlequin  qui ne se laisse pas influencer. Arlequin pardonnera à Iphicrate, renoncera à son récent et brillant statut de maître… et remettra sa livrée de domestique. Et Iphicrate, son beau costume.
Moralité amère : Arlequin a été assez malin pour voir qu’il n’était pas fait pour être maître : «Je ne te ressemble pas, moi, je n’aurais point le courage d’être heureux à tes dépens.» Iphicrate dit à Arlequin qu’il a bien compris les choses, qu’il lui en sera reconnaissant et lui demande même d’oublier qu’il a été son esclave. Arlequin invite Cléanthis à faire la  même chose. Mais Euphrosine essaye de profiter de la situation, ce qui provoque la colère de Cléanthis qui a envie de se venger : pour elle, riches et nobles avec leur argent sont méprisants et incapables de pardonner et d’ «avoir le cœur bon, de la vertu et de la raison. » Il y a dans cette tirade, quelque chose du Mariage de Figaro, quelque cinquante ans avant la célèbre pièce de Beaumarchais…

Arlequin dit alors à Cléanthis que le pardon ne va pas sans générosité et que mieux vaut oublier le passé, si on veut préserver le présent. Iphicrate, lui, corrigera son orgueil et sa barbarie. Et Euphrosine avoue avoir abusé de son autorité sur Cléanthis qui lui rend alors sa liberté. Elle l’embrasse et lui propose de partager sa fortune.

Cléanthis et Arlequin ont choisi noblement le pardon, et non la vengeance, quand ils sont devenus les maîtres : «La différence des conditions n’est qu’une épreuve que les Dieux font sur nous. » Trivelin annoncera ensuite au quatuor une bonne nouvelle: un bateau va bientôt les reconduire à Athènes. Il y a de la commedia delle’arte dans l’air avec le personnage traditionnel d’Arlequin très présent sur scène mais aussi avec Trivelin, gouverneur de l’île, qui a aussi été un esclave, donc bien placé pour jouer le rôle de conciliateur entre esclaves et maîtres… Jacques Vincey metteur en scène d’expérience (voir Le Théâtre du Blog) avait déjà  mis en scène La Dispute qu’il avait découverte dans la fameuse réalisation de Patrice Chéreau. Et il s’attaque à cette autre courte pièce de  Marivaux avec cinq jeunes comédiens de l’ensemble artistique du Centre National Dramatique de Tours. Blanche Adilon: Euphrosine, Thomas Christin: Arlequin, Mikaël Grédé: Iphicrate, Charlotte Ngandeu: Trivelin, Diane Pasquet : Cléanthis. Avec un prologue écrit par le metteur en scène et,  après la pièce, une sorte de petite performance conçue par les jeunes acteurs.

La pièce est une invitation à nous interroger sur le problème de l’esclavage et/ou de la domination. Dans la droite ligne de La Boétie, cette piqûre de rappel signé Marivaux n’est jamais un luxe, même à notre époque qui se veut moderne… « Avec deux mises en scène, dit Jacques Vincey, en février dernier une version foraine jouée en itinérance  dans les collèges, salles des fêtes, centres sociaux, prisons…  pour nous rapprocher des publics éloignés des théâtres. Et ici, à Tours, dans une version salle, avec une frontalité qui nous oblige à réinventer un rapport au public. »

Sur le plateau, dans un noir presque complet, la voix en off de Jacques Vincey dans un prologue où il explique -sans doute un peu trop- ses intentions. Puis apparaissent Iphicrate et Arlequin,  après le naufrage de leur bateau. On entend le bruit de la mer et ils sont engloutis par une marée blanche qui tombe des cintres. Très impressionnant: c’est juste de la bourre pour oreillers… Une formidable et belle image signée Mathieu Lorry-Dupuy mais cette marée blanche a l’inconvénient d’avoir une trop grande présence qui noie ensuite parfois le jeu des acteurs.

Jacques Vincey réussit à poser avec Marivaux une question très actuelle et socio-politique: comment accepter un autre mode d’existence… Celui que nous offrons actuellement au quotidien bon gré mal gré aux femmes et hommes arrivés en Europe qui subissent notre domination. Et si nous étions à leur place et si on inversait les rôles, comment réagirions-nous? Allez, chiche, on essaye: une énarque née dans un des « beaux » arrondissements parisiens et un ouvrier de haut-fourneau, gilet jaune de surcroît, une jeune fille de la haute bourgeoisie franco-américaine et un jeune du même âge mais issu de l’émigration comme on dit, et habitant les quartiers Nord de Marseille. C’est tout cela que dit déjà très bien, dans cette courte pièce, le grand Marivaux.

Cette Île des Esclaves a déjà été rodée et cela se voit: les jeunes comédiens, bien dirigés, n’ont aucune difficulté avec ce texte pas si commode à interpréter et leurs personnages sont encore parfois fragiles et il y a quelques longueurs. On retiendra surtout Thomas Christin en Arlequin; encore très jeune, il possède de la graine de très bon comédien et Charlotte Ngandeu en Trivelin, à la diction et à la gestuelle impeccables: en pantalon et habit queue de pie blancs, elle a vraiment une sacrée présence. La mise en scène comme la direction d’acteurs  de Jacques Vincey sont d’une honnêteté scrupuleuse et il n’y ici aucun effet facile. L’épilogue sous forme de performance et qui est l’œuvre des acteurs où chacun d’eux se présente, est souvent drôle et Charlotte Ngandeu dit simplement avec un bel humour: « J’ai assez parlé et je n’ai rien à dire!  » Mais il faudrait resserrer ce dernière séquence qui s’étire un peu…

Philippe du Vignal

Centre Dramatique National de Tours,  jusqu’au 5 octobre, et du 23 au 31 janvier.

Les 17  18 octobre, à Amboise. 

Du 5  au  9 novembre au Centre Dramatique National de Normandie-Vire. Les  13  et 14 novembre, L’Avant-Seine-Théâtre de Colombes.

Le 19 novembre, Ma-Scène Nationale-Pays de Montbéliard (Doubs); le 22 novembre, L’Entracte-Scène conventionnée de Sablé( Sarthe).  Le 26 novembre, Théâtre de Chartres; le 29 novembre à L’Echalier, Saint-Agil.

Du 3 au  5 décembre, Théâtre de Thouars.  Du 17 au 20 décembre, Théâtre de Sénart-Scène Nationale.

Le 12 mars  aux 3 T-Scène conventionnée de Châtellerault; le 19 mars, Théâtre du Cloître-Scène conventionnée de Bellac (Corrèze).

Du 1er au 3 avril, Théâtre de Sénart-Scène Nationale.  Le 8 avril , Théâtre d’Orléans ( Loiret).

 Et du 4 au  5 mai, Scène Nationale d’Aubusson (Creuse).

 

 

La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, mise en scène de Lilo Baur

©BRIGITTE ENGUERAND / DIVERGENCE - IMAGES

©BRIGITTE ENGUERAND / DIVERGENCE – IMAGES

 

La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, mise en scène de Lilo Baur

Cinquième réalisation à la Comédie-Française de cette metteuse en scène (voir Le Théâtre du Blog), avec cette pièce créée en 1907 qui n’y avait pas été montée depuis plus de quarante ans. Situations burlesques, quiproquos en chaîne et un formidable personnage de sosie sur lequel est fondée l’intrigue. La Puce à l’oreille n’est sans doute pas la meilleure de son auteur mais elle est bien construite et il en avait rédigé avec le plus grand soin les didascalies. Georges Feydeau insiste en particulier sur le fonctionnement du mécanisme du double lit tournant qui permet d’évacuer dans une autre chambre d’un hôtel douteux, un couple dit illégitime. Et il décrit avec soin tous les accessoires, leur disposition comme l’aurait fait le peintre qu’il aurait sans doute aimé être, et même les déplacements des acteurs  qu’il avait aussi dirigés.

Lilo Baur a ignoré ces didascalies et elle a bien fait de donner un coup de jeune au cadre, en situant l’intrigue en  1960 à la montagne, à Noël, dans le bel appartement d’un chalet à la montagne. Murs en lattes de bois, grand feu dans la cheminée en pierre claire, canapé vert cru trois places, table basse, fauteuils au design nordique, téléphone blanc à cadran, horloge coucou, etc. «J’avais envie, dit-elle, d’un intérieur bourgeois avec une grande baie vitrée à travers laquelle on voit la neige. Un contraste entre le calme à l’extérieur et l’hystérie dans l’appartement. Enfin, Noël est propice aux stimulations du bien-être de l’âme, c’est le moment de l’année où il est question de chaleur et de rapprochement. Cela correspond parfaitement à l’ambiance et à la raison d’être de l’hôtel du Minet-Galant.» Ce même décor se transforme en effet et en quelques minutes, en hôtel avec escalier, hall de réception avec grand arbre de Noël et à cour, la chambre… Une scénographie très réaliste des plus remarquables et pleine d’humour, signée Andrew D. Edwards, comme le sont aussi les tailleurs avec jupe longue très serrée et les costumes trois pièces de bonne coupe mais un peu ternes des années 60 imaginés par Agnès Falque.

L’histoire est volontairement compliquée comme toujours chez Georges Feydeau, sauf dans ses dernières petites pièces et il a un malin plaisir à rendre inextricables les situations où il a fourré ses personnages. Loin d’être idiots, ils ont le plus grand mal à gérer la situation… ingérable où ils se sont mis eux-mêmes. La Puce à l’oreille comme est fondée sur une une précision mécanique de l’intrigue, ce qui n’est pas incompatible avec le comique génial de Feydeau. Et les répliques sont souvent sublimes, du genre: «Je t’ai quitté Lucienne Vicard, je te retrouve Lucienne d’Homenidès de Histangua ; ton nom a pu s’allonger, ton cœur est resté le même. » Et il y a une phrase étonnante d’une «morale délicieuse», quand il fait dire à Raymonde Chandebise : «Je veux bien encore le tromper, lui. Mais qu’il me trompe, lui ! Ah ! non ! çà, cela me dépasse. » Pas si loin finalement de Marivaux… et comme lui, bon connaisseur de la langue française. Et il ne se prive donc pas de jouer sur les mots comme le fera ensuite Sacha Guitry : «L’amour et l’amour propre, ça ne va pas ensemble… Si même il y en un qui s’appelle propre, c’est pour le distinguer de l’autre qui ne l’est pas.”

Il y a quinze personnages dont le neveu de M. Chandebise qui a un grave défaut d’élocution : il ne peut prononcer que les voyelles dès qu’il ouvre la bouche (très bon Jean Chevalier qui joue les pas très malins avec virtuosité). Bien entendu, les malentendus et quiproquos pleuvent et nous sommes toujours en avance sur la situation: le principal fondement d’un comique qui a fait ses preuves. Raymonde (Anna Cervinka) ouvre «par mégarde, en inspectant son courrier” -tout le comique de Feydeau est déjà là- un paquet envoyé à Victor-Emmanuel Chandebise, son mari, un assureur des plus bourgeois, par la direction de l’hôtel du Minet-Galant à Montretout. Dans le paquet, une paire de bretelles et Raymonde se persuade alors qu’il la trompe… En effet, comme elle le dit à son amie d’enfance Lucienne (Pauline Clément), il n’est pas sexuellement très en forme ces derniers temps… Elle lui demande alors d’écrire une lettre donnant rendez-vous à Victor-Emmanuel dans ce même hôtel pour le piéger. Mais, écrite de la main de Lucienne, cette lettre tombe dans celles de son mari, Carlos de Homenidès de Histangua (Jérémy Lopez) qui voit rouge. Jaloux et fou de colère, il a quelque chose d’un général d’Amérique latine, comme on les caricature dans les vaudevilles et il veut aussitôt provoquer en duel Victor-Emmanuel…

Raymonde va donc essayer d’aller surprendre son mari mais tombera, dans la chambre réservée, sur Tournel, un vieil ami de son mari qui la drague depuis quelque temps et qui est très, très entreprenant… Paniquée, elle appuie alors sur un bouton d’appel mais catastrophe, la paroi du lit tourne  (Tournel/tourne: logique! ) et elle se retrouve, dans le  texte original de Feydeau, avec Baptistin. En fait ici, de rebondissement en rebondissement, tout va très vite se détraquer dans cet endroit douteux  “où il ne vient que des gens mariés,  comme le prétend Augustin Ferraillon, le directeur de l’hôtel (Thierry Hancisse). » (…) Et Georges Feydeau lui fait préciser avec humour: «Ils ne sont que davantage, puisqu’ils le sont chacun de leur côté.»  Il y a là aussi une pittoresque galerie de personnages: le docteur Finache, un ami de Victor-Emmanuel et  dragueur impénitent qui se vante d’y emmener ses nombreuses conquêtes, une bonne à tout faire mais aussi Olympe, l’épouse de M. Ferraillon et  ex-prostituée, M. Rugby, un client anglais original… Et surtout Poche, le valet alcoolo,  sosie parfait de M. Chandebise ! Ce qui va semer une suite de quiproquos et donc une belle pagaille dans ce petit monde qui se retrouve là, sur l’unique décision de l’auteur.

Le sosie, vieux truc théâtral invraisemblable mais qui marche à tous les coups  et permet aussi  à un acteur de recevoir, cadeau royal, un double rôle où excelle Serge Bagdassarian qui réussit à passer de l’un à l’autre avec virtuosité. On vous épargnera les méandres de cette intrigue compliquée et burlesque à souhait où les personnages, tous  réunis dans l’appartement, continueront à se disputer et à s’injurier. Il y verront enfin plus clair quand; à l’extrême fin de la pièce, ils apprendront que Poche a un parfait sosie en la personne de Victor-Emmanuel Chandebise, à qui Augustin Ferraillon vient de botter sérieusement les fesses, puisqu’il le croit son valet  …

Côté mise en scène, Lilo Baur a essayé de rendre les choses simples avec un spectacle précis où l’acteur est roi. Il y a de nombreux gags faciles… et pas toujours très réussis. Avec treize comédiens et quatre élèves de l’académie de la Comédie-Française. Mais ces personnages très caricaturaux sont proches de ceux d’une bande dessinée et  Lilo Baur n’a pas vraiment réussi son coup. On est d’abord fasciné par la scénographie mais le rythme de la mise en scène est un peu lent et la distribution inégale… Les acteurs expérimentés de la troupe s’en sortent bien, les autres moins et il n’y a guère d’unité de jeu. Et la metteuse en scène semble avoir eu du mal à régler correctement le deuxième acte à l’hôtel du Minet Galant où, mises à part les scènes entre Ferraillon et Poche, le compte n’y est pas tout à fait et la direction d’acteurs reste assez approximative. En revanche, Lilo Baur maîtrise  mieux le troisième et dernier acte dans le chalet et où il y a enfin un vrai rythme et où les personnages sont plus ciselés.

Quant au public, il semblait ce soir-là partagé : près de nous, une jeune femme riait tout le temps mais un couple d’une cinquantaine d’année, pas du tout. En tout cas, il y eut de nombreux rappels. Alors à voir? Oui, si vous n’êtes pas très difficile mais on a vu Feydeau mieux traité, en particulier par Jérôme Deschamps sur ce même plateau avec Le Fil à la patte. Et que peut donner dans une salle de cinéma, une représentation filmée en direct aux dates ci-dessous?  A suivre… mais on a le droit d’être sceptique.

 Philippe du Vignal

En alternance, jusqu’au 23 février, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette, Paris (I er).
Transmission en direct, le jeudi 17 octobre à 20 h 15 et les 11 novembre et 1er décembre à 17 h; le 12 novembre à 20 h dans quelque deux cent cinémas en France. Infos et réservations :https://www.pathelive.com/programme/comedie-francaise-19-20 

Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell

Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell

Crédit photo : Willy Vainqueur.

Crédit photo : Willy Vainqueur.

 L’Ecole des Actes à Aubervilliers est un des rares endroits où des jeunes peuvent se rencontrer. Dans les quartiers de pauvreté, les immigrants cherchent de nouveaux lieux où pouvoir vivre et dormir, comme des artistes et des intellectuels. Et ces rencontres se font avec la pratique du théâtre, l’acquisition de la langue française et des échanges à partir d’expériences personnelles. Avec des hypothèses sur les questions géo et socio-politiques, Dévoile révèle des identités non exprimées et donc rentrées.

 « Au départ, il y a une douleur dans ton cœur. Tu cherches ce jour où tu pourras le dévoiler. Tu es le seul qui puisse dire cette chose, où elle se trouve, et qu’en effet elle existe. Tu arrives. Et maintenant te voilà ici.» Soit l’épreuve de tout migrant. L’Américain Richard Maxwell, avec sa compagnie New York City Players, a posé ses bagages au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Un premier travail d’exploration du territoire a débuté au printemps dernier et, dans un second temps, cet été. Avec une question initiale et stratégique posée aux habitants maghrébins et sub-sahariens d’Aubervilliers, soit presque la moitié de sa population. « Si on vous donnait les clés du Théâtre de la Commune, que feriez-vous de ce bâtiment ?» Cette même question a ensuite été posée aux  élèves de l’Ecole des Actes.

Des propositions sont explorées. Après le spectacle du 28 septembre, lors d’un «bord du plateau», un comédien migrant se fait entendre. Pour lui, le Théâtre  de la Commune pourrait être reconverti en logements pour que les sans-logis aient enfin un toit. Il ajoute en même temps que cet avis initial s’est affiné après l’expérience théâtrale. Or, en vue du spectacle, des histoires ont été racontées, en lien avec l’expérience vécue des interprètes, avec aussi de nombreux récits qui n’en ont plus fait qu’un seul.

 L’intrique de Dévoiler : l’histoire de Boulaye Dembele parti de Gao et quand il apparaît sur scène à la fin,  apportant un témoignage vivant de la sincérité du récit.Il dévoile sa satisfaction d’être arrivé ici, malgré la douleur de la séparation d’avec sa mère. Les interprètes jouent leur aventure migratoire depuis le pays natal, le Mali qui n’a pas été épargné par la guerre, jusqu’à la Lybie, puis à Lampedusa en Italie, puis en France.Abdramane Doucoure, Moussa Doukoure, Maxime Fofana, Kawou Marega, Abdel Kader Moussa Boudjema, Abou Sylla, Abubakary Tunkaba, ont à leurs côtés, pour la direction d’acteurs, la scénographie et la technique, Richard Maxwell, Nicholas Elliott et Sascha Van Riel.

Juste des tentures pour évoquer successivement les intérieurs modestes de la famille de Boulaye en Afrique, des paysages marins et l’immense désert de sable. Après bien des péripéties pour aller de Gao jusqu’en Lybie où il arrive, Boulaye est forcé à travailler quelque temps, avant de  reprendre enfin la mer. La mise en scène désigne un geste politique, responsable et esthétique depuis le pays d’accueil celui de nous, public de théâtre. On sait que la bonne volonté et en même temps une certaine résistance habitent les terres d’accueil.

 Le groupe de migrants prend la mer, représentatif du parcours de Boulaye, et sans Boulaye que nous ne voyons pas encore mais qui n’en est pas moins apostrophé et présent dans son invisibilité même, debout à côté de ses camarades ou assis. Les interprètes prennent la mer: ils montent ainsi dans les gradins de la salle, traversant les rangées de sièges et avançant difficilement, comme pour grimper  à bord d’une embarcation fragile et aléatoire.

 Les voilà enfin arrivés au faîte de la salle, dévoilant une autre scène, celle d’un bateau ou d’un wagon de train avec la fin de ce long voyage. Boulaye, sans papiers, est obligé de se cacher pour ne pas  rencontrer la police des frontières.  Le public, dos tourné, suit le spectacle « à l’envers » et donc forcé de trouver la position la moins inconfortable… Une mise en abyme de la situation douloureusement éprouvée par les réfugiés  et une posture inédite pour le public auquel revient l’initiative de savoir accueillir l’autre et lui témoigner sa compassion.

 En haut derrière la salle, le squat Schaeffer où trouvent refuge dans un premier temps migrants, demandeurs d’asile et de papiers, un lieu symbolique. Cet ancien supermarché récupéré et réhabilité est toujours menacé par les autorités mais est fort d’une résistance collective efficace. Salle de sports, tables de café avec jeux de cartes…  les migrants y trouvent un peu de repos. Art et fiction sont ici au service de la réalité, Dévoiler : un théâtre politique d’un engagement rare.

Véronique Hotte

La Commune-Centre dramatique national, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers Seine-Saint-Denis, jusqu’au 6 octobre. T. : 01 48 33 16 16.

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