Danser à la Lughnasa de Brian Friel, mise en scène de Gaëlle Bourgeois
Danser à la Lughnasa, texte français d’Alain Delahaye, mis en scène de Gaëlle Bourgeois
Brian Friel (1929-2015) a eu une longue carrière d’écrivain (1929-2015). Cette pièce devenue culte, créée à Dublin (1990) puis à New York, puis en France, notamment dans la mise en scène de Didier Long, il y a quelques années avec Lena Breban, Alexandre Zambeaux et Lou de Lâage…
Cela se passe à l’été 1936 à Ballybeg, un village irlandais. Il y a un narrateur Michael Evans qui se souvient -il avait sept ans- avoir passé un mois d’août dans la maison de ses tantes. Les cinq sœurs, toutes célibataires: Kate, Maggie, Agnès, Rosie et Christina Mundy habitent une grande maison à la périphérie de la petite ville. Kate, la plus âgée, est institutrice: ce qui n’est pas rien dans ce monde rural pauvre car même sans doute peu payée, elle est la seule à rapporter un vrai salaire à la maison. Agnès et Rose, elles, gagnent un peu d’argent en se fatiguant à tricoter des gants qui seront vendus en ville. Maggie, elle, s’occupe de la maison, mais, comme Christina qui élève seule son enfant Michael, elle ne gagne rien. De temps en temps mais rarement et sans jamais prévenir, apparaît Gerry, le père de Michael, une sorte de vagabond charmant, soi-disant spécialiste et vendeur de postes de radio, en fait un doux rêveur fauché promettant sans cesse des cadeaux qu’il ne fera jamais… Il a déjà une femme et des enfants au Pays de Galles mais pas gêné, propose le mariage à Christina et lui annonce qu’il va s’engager dans les Brigades Internationales en Espagne pour lutter contre Franco…
Il y aussi dans cette curieuse tribu féminine, l’oncle Jack, de retour en Irlande, après avoir été prêtre vingt-cinq ans en Ouganda dans une léproserie. Un peu déboussolé, il repense souvent aux habitants de ce pays devenu le sien mais il a des crises de paludisme et peine à se souvenir du prénom de ses nièces. Michael, lui, découvre que ce monde rural déjà fragile va s’écrouler, quand arrivera la révolution industrielle et que ses tantes et sa mère à la fois solides ne sont pas aimées dans ce village et qu’elles n’ont aucun espoir de trouver un jour une vie meilleure… Nourriture très chiche, aucune vie sexuelle ou sentimentale, aucune distraction que la musique d’un poste de radio un peu détraqué, mais un trésor familial… Reste la danse près du vieux poste ou mieux à la Lughnasa, la fête annuelle du village. « Danser comme si le cœur même de la vie et toutes ses espérances étaient contenus dans ces notes apaisantes et ces rythmes chuchotés, ces mouvements silencieux et hypnotiques. » Bref, elles survivent comme elles peuvent avec un courage indéniable mais Kate va perdre son poste d’enseignante: le début de la catastrophe pour cette famille et une fabrique industrielle de gants s’est ouverte: une autre catastrophe car Agnès et Rose ne pourront plus gagner le peu d’argent qu’elles tiraient de leur tricotage… On ne verra pas la fin, juste racontée avec pudeur et tristesse, de cette époque et d’une tribu qui, malgré la disparition des parents et les épreuves, était restée à jamais soudée. Mais Maggie et Rose finiront par quitter la maison…
On sent que Gaëlle Bourgeois a une passion pour cette formidable pièce et elle dirige bien ses acteurs qui sont tous crédibles. Mention spéciale à Emilie Chesnais, très solide et très juste dans le rôle pas facile de Maggie… Mieux vaut oublier la scénographie approximative en cercle avec des objets et outils de la vie rurale : une brouette en bois, des bassines en zinc, quelque chaises et une couche de granulés marron sans doute pour figurer la terre. Cela ne favorise en rien le déplacement des acteurs. Et le rythme gagnerait à être plus rapide mais bon, Gaëlle Bourgeois sait rendre avec intelligence et sensibilité toute la poésie de Brian Friel. Et elle peut encore améliorer les choses. En tout cas, une bonne occasion de pénétrer dans l’univers du dramaturge irlandais auquel on ne peut être insensible… Du vrai et bon théâtre.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 13 octobre, Théâtre 13/Jardin, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème). T: 01 45 88 16 30.
La pièce est publiée en anglais aux éditions Faber and Faber et en français à l’Avant-Scène Théâtre Editions Quatre Vents.