Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell
Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell
L’Ecole des Actes à Aubervilliers est un des rares endroits où des jeunes peuvent se rencontrer. Dans les quartiers de pauvreté, les immigrants cherchent de nouveaux lieux où pouvoir vivre et dormir, comme des artistes et des intellectuels. Et ces rencontres se font avec la pratique du théâtre, l’acquisition de la langue française et des échanges à partir d’expériences personnelles. Avec des hypothèses sur les questions géo et socio-politiques, Dévoile révèle des identités non exprimées et donc rentrées.
« Au départ, il y a une douleur dans ton cœur. Tu cherches ce jour où tu pourras le dévoiler. Tu es le seul qui puisse dire cette chose, où elle se trouve, et qu’en effet elle existe. Tu arrives. Et maintenant te voilà ici.» Soit l’épreuve de tout migrant. L’Américain Richard Maxwell, avec sa compagnie New York City Players, a posé ses bagages au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Un premier travail d’exploration du territoire a débuté au printemps dernier et, dans un second temps, cet été. Avec une question initiale et stratégique posée aux habitants maghrébins et sub-sahariens d’Aubervilliers, soit presque la moitié de sa population. « Si on vous donnait les clés du Théâtre de la Commune, que feriez-vous de ce bâtiment ?» Cette même question a ensuite été posée aux élèves de l’Ecole des Actes.
Des propositions sont explorées. Après le spectacle du 28 septembre, lors d’un «bord du plateau», un comédien migrant se fait entendre. Pour lui, le Théâtre de la Commune pourrait être reconverti en logements pour que les sans-logis aient enfin un toit. Il ajoute en même temps que cet avis initial s’est affiné après l’expérience théâtrale. Or, en vue du spectacle, des histoires ont été racontées, en lien avec l’expérience vécue des interprètes, avec aussi de nombreux récits qui n’en ont plus fait qu’un seul.
L’intrique de Dévoiler : l’histoire de Boulaye Dembele parti de Gao et quand il apparaît sur scène à la fin, apportant un témoignage vivant de la sincérité du récit.Il dévoile sa satisfaction d’être arrivé ici, malgré la douleur de la séparation d’avec sa mère. Les interprètes jouent leur aventure migratoire depuis le pays natal, le Mali qui n’a pas été épargné par la guerre, jusqu’à la Lybie, puis à Lampedusa en Italie, puis en France.Abdramane Doucoure, Moussa Doukoure, Maxime Fofana, Kawou Marega, Abdel Kader Moussa Boudjema, Abou Sylla, Abubakary Tunkaba, ont à leurs côtés, pour la direction d’acteurs, la scénographie et la technique, Richard Maxwell, Nicholas Elliott et Sascha Van Riel.
Juste des tentures pour évoquer successivement les intérieurs modestes de la famille de Boulaye en Afrique, des paysages marins et l’immense désert de sable. Après bien des péripéties pour aller de Gao jusqu’en Lybie où il arrive, Boulaye est forcé à travailler quelque temps, avant de reprendre enfin la mer. La mise en scène désigne un geste politique, responsable et esthétique depuis le pays d’accueil celui de nous, public de théâtre. On sait que la bonne volonté et en même temps une certaine résistance habitent les terres d’accueil.
Le groupe de migrants prend la mer, représentatif du parcours de Boulaye, et sans Boulaye que nous ne voyons pas encore mais qui n’en est pas moins apostrophé et présent dans son invisibilité même, debout à côté de ses camarades ou assis. Les interprètes prennent la mer: ils montent ainsi dans les gradins de la salle, traversant les rangées de sièges et avançant difficilement, comme pour grimper à bord d’une embarcation fragile et aléatoire.
Les voilà enfin arrivés au faîte de la salle, dévoilant une autre scène, celle d’un bateau ou d’un wagon de train avec la fin de ce long voyage. Boulaye, sans papiers, est obligé de se cacher pour ne pas rencontrer la police des frontières. Le public, dos tourné, suit le spectacle « à l’envers » et donc forcé de trouver la position la moins inconfortable… Une mise en abyme de la situation douloureusement éprouvée par les réfugiés et une posture inédite pour le public auquel revient l’initiative de savoir accueillir l’autre et lui témoigner sa compassion.
En haut derrière la salle, le squat Schaeffer où trouvent refuge dans un premier temps migrants, demandeurs d’asile et de papiers, un lieu symbolique. Cet ancien supermarché récupéré et réhabilité est toujours menacé par les autorités mais est fort d’une résistance collective efficace. Salle de sports, tables de café avec jeux de cartes… les migrants y trouvent un peu de repos. Art et fiction sont ici au service de la réalité, Dévoiler : un théâtre politique d’un engagement rare.
Véronique Hotte
La Commune-Centre dramatique national, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers Seine-Saint-Denis, jusqu’au 6 octobre. T. : 01 48 33 16 16.