Ridiculum vitae, texte de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonaffé

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Ridiculum vitae, texte de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonaffé

Une fille gênée  (Marie Thomas) après nous avoir dit trois fois bonsoir et affirmé sa confiance en «l’avenir qui nous attend les yeux fermés! »,  prononce avec une belle énergie des extraits  du discours d’André Malraux quand il inaugura  la Maison de la Culture d’Amiens.

La lumière s’éteint, elle s’énerve. Benoît Ribière entre, joue au piano et Marie Thomas danse en enlevant ses bas, nous fait rire en déclinant ses ratés et échecs successifs dans un flot verbal ininterrompu. « Tout dire ! Tout parler !Tout écrire ! Tout sembler réussir, pour mieux finir par tout rater ! Tout écouter et en rire ! Tout oser ! L’Académie ? Vingt cadavres debout discutent de l’orthographe du mot macchabée! »  (…) Fuyez, hâtez le pas ! L’Institution nous rattrape, l’établissement est à nos portes et l’Art Officiel nous colle au derche.  » (…) « En avant toute ! »

Un spectacle insolite, très bien interprété par Marie Thomas et qui ne manque pas de charme… « Continuez, dit le metteur en scène de croire à la poésie, continuez à faire entendre cette voix intérieure interdite, cette voix oubliée de notre enfance. Continuez à transporter en riant notre cargaison de misère. Je vous souhaite une rencontre avec Verheggen et Bonnaffé traversée d’émotion de rires et de sensations? Avec la rage et la joie au ventre pour des nouvelles fraternités. Le spectacle doit être un lieu de résistance à la marchandise, un espace «de mots qui s’éloignent le plus des mots qu’on a sur le bout de la langue» «Magnifique, la luxure poétique! Oui! Magnifique la poésie quand elle proclame sa haine de la poésie affadie!»

Edith Rappoport

Jusqu’au 16 décembre, Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris ( Ier).


Archive pour octobre, 2019

Installation-Performance de Laurence Ayi, bilan d’étape

Installation-Performance de Laurence Ayi, bilan d’étape 

Ayi_Laurence(002)SACRe (Sciences, Arts, Création, Recherche) résulte de la coopération de six de ses établissements membres de l’université de recherche P.S.L.) (Paris Sciences et Lettres: le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, l’École Normale Supérieure et l’École Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son (Fémis)
C’est une nouvelle formation doctorale pour artistes, musiciens, cinéastes, metteurs en scène, acteurs, désigneurs, chercheurs en sciences exactes et en sciences humaines et sociales. Avec, si on a bien compris, dans ce paquet-cadeau, une réflexion théorique et une pratique artistique.

« Inauguré en 2012, dit Sébastien Lenglet, directeur des études et de la recherche pour la formation à la mise en scène au Cons, ce programme accueille à ce jour trente-deux doctorants. Après trois ans, ils soutiennent leur thèse en public, devant un jury de membres habilités et de personnalités issues du monde de l’art. » Format variable  selon les disciplines. Donc un produit de recherche expérimentale artistique de haut niveau
Doctorante SACRe promotion 2016, Laurence Ayi a présenté dernièrement son travail sur Le rituel de l’habillage comme mécanisme de transition du vêtement au costume. Dire que ce rituel est un acte de théâtre performatif duquel naît l’objet-costume, art visuel-vivant. Une thèse dirigée par Sylvie Chalaye (IRET Sorbonne Nouvelle) qui a succédé à Jean-Loup Rivière, décédé cette année (voir Le Théâtre du blog). Axes de ce travail: Des positions : Apparition-Déposition, Apparence-Composition, Disparition-Décomposition.

A la suite de l’enterrement de sa grand-mère, cette jeune femme togolaise a réfléchi sur les rituels qui, dans son pays, accompagnent l’habillement du mort: pour elle, il y a une étrange similarité avec l’habillage du comédien avant son entrée en scène. « Cette thèse se propose donc de mettre le vêtement-costume au centre de la recherche en tant qu’objet performatif en action. » (…) « À quel moment le vêtement devient-il costume ? De quelles vies s’anime un vêtement et par quel vêtement se déshumanise un être? » Pourquoi l’uniforme peut-il magnifier le corps ou le rendre ridicule ? Qu’est-ce qu’un vêtement dit de travail, comme les fameuses vestes noires pour menuisier de chez Adolphe Lafont, souvent portées par des artistes? Comment rendre ridicule un personnage théâtral juste par son costume, sans pour autant tomber dans la caricature? Comment traduire l’érotisme d’une robe sans tomber dans la vulgarité? Comment choisir ou dessiner puis installer un ensemble de costumes dans un espace scénique souvent limité ? Toutes questions difficiles à gérer mais que les élèves de la section vêtement-costume aux Arts Déco sont habitués à résoudre…

Scénographe, costumière et plasticienne, Laurence Ayi a choisi la performance et l’installation pour créer «le vêtement-costume comme espace, lieu du corps où prend place un théâtre intérieur, singulier.» Cela commence dans une rue piétonne proche, à côté d’une église avec une chorégraphie où quelques jeunes hommes et femmes tout habillées de blanc se soutiennent mutuellement. Puis on nous invite à entrer dans la belle salle Louis Jouvet aux murs plaqués de bois. Sur des portants, ou pendus au plafond sur des cintres, des dizaines de corsages, chemisiers… qui ont passé plusieurs années dehors au vent et sous la pluie avec toutes les détériorations possibles : trous, taches de rouille des cintres en fil de fer, déchirures. Bref, la trace irréversible du temps.  Impressionnant…

Le mariage du vêtement avec la peinture et la sculpture a toujours fasciné les artistes. Edgar Degas en  1881 met un tutu et un ruban rose sur le corps en bronze de La Petite Danseuse de quatorze ans  et depuis les artistes contemporains ont introduit le vêtement dans leurs œuvres comme entre autres Christian Boltanski avec son Inventaire des objets ayant appartenu à une Vieille dame de Baden-Baden (1973) ou ses impressionnantes accumulations de vêtements récupérés et entassés sur des carrés alignés par dizaines sous la nef du Grand-Palais (2.010) mais aussi Joseph Beuys, Annette Messager, ou encore Pascale Drivière avec  ses « objets délaissés, abandonnés, vêtements récupérés, usés, chargés de mémoire, linge voué aux chiffons qui a été savamment rapiécé, rapetassé, reliques qui gardent les traces de vies oubliées. »

Il y a dans la salle une dizaine de petites cellules fermées de voilages l’une avec une sorte de petite momie allongée sur un lit, une autre où on peut indiquer le dernier vêtement que l’on souhaite porter avant de quitter cette vallée de larmes… Il y a indéniablement chez cette artiste, une recherche sur le vêtement-costume blanc  associé à l’usure naturelle mais aussi la mort et le deuil. Avec toutes les métaphores et glissements de sens possibles sur le corps, et le corps féminin en particulier. On reste ici dans le domaine artistique et c’est un peu la limite de ce genre d’exercice.  Loin de Mona Chollet quand elle étudie la question du corps des femmes et les stéréotypes sur les femmes-objets.

 A la fin, la vingtaine de personnes présentes autour d’une aire rectangulaire où sont projetées des images de nature assiste à une très belle danse d’une comédienne qui s’enroule avec une grande écharpe de coton blanc accrochée au plafond. C’est un travail en cours et non un spectacle, donc il est préférable de s’abstenir de tout jugement mais les qualités de cette installation a de grandes qualités artistiques , même si on aurait bien aimé que Laurence Amiy aille creuser davantage vers les cérémonies rituelles de son pays; celles de ses voisins béninois nous avaient autrefois très impressionné par leur richesse gestuelle et musicale. Mais c’est un travail en cours, donc à suivre.
Cela dit, à quoi sert exactement ce SACRE, sinon dans le meilleur des cas à servir de tremplin… « Il y a, pourtant il me semble à se méfier, dit le metteur en scène Jean-François Peyret, de la Grande Doctorisation à laquelle on assiste. » (…) « Beckett disait que l’Herrordoctorimus n’était pas son fort. »

 

Philippe du Vignal

Installation-performance réalisée les 18 et 19 octobre au Conservatoire National d’Art Dramatique, rue du Conservatoire, Paris ( IX ème).

 
 

La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, mise en scène de Sophia Marathaki

La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, traduction en grec de Dimitra Kondylaki, mise en scène de Sophia Marathaki

 
C1B7F2FB-8F19-433C-B128-0DF3F775BCDFUne parodie du théâtre de boulevard: dans un salon bourgeois, les Smith reçoivent les Martin, auxquels se joignent un moment la Bonne et un Pompier en visite. Cette « anti-pièce » (son sous-titre) écrite en 1950 apparaît aussi comme un manifeste où sont affirmés les grands principes dramaturgique de l’auteur. Ici, des discussions sans objet se transforment en dispute générale et  les protagonistes se battent à coup de mots: ils ne parviennent à s’accorder ni sur le langage ni sur le sens que l’on peut attribuer aux événements de la réalité.

Eugène Ionesco  se moque de l’artifice des scènes d’exposition (les Smith et leur Bonne se présentent eux-mêmes au public) et parodie la scène finale de reconnaissance  de certaines comédies classiques : les Martin, se rencontrant chez les Smith, ne se rendent compte au terme d’une longue conversation qu’ils sont mari et femme! et au lieu d’un dénouement, Ionesco crée une fin cyclique: après un long noir, les Martin remplacent les Smith dans leur salon et prononcent les mêmes répliques qu’eux au début de la pièce. Et cela transforme la nature de l’illusion et la conception même d’un personnage: impossible de croire à ces êtres, aussi interchangeables que leurs paroles.
Eugène Ionesco rend sensible, en le désarticulant, la difficulté du langage à assumer sa fonction de communication,  Le dialogue, lieu d’une permanente ambigüité, véhicule  alors le non-sens et progresse à coups de méprises. Et le célèbre auteur français tourne en dérision le principe aristotélicien de non-contradiction avec des associations de mots et de phrases et crée des  scènes incompatibles, situées à tous les niveaux rhétoriques du texte; ainsi le dialogue n’a plus rien à voir avec les didascalies…
La pièce contient en germe tous les thèmes de l’œuvre à venir : vision pessimiste du couple, réflexion amère sur la vacuité des relations humaines, non-fiabilité du langage qui isole et qui tue.  Eugène Ionesco met en scène, avec les Martin, un homme et une femme que la vie commune a rendu étrangers l’un à l’autre et il médite sur ce narcissisme indépassable qui enferme l’être dans sa solitude.

 Sophia Marathaki renforce la parodie et le burlesque pour aboutir à la fin à un délire presque cathartique. Tous les personnages expirent sur scène dans un rituel comique et sensuel à la fois. Il y a dans cette mise en scène, un méta-texte, un commentaire de la genèse de l’œuvre du dramaturge et souligne aussi tout le paradoxe du langage. Un long tapis rose et des toiles représentant un ciel nuageux et les costumes signés Konstantinos Zamanis créent  un univers propice à l’absurde. Et la musique de Vassilis Tzavaras comme les éclairages de Sakis Birbilis, suggèrent un espace imaginaire entre rêve et cauchemar. Les comédiens défendent avec ardeur cette lecture de la pièce avec une remarquable gestualité et le spectacle garde toujours un très bon rythme…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Technis, 14 rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 210 32 22 464

Clôture de l’amour de Pascal Rambert, mise en scène d’Andreas Kannelopoulos

 

_DSC9620 - copieClôture de l’amour de Pascal Rambert, traduction en grec de Nikolitsa Aggelakopoulou, mise en scène d’Andreas Kannelopoulos

L’être humain connaît une profonde crise d’identité, à la recherche d’une introuvable issue et chacun essaie de rebâtir son lien à l’autre, malgré la solitude. Plus qu’un thème, l’altérité est un principe constitutif de tout échange et donc du théâtre contemporain et les dramaturges français  traitent souvent de  la difficulté de l’être humain à donner du sens à un monde privé de valeurs stables.

Cette pièce créée au festival d’Avignon 2011 a ses origines  dans le théâtre de Sénèque avec des tirades-fleuves et suit la tradition du théâtre poétique français. Deux longs monologues au langage érotico-métaphysique rappellent parfois le dialogue du Dealer avec Le Client dans Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès.

Pascal Rambert met en scène une rencontre entre un homme et une femme, Stan et Audrey, dans une grande salle (un tribunal imaginaire ?). Lui  réclame le divorce et expose en détails et avec une forte émotion ses arguments renvoyant à un «procès juridique». Elle, dévoile qu’il ne s’agit pas d’une relation mutuellement définie de la même manière et défend certains principes,  révélant un état sentimental et intellectuel, synonyme de l’existence même.
Ainsi, Clôture de l’amour est-elle ancrée dans les tréfonds de l’être humain. Mais le conflit entre  Stan et Audrey est tel qu’il aboutira à la fin de leur couple. En d’autres termes, il y a entre l’homme et la femme, une incompréhension, un éloignement. Pascal Rambert tisse la fable de son histoire en partant du personnel pour arriver à l’universel. … Les personnages sont séparés par un océan de contradictions qui paraissent insurmontables et qu’ils se proposent de résoudre. Il s’agit d’une guerre et on s’aperçoit que la dynamique des deux sexes puise sa source dans l’esprit de révolte de l’un contre l’autre.

_DSC9458 - copieClôture de l’amour parle de l’implication de l’être et du paraître dans l’univers de l’autre conscience et il est question plutôt de retrouver la part de soi dans la part de l’autre. Il s’agit d’un déchirement intérieur du couple. Et, en fin de compte, qui sera le vainqueur et le vaincu ? Qui gagnera et qui perdra ? Seule la vie de chacun pourra y répondre. Pascal Rambert n’apporte pas des réponse. Dans un fleuve ininterrompu de mots, dans la brutalité d’un verbe omniprésent et les divagations des amants, se déroule un combat impitoyable. Déclenché comme chez Joël Pommerat, par un manque d’amour qui dresse un mur entre eux. Avec, en lointain écho, les amours des personnages d’Anton Tchekhov qui nous invite à continuer notre lutte pour le meilleur des mondes possibles…

Andreas Kannelopoulos crée un spectacle où le rythme joue un rôle primordial. Dans une salle de danse sans accessoires, Moa Bones, le musicien, debout, guitare à la main, puis au piano, et les comédiens Thomas Kazassis (Stan) et Fenia Schina (Audrey) interprètent le texte avec une gestuelle qui renforce la passion et l’esprit polémique de la parole: le metteur en scène encourage les cris et parfois l’intensité de la voix, sans éliminer le caractère poétique du langage amoureux. Et il a enrichi l’action avec des trouvailles intéressantes comme ce duel avec des rampes fluo. La scène devient ici un vrai ring où masculin et  féminin s’épuisent en un jeu exterminateur. On ne peut plus discerner le dominant, du dominé, ni le faux, du vrai, ni le juste, de l’injuste… L’amour ne meurt jamais de mort naturelle, nous dit Pascal Rambert, il meurt parce que nous ne savons pas revenir à sa source…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre 14, 10 Kallirois avenue, Athènes T. : 0030 693 219 5393.

Les Mille et Une Nuits, librement inspiré du livre éponyme, mise en scène et texte de Guillaume Vincent

Théâtre de l'Odéon Saison 2019-20 Compagnie Midi Minuit " les Milles et une Nuit" création de Guillaume Vincent

Les Mille et une Nuits, librement inspiré du livre éponyme, mise en scène et texte de Guillaume Vincent

Lampes magiques, tapis volants, vizirs et califes, femmes lascives autour d’une fontaine…  Des contes qui ont bercé notre enfance. Guillaume Vincent revisite ce merveilleux tout en bousculant les clichés exotiques des Mille et une Nuits : «Aujourd’hui qu’en est-il de cet Orient de carte postale, à la fois exotique et sensuel? Bagdad, Bassora, Mossoul, Le Caire, les villes que parcourent les Nuits ne nous évoquent plus ces romances fantasmées … mais des images de guerre, de révolutions, de migrations qui sont aussi de nouveaux fantasmes. » Il nous ouvre un livre d’images contrastées qui s’enchâssent selon la structure du recueil.

On baigne d’emblée dans le charme enchanteur de ces histoires millénaires avec un décor de conte de fées: une sorte de salle d’attente ceinte de rideaux à paillettes, de jeunes mariées en robe blanche immaculée disparaissent l’une après l’autre derrière une porte … Des cris sourds nous parviennent, du sang souille les murs : un roi cruel,  sacrifie une vierge chaque nuit, pour se venger d’une épouse adultère. Vient le tour de Schéhérazade. La jeune fille sauve sa tête en lui racontant des histoires qu’elle interrompt à l’approche du jour. Pour connaître la suite, le Barbe Bleue l’épargne… L’imagination de la belle n’a pas de limites … «Dire «mille nuits », c’est parler d’une infinité de nuits, de nuits nombreuses, innombrables. Dire «mille et une nuits », c’est ajouter une nuit à l’infinité des nuits, écrivait Jorge-Luis Borges. »

 Le récit-cadre des Mille et Une  Nuits, c’est-à-dire l’histoire du roi avec Schéhérazade, offre au metteur en scène une structure pour naviguer d’un conte à l’autre et bâtir un spectacle composite de seulement deux heures quarante (avec entracte). Dans ce corpus volumineux (seize tomes), il a choisi des histoires d’amour, souvent osées et privilégie la veine comique.

Cette adaptation théâtrale part de la traduction du docteur Joseph-Charles Mardrus, publiée au début du XX ème siècle qui amplifiait, en langue fleurie, l’érotisme des récits et connut de ce fait, un grand succès. Largement réécrite, tout en conservant quelques poèmes et maximes, la version scénique revendique autant de registres qu’en proposent ces contes, issus de la tradition orale de plusieurs pays: drôle, sordide, poétique, merveilleux, libertin, voire paillard. Le spectacle offre une diversité formelle dans un tourbillon de séquences et n’hésite pas à jouer sur plusieurs modalités de représentation: cabaret, drame romantique, vaudeville, grotesque…) et des esthétiques hétérogènes: gore, bande dessinée, comédie musicale, stand up, hip hop… ). Le mièvre, le kitch, le vulgaire ou le sentimental se tissent dans un environnement historique indéfini, ou résolument contemporain.

Dans la première partie, Schéhérazade (Andrea El Azan) entame une succession de récits où elle joue aussi un rôle actif. L’épisode à tiroirs Les Trois Dames et le Portefaix offre un beau morceau de bravoure : ces femmes guerrières, indépendantes et vouées à la chasteté, mais d’une grande impudeur, n’ont pas froid aux yeux, contrairement aux victimes du roi sanguinaire…

Avant l’entracte, la légendaire chanteuse Oum Kalthoum s’invite, transition vers une deuxième partie qui montre le Moyen-Orient sous un jour bien différent. Les belles dames du temps jadis sont des migrantes, travailleuses précaires, chantant, nostalgiques, leur pays perdu;  le personnage pittoresque du Portefaix (Moustafa Benaïbout) devient un comédien au chômage…  Ce revirement donne lieu à des séquences plus ou moins bien réglées et le spectacle se découd, s’emballe avec des scènes jouées simultanément, entrecoupées de sketches : l’on  perd un peu le fil …  Avec des thèmes d’aujourd’hui comme l’exil ou la xénophobie, thèmes récurrents de bien des contes. Ou encore la condition des femmes, avec, en miroir des féminicides dans la première partie, l’émasculation d’un amant inconstant, transposition moderne du poétique et déchirant Aziz et Aziza … Belle manière de refermer ces Mille et Une Nuits

 L’espace scénique modulable, les décors et les éléments escamotables de François Gauthier-Lafaye définissent de multiples aires et styles de jeu. Cette scénographie astucieuse permet une mise en place rapide des tableaux successifs. Nous retrouvons ici l’humour et la vivacité de Songes et Métamorphoses d’après Shakespeare et Ovide (voir Le Théâtre du Blog). Les comédiens de la troupe dont Emilie Incerti-Formentini, remarquable dans Rendez-vous Gare de l’Est (voir Le Théâtre du Blog), sont plus à l’aise dans l’imagerie de la première partie que dans la seconde, où le rythme se bouscule. Reste un voyage déroutant entre Orient et Occident, un nouveau regard sur ces anciennes fables.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 16 octobre à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy (Haute-Savoie)

Du 6 novembre au 8 décembre, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris (VIème).
Les 13 et 14 décembre,  Maison de la Culture d’Amiens (Somme);  les 19 et 20 décembre, Espace Malraux, Chambéry (Savoie).
Les 7 et 8 janvier, Comédie de Valence (Drôme) ; les 15 et 16 janvier, Centre Dramatique National de Besançon (Doubs) ; les 21 et 22 janvier, La Filature-Scène nationale, Mulhouse (Alsace) ; les 26 et 27 janvier, Scène nationale de Châteauroux (Indre).

Du 4 au 8 février, Théâtre du Nord (Nord) ; du 12 au 14 février, Théâtre de Caen (Calvados) ; les 25 et 26 février, Scène nationale d’Albi (Tarn).

Du 3 au 7 mars, Théâtre national de Bretagne, Rennes (Ile-et-Vilaine) ; du 19 au 21 mars, La Criée,  Marseille (Bouches-du-Rhône) ; les 25 et 26 mars, Le Quartz, Brest (Finistère).

 

Dieu est un DJ de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Patrice Bigel

Dieu est un DJ de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Patrice Bigel

 Dieu est un DJ de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Patrice BigelUn jeune couple, moderne, charmant, intéressant. Lui a voyagé, il raconte la Vallée de la mort, les couleurs, la chaleur, une autostoppeuse un peu punk, un peu droguée embarquée à une station service, du vrai cinéma. Et, au fait, ne serait-ce pas  justement un souvenir de cinéma ? Elle, a été présentatrice-vedette de la télévision, quelque chose comme journaliste star ou reine du divertissement. À moins qu’elle n’ait été qu’une marionnette de téléréalité sur une chaîne perdue au fin fond du paysage télévisuel. Allez savoir, ils sont tellement normaux, tellement sympathiques. Et nous, nous sommes leur public, leur jouet, car ils ont décidé de faire de leur vie, «une œuvre d’art ». Toute leur vie sera donc captée et diffusée pour nous minute par minute, et l’on sait le prix d’une minute de publicité aux heures de grande écoute. Tout est à vendre, surtout ce qui marche bien: les moments où ils font la cuisine, le lit…

Dans cette pièce (1998), « J’essaie, dit l’auteur, d’être comme un sismographe qui enregistre ou capte la réalité du monde vécu, la façon de penser, de sentir, de communiquer dans notre société. » Il a senti l’ébranlement  à son début : l’image fait trembler le réel. Tout passe par la communication électronique. Le problème ou plutôt le double problème : le réel peut revenir avec son poids de saleté, et le virtuel peut être renvoyé d’un coup de télécommande au fond d’une mémoire morte. C’est le risque.

Mais nous, les vivants, nous assistons à l’expérience en direct. Petits dérapages, changements de rythme, cassures, reprises : le metteur en scène met les personnages aux prises avec des dangers minuscules et révélateurs. À la voir, Elle, changer constamment de robe (costumes d’Agnès  Chaigneau, toujours un peu rétro, décalés et justes), on sent sa fébrilité, sa fragilité, son angoisse d’être toujours celle qu’il faut être : moderne, charmante, intéressante… Et Lui court, de façon aléatoire, à la table de mixage, saisi du besoin d’une musique bouche-trou. Ou peut-être même pas : simple agitation moderne, charmante, intéressante…

On reconnaît ici la patte de Patrice Bigel, à l’extrême précision de tous les éléments, en particulier sonores. Et le public a la chance d’être à la bonne place, de pouvoir rire de ce miroir déformant qui lui est tendu. Jusqu’au moment où une déferlante d’humanité -ils pourraient avoir un enfant- tombe sur le couple. Alors survient un vrai moment poétique, une vraie émotion.  

De Falk Richter,  on a vu récemment un spectacle à grande échelle I am l’Europe (voir Le Théâtre du blog) à l’Odéon-Ateliers Berthier et une pièce: À Deux heures du matin, mise en scène par René Loyon qui pourrait relever comme Dieu est un DJ, du théâtre de chambre. L’expression fait penser à Strindberg qui y déloge les névroses familiales et sociales. Falk Richter y ajoute la névrose centrale : la confusion « moderne », en plein corps « augmenté », de l’être et du virtuel.

  Ici, il isole dans des chambres d’hôtel difficiles à distinguer de leurs bureaux  design,  ces êtres dont la vie privée est mangée par un productivisme capitaliste devenu fou. Lumières pop d’une gaîté forcée, gestuelle fébrile et mécanisée et soudain une femme qui, dans un monologue ardent, se cherche à travers tout ce qu’elle n’est pas… La pièce sera-t-elle reprise ? Ce serait dommage qu’elle ne le soit pas.  Dommage aussi que la compagnie  de Patrice Bigel La Rumeur perde une grande partie des aides publiques, «parce qu’on n’est pas subventionné à vie» mais aussi et surtout, parce qu’elle n’entre sans doute pas dans un circuit qu’il faut bien appeler marchand. La valeur d’un œuvre tient-elle à son prix de vente ? Le genre de questions que pose Falk Richter et qu’il faut entendre.

Christine Friedel

La pièce a été jouée en octobre à l’Usine Hollander, Choisy-Le-Roi (Val-de-Marne). T. : 01 46 82 19 63. Et le sera  à nouveau du 8 au 24 novembre.

 

Machine de cirque de Vincent Dubé

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Machine de cirque, de Vincent Dubé

 

   Ils sont cinq, Elias Larsson, Raphaël Dubé, Maxima Laurin, Ugo Dario, avec un musicien multi-instrumentiste et pas mal accoquiné avec le surréalisme, Frédéric Lebrasseur. Leur chantier : un échafaudage qui n’a l’air de rien mais sera le lieu de leurs prodiges, chutes et envols verticaux. Techniciens ultra qualifiés, de par la précision et la force de leurs gestes, enfants par le jeu, les risques joyeux qu’ils prennent et leurs rires complices, champions sportifs évidemment ; avec tout cela, ils nous éblouissent et nous font rire, sans jamais se prendre pour des dieux. Ils sont juste jeunes et beaux, dans leur maîtrise fragile, capables d’encaisser les ratés de leur spectacle hyper rodé, quitte à lâcher un « merde » très décontracté pour une tentative en échec (aussitôt surmonté, selon la loi du cirque). Ils prennent le temps de souffler après cent acrobaties à la bascule qui nous tiennent, nous, en haleine, et trouvent le moyen de se reposer (se poser ailleurs, comme des oiseaux ?) avant de s’élancer encore, requinqués par leurs moments de danse lente ou d’humour très contemporain.

Peu importe le fil dramaturgique, le seul véritable fil est celui, à la lettre, de la « machine de cirque ». Ils imaginent un monde où ils seraient les seuls survivants? De fait, ils sont seuls à tout faire, à cinq, sur la scène. Seuls, enfin presque, car nous sommes là. Ils s’autorisent à franchir le quatrième mur, à rompre l’enchantement pour venir chercher dans la salle dans la salle une gentille fille qui voudra bien jouer avec eux un moment. La nôtre eut le talent d’accepter avec discrétion et bienveillance, guidée par la main de son prétendant au milieu de ses partenaires jouant – c’est l’occasion ou jamais – les utilités. On vous laisse découvrir comment. Tous pour un, un pour tous : ils osent même laisser un temps l’un d’eux se dépatouiller avec son trapèze en vrille ou autre verticale à parcourir par tout moyen possible, surtout le plus inattendu.  « Hé, les gars ! » : à ce niveau, on peut appeler à l’aide, « pour de faux », ça détend.

Leur dispositif scénographique en rajoute sur le double registre d’une efficacité sidérante et de l’image d’une technologie mécanique jouissant de sa propre complication. La bascule coréenne, le jonglage aux massues ou de la roue Cyr, grands classiques du cirque, ils les réinventent avec leur danse fluide, l’enchaînement des causes et des effets qui les conduisent à passer mine de rien d’un agrès à un autre, sans jamais insister sur la performance. Désinvoltes ? Plutôt des fous du timing, du tempo, du rythme et d’une élégance huilée à l’humour.

Ces jeunes messieurs ne viennent pas de nulle part : Cirque du Soleil, les Sept doigts de la main, récompenses au grand concours du Cirque de Demain… Bonnes écoles, mais ils ont largement dépassé le stade de l’école, assez libres pour inventer un numéro irrésistible qu’ils font délicieusement durer. Nus, fragiles, comment protéger sa pudeur avec quatre serviettes de bain pour quatre, quand en seul en accapare plusieurs ? Jonglerie inédite, acrobatie douce réglée comme un ballet, étourdissant calcul géométrique en action que ce morceau de bravoure !

Ils ont la grâce. Ce concentré de cirque contemporain tourne dans le monde entier depuis la création de leur groupe en 2013. Si vous avez la chance de ne pas les avoir encore croisés, saisissez celle de les voir à la Scala.

Christine Friedel

La Scala (Paris 10e), à 18h30 jusqu’au 3 novembre (18h le dimanche) -T.01 40 03 44 30

Théâtre Musical Pibrac (31820) à 20h30 le 29 novembre- T.05 61 07 12 11

L’Olympia (Paris 9e) à 20h30 le 7 décembre – T. 0 892 68 33 68

La Grange de La Tremblay à Bois d’Arcy (78 390) à 2Oh30 le 27 mars 2020 – T.01 30 07 11 80

 

Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, traduction de Kostas Dalianis et Evita Papaspyrou, mise en scène de Kostas Dalianis

Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, traduction de Kostas Dalianis et Evita Papaspyrou, mise en scène de Kostas Dalianis

 
 2DCF2371-0F6C-4A16-BAD1-A2EEE2B120A7Le maître du théâtre de l’absurde montre ici le drame de l’homme face à sa propre mort, en la personne de Bérenger 1er, un roi de fantaisie mais  en qui chaque spectateur peut se reconnaître. Malade, Bérenger agonise et meurt sur scène. Un texte puissant de 1962, influencé par Shakespeare et qui rencontrera un large succès. Le royaume est touché par un drôle de cataclysme: saisons déréglées, pays qui se désertifie, habitants mourant prématurément, palais qui se désagrège… Le  Roi perd tout pouvoir sur les êtres et les choses et chaque personnage arrivant de l’extérieur annonce une nouvelle catastrophe.

La pièce commence le matin où le processus de destruction a touché les murs de la salle du trône  qui se sont fissurés. L’espace scénique est ici traité comme un corps malade dont le pourrissement est en relation avec la maladie du roi qui s’aggrave. Aussi le médecin, qui est aussi l’astrologue et le bourreau du Royaume, vient-il porter un double diagnostic. Bérenger est sur le point de mourir, les portes, fenêtres et murs disparaissent lentement, et s’effacent peu à peu dans la perception du roi qui devient sourd et aveugle. Et les battements affolés de son cœur ébranlent la salle du trône et achèvent de la détruire. Eugène Ionesco utilise le fantastique à des fins allégoriques et la mort du roi est la fin du monde. Et elle survient quelques secondes après l’évanouissement du décor, une image forte qui place le spectateur dans la position du mourant pour qui c’est le monde et non lui, qui disparaît.

Eugène Ionesco met en scène la condition de l’homme partagé entre désir de jouissance et nécessité de se préparer à la mort, un conflit illustré par les deux reines. Gaie et aimante, Marie, voudrait rattacher le roi à la vie, le plus longtemps possible mais  elle perd son pouvoir dès que la mort s’approche. Elle devra céder la place à Marguerite qui assiste le roi dans cette épreuve et règle les différents moments du rite de passage. Austère psychopompe, elle préside à la cérémonie et amène le roi à renoncer peu à peu à tous ses désirs, détachant ainsi les liens qui le retiennent encore à la vie et elle le conduit ainsi dans cette marche vers la mort. Soit deux conceptions de l’existence: occidentale et orientale. Pour Marie, la mort est un déchirement inacceptable et pour Marguerite, elle permet d’approcher du « Grand Rien », de la plénitude du vide.

La version de la  pièce qu’en proposent Modernoi Kairoi  (Les Temps Modernes) renforce le message politique de la pièce sans amoindrir l’élément farcesque, l’humour noir et la parodie de la condition humaine. Dans un décor sombre et simple où dominent blanc, noir, rouge et doré, cette cérémonie funèbre oscille entre burlesque et grotesque. Et Kostas Dalianis met l’accent sur l’ironie caustique de l’écrivain, face à l’effondrement d’un pouvoir usé, arrogant, insatiable et corrompu ; une allusion  aux régimes où le citoyen reste inerte et faible, sans réagir aux manipulations des démagogues.

Sans  que le metteur en scène l’ait orienté vers un lourd scepticisme, le spectacle souligne l’éphémère de l’existence, la fuite du temps, la peur vers l’inconnu de l’au-delà, les inquiétudes métaphysiques des mortels et la recherche éternelle d’un sens ou d’un but dans la vie. Kostas Dalianis crée un microcosme où le rire alterne avec un soupir amer et le caractère tragique de la bouffonnerie; il  montre le passage de la félicité totale, à la déchéance externe. Il s’agit d’une poétique de la vie qui se dessine, malgré le pessimisme apparent.

Vassilis Georgossopoulos  est le Roi Bérenger. Au début, dans toute sa force juvénile, il est audacieux et sûr de lui et à la fin, une créature dégradée, aliénée et tragique. Evita Papaspyrou (Marguerite) maîtrise avec  une interprétation  remarquable et très nuancée, l’évolution du personnage . Antonia Pintzou (Marie) et Aggeliki Lymperopoulou (Juliette) renforcent le paradoxe comique. Yannis Petridis excelle avec une impeccable gestuelle en Docteur-Bourreau. Le Gardien d’Andréas Velentzas est une «vraie» statue mouvante d’une forte signification : le pouvoir exécutif agit toujours  avec une froideur sans  raison…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Alkmini, 8-12, rue Alkminis, Athènes. T. : 0030 210 34 28 650.

Tigrane, texte et mise en scène de Jalie Barcilon

Tigrane, texte et mise en scène de Jalie Barcilon

© Pauline Le Goff

© Pauline Le Goff

Tigrane Faradi a disparu à dix-sept ans, probablement tombé d’une falaise normande. On a retrouvé son skate et ses bombes de peinture, un livre sur Caravage et un livre sur Basquiat, un dico de français, en même temps qu’un carnet de croquis. L’itinéraire était trop difficile pour ce jeune «issu de la diversité» destiné à passer un C.A.P. d’ouvrier et que les lycées s’échangeaient avec renvois successifs… jusqu’au jour où il rencontre une professeure à l’écoute et  qui l’aide.

De sa famille, aucun appui : la mère de Tigrane d’origine italienne a quitté le domicile, et s’en est peut-être retournée dans son pays abandonnant son fils à la protection aléatoire d’un père amer, sans activité. Il refuse tout projet imaginé par son fils par dépit et jalousie, ne souhaitant pas alimenter son émancipation…Tigrane a découvert l’Art, sous les auspices de l’enseignante éclairée qui détecte chez l’élève des dons réels de dessinateur et qui l’engage à suivre ce parcours : il réussit à rendre compte d’une réalité ancrée dans le monde  avec ce medium. Mais c’était oublier les obstacles que dressent sur ce chemin d’apprentissage, sa famille qui rejette toute possibilité d’expression de soi et la société qui n’associe pas d’emblée la pratique de l’art à une personne sans ressources ; chacun à sa place, la misère ne peut en aucun cas enfreindre le cadre…

 Mise en scène par son autrice vive et efficace, rythmée de mouvements de révolte de Tigrane qu’incarne avec fougue Soulaymane Rkiba. Face au public, il révèle ses désirs et frustrations, agacements, petites contrariétés et  rêves impossibles. Eric Leconte (le père) joue à merveille les adultes désengagés et égoïstes. Et Sandrine Nicolas, la professeur  ne manque ni d’élan, ni de foi en l’art et en la culture, généreuse dans son soutien à l’apprenti-artiste.

La bande-son de Sophie Berger fait résonner pop, rap et classique, le cri des mouettes et le souffle d’un vent marin rageur. La scénographe Laura Reboul a imaginé un morceau de digue qui peut faire verser dans la mer le garçon qui s’essaie aux figures libératrices, esthétiques et sportives du skate. Derrière Tigrane, au lointain, une voile  que la lumière de Jean-Claude Caillard anime en lui donnant les possibilités vivantes du théâtre d’ombres.

 L’artiste en herbe résiste et fournit des efforts à sa mesure, ce qui ne lui suffira  pas à l’accomplir son projet personnel, quand bien même le songe libérateur advient, au-delà de la mort : on le voit parler à sa professeure et rejoindre sa mère. Malgré quelques clichés sociaux sur l’enseignement, une pièce à la belle vision émancipatrice.

Véronique Hotte

Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris (VI ème), jusqu’au 8 décembre. T. : 01 42 22 66 87.

Le texte de la pièce est édité aux éditions de l’Harmattan.

Rouge de John Logan, mise en scène de Jérémie Lippmann

Rouge de John Logan, version française de Jean-Marie Besset, mise en scène de Jérémie Lippmann

©J. Stey.

©J. Stey.

Les toiles non figuratives de Mark Rothko (1903-1970) se simplifient toujours avec le temps, et leur format atteint, dans les années cinquante, les dimensions de l’Expressionnisme abstrait américain. Jackson Pollock s’exprime aussi avec des formats comparables mais Mark Rothko limite ses vastes champs picturaux à deux ou trois rectangles aux coloris lumineux et à la matière veloutée.

Détruire l’illusion et révéler la vérité, loin de la figuration académique et de l’abstraction classique: pour Mark Rothko, la peinture  est fondée sur la couleur, la texture et l’échelle. Avec un regard désenchanté porté sur le monde d’inspiration nietzschéenne, où n’existe pas de sujet hors du tragique et de l’intemporel. Son travail pictural  évolue, à mesure qu’il avance dans le temps: «vers plus de clarté, vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre et l’idée, et entre l’idée et le spectateur. » En 1969, Mark Rothko commence une série de tableaux en gris et noir. Ses dernières peintures, les Chapel Paintings, inaugurées en 1971, étaient destinées à décorer la chapelle de l’Institute for Religion and Human Development à Houston (Texas) et son œuvre a fait l’objet d’une importante rétrospective au M.O.M.A de New-York en 1961.  Il s’est suicidé dans son atelier à New-York  pour échapper au monde. Mark Rothko refusait d’exposer avec d’autres artistes et  son premier « projet d’ensemble permanent » est une commande : la décoration d’un restaurant dans l’immeuble Seagram à New York. Il y travailla de 1958 à 1959 avant d’abandonner. Il en trouvait la destination trop mondaine et mercantile. 

Le dramaturge américain John Logan saisit ce moment où le peintre est aux prises avec  cette commande et avec son assistant. Sa pièce, après avoir été jouée à Londres puis à Broadway et a reçu six Tony Awards,  Jérémy Lippmann la met en scène avec deux acteurs d’envergure, Niels Arestrup imposant et Alexis Moncorgé, plus réservé mais réactif dans le rôle de l’assistant.  Jacques Gabel a conçu une  scénographie où il invite le public dans l’atelier new-yorkais de l’artiste, un grand laboratoire sans aucune autre lumière qu’artificielle. Avec des tableaux que le maître fait descendre près du sol ou remonter dans les cintres, le temps d’expliquer sa peinture à son élève. Les espaces colorés ne se touchent jamais complètement et l’impression monumentale retient le spectateur, ainsi poussé à la contemplation. D’autres compositions, des fenêtres intérieures  aux tons proches: rouge et brun, ou rouge et noir, qui nous invitent à une projection mentale… Mark Rothko donne des instructions à Ken qu’il vient d’engager à son service. Et ce tyran domestique au discours arrogant et le méprise à cause de son manque de culture.

Le peintre, assez amer, explique, satisfait de ses commentaires mais le jeune assistant n’en mélange pas moins les châssis et prépare les toiles, donnant vie à l’atelier. Mais  seule compte ici la voix du maître… Jackson Pollock serait sous l’influence de des excès de Dionysos mais Mark Rothko, lui, répondrait plutôt aux attentes d’Apollon, enclin à la mesure et à la raison. Il faudrait plutôt unir ces philosophies pour toucher en fait à la vérité. Employeur et employé font allusion à la mort de Pollock, une mort voulue, déguisée en accident de voiture, selon Rothko, son ami.

 Mais le maître n’a pas toujours raison sur les intentions de couleur, sur la période finale de Pablo Picasso, sur le pop art et Andy Warhol et sa culture de consommation : canettes, emballages de burgers-frites-ketchup et portraits glamour de Marylin, sur les expressions paresseuses de la parole quotidienne des jeunes générations : «c’est cool, c’est bien…. Le restaurant, le film, les vacances… On doit en dire davantage! Confrontation d’époques et de regards sur le monde, l’un tourné vers le noir de la mort, et l’autre, porteur d’espoir,  malgré  une enfance blessée. Alexis Moncorgé résiste et ne se laisse pas entamer si facilement par l’Artiste. Humble et réservé d’abord, il va s’affirmer et acquérir de plus en plus de confiance en lui.

Niels Arestrup est ici père, parrain, chef et tyran:  un repère affectif et symbolique pour le jeune peintre en herbe. Mais c’est aussi quelqu’un de peu généreux, rivé à ses certitudes et à ses expériences dont il écrase l’adversaire. Un personnage dont l’aura impressionne le public, une  bête en cage allant et venant sur la scène, allumant une cigarette, buvant une bière, en dialogue intérieur permanent, provoquant l’autre et méditant sur le désastre du monde…Un morceau d’esthétique contemporaine et une belle vision existentielle.

 Véronique Hotte

 Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté, Paris ( XIV ème). T. : 01 43 22 77 74.

 

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