Le Cri de la Pomme de terre du Connecticut de et par Patrick Robine, mise en scène de Jean-Michel Ribes

Le Cri de la Pomme de terre du Connecticut de et par Patrick Robine, mise en scène de Jean-Michel Ribes

67057217-0C6B-4A2A-966D-5F733C9958ACGrand interprète animalier, naturaliste et botaniste, ce poète-acteur avait déjà été accueilli au Théâtre du Rond-Point où il avait présenté La Danse du séquoia, Le Naturaliste, Le Zootropiste, La Ferme des Concombres. Il  se déclare heureux d’y revenir…

Il arrive en kimono et  nous détaille la vie de trois cent vingt espèces de pommes de terre. Il imite la Roseval à l’étouffée ou la précoce Belle de Fontenay. En Espagne, il rencontre un élan: « C’était un bel élan ; un mâle exceptionnel avec un trophée de plus de deux mètres cinquante d’envergure ! Je l’ai rencontré en Espagne à trois heures du matin… À la sortie d’une boîte de nuit : La Chorriza. Il était là, sur le parking au milieu des Harley, il venait de faire le bœuf dans l’arrière-salle, il avait l’air paumé…. Il était blanc, tout blanc, avec des yeux noirs et des grandes cornes translucides, en arcopal. Je me dis: il a dû se perdre, ou peut-être a-t-il été rejeté par les siens. Il avait la goutte au nez et portait un vieux duffle-coat, il sentait le tabac… Il avait un tatouage dans l’oreille… Un numéro de téléphone au Canada… »

En Afrique, Patrick Robine croise un lion qui lit Roland Barthes mais fait aussi des commentaires sur les plantes, notamment un séquoia d’Aurillac qui viendrait d’Amérique de l’Ouest… «Tout a commencé un soir de septembre 1967, avec les prédateurs de la pomme de terre, la taupe, le sanglier et les Allemands. » (… ) « Je vais vous raconter ma vie.  On distingue deux cent cinq sortes de chauve-souris… »

Il commente une peinture chromo avec une mimique expressive puis évoque les chutes du Zambèze, ou l’armoire pleine de linge de table basque de sa vieille tata.«Les pommes de terre avaient tout envahi! » (…) « J’écoute beaucoup ce que me racontent les enfants… Je suis pourvu de grosses narines, alors j’ai du nez! Je reçois, je prends tout comme une éponge. Un mot, une image, un son… Rien ne m’échappe.»

Un beau solo jubilatoire, chargé de poésie et tout à fait salutaire !

Edith Rappoport

Jusqu’au 23 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt, Paris (VIII ème). T. :  01 44 95 98 21.


Archive pour 5 octobre, 2019

La Gioia de Pippo Delbono (en italien sur-titré)

 

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Photo Luca del Pia

La Gioia de Pippo Delbono (en italien sur-titré)

Le metteur en scène a parfois déchaîné les passions: pour les uns, un artiste donnant la parole aux exclus de la normalité et pour les autres, un habile truqueur sachant exploiter les bons sentiments et la compassion que peuvent ressentir les spectateurs du monde entier, devant  ces exclus.
La Gioia est un spectacle peu différent et visiblement sincère. Il fait suite à la mort de Bobo, dit Pippo Delbono, qui l’avait rencontré en 1996 dans un hôpital psychiatrique. Sourd-muet, microcéphale, Bobo a fait partie de toutes ses pièces et un lien très fort s’était établi entre eux, au-delà de la complicité artistique. Ensemble, ils ont parcouru le monde, de scène en scène, en compagnie d’autres artistes décalés et marginaux.

La maladie mentale, la folie, peut-elle être représentée sur scène sans ambiguïté et sans voyeurisme, même à travers un prisme poétique? Antonin Artaud n’est plus là pour nous éclairer et ses écrits ont donné naissance à de nombreuses expériences théâtrales… pas toujours concluantes… Mais dans La Gioia, il y a une réelle authenticité chez ces acteurs qui jouent ces tableaux très felliniens et que rechercher le public. Faire chanter en play-back Gianluca,  avec une perruque et un costume de femme, sous les reflets d’une boule à facettes, peut paraître facile… Et Pippo Delbono utilise tous les artifices: effets stroboscopiques, bascule de la lumière du plateau vers la salle, musiques sentimentales … Des ficelles  un peu grosses mais cette meute de personnages atypiques suit celui qui leur a donné une existence artistique depuis tant d’années. La plupart des spectateurs sont ici des fidèles du metteur en scène italien et, aux saluts, les nombreux  applaudissements l’ont prouvé,.

On entend les vocalises enregistrées de Bobo: l’émotion naît ici du vide laissé par sa disparition et on sent le metteur en scène désemparé : «Il y a, dit-il, des trous dans la pièce qui correspondent aux trous dans ma tête en ce moment» et la gioia (la joie) «est un chemin qu’on vit, dont on fait l’expérience pendant la traversée de la douleur».
 Comme en 1991, les acteurs de Tadeusz Kantor étaient en deuil quand ils ont créé sans lui Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, Pippo Delbono à soixante ans, est orphelin de son principal interprète et ce Requiem pour Bobo est peut être son dernier spectacle : il faut donc aller le découvrir sans hésiter.

Jean Couturier

Jusqu’au 20 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21.

Molly, texte de James Joyce, adaptation de Chloé Chevalier et Pascal Papini, mise en scène de Pascal Papini

 

Molly, texte de James Joyce, adaptation de Chloé Chevalier et Pascal Papini, mise en scène de Pascal Papini

 

AE6DC2B1-CB5F-417C-84E7-A055836571DCCe sont quelques unes des pages  les plus fortes du dernier chapitre du très Ulysse de James Joyce  initié de L’Odyssée et publié- on l’oublie trop souvent- d’abord sous forme de feuilleton dans le magazine américain The Litte Review de 1918 à 1920, puis intégralement  en 1922 à Paris, par la librairie  Shakespeare and Company fondée par Sylvia Baach. James Joyce utilise le procédé dit « courant de conscience » d’après le processus de pensée desess personnages.  Molly Bloom est l’épouse du personnage principal Leopold Blum.  Femme libre, elle a une liaison avec Blazes Boylan.

Ce dernier chapitre du livre, un long et formidable monologue intérieur, est écrit sans ponctuation en soixante-neuf pages et cinq chapitres. Molly Bloom parle avec une grande franchise et une étonnante crudité, de sa vie la plus intime, voir sexuelle… Alors qu’elle est au lit à côté de  lui et  sans vraiment se contrôler. La parole s’y écoule comme un flot ininterrompu et incontrôlé où les mots servent uniquement une pensée libre, féminine, et où les associations d’idées, les souvenirs et les mouvements irrationnels conduisent le texte. Une sorte de pensée « syllogique » parfaitement revendiquée par Joyce…  On comprend qu’il y a un siècle un tel texte, qui fait souvent penser à ceux qu’écrira plus tard Catherine Millet, ait pu susciter de violentes réactions comme celle d’une société new-yorkaise contre le vice » qui porta plainte contre James Joyce pour obscénité et  réussit à faire interdire le livre aux Etats-Unis jusqu’en 1934 !

C’est la nuit et comme la Pénélope d’Homère, elle est seule et donc absolument libre -son mari n’existe plus puisque profondément endormi- de revoir sa journée. Et monter ce monologue est tentant.  “La première question est celle de la parole. Comment rendre compte, dit Pascal Papini, du rythme d’une pensée vagabonde en un rythme de parole. Pensée à voix haute, adresse à l’autre (public) soi-même, en respectant cet essoufflement progressif de ces huit phrases sans ponctuation… Il s’agit de jouer l’immédiateté de cette parole. »

Sur cette très petite scène, rien qu’un lit dans le fond et deux tabourets d’horloger. Mais on a du mal à croire à la présence du mari de Molly. Mais cela finalement importe peu et Chloé Chevalier va tout de suite nous emmener dans la pensée divagante  mais à l’intelligence acérée de Molly. Tout y passe et elle ne nous cache rien de sa vie sentimentale et/ou sexuelle. « Oui parce qu’ils sont tellement faibles et geignards quand ils sont malades ils ont besoin d’une femme pour aller mieux (…) oui il est allé faire ça quelque part j’en suis persuadée à l’appétit qu’il montrait en tout cas c’est pas de l’amour sinon il aurait pas eu faim en pensant à elle alors soit c’était une de ces professionnelles si c’est vraiment là-bas qu’il est allé et cette histoire d’hôtel qu’il a inventée un paquet de mensonges pour cacher qu’il le faisait (…) oui (…) ou alors sinon c’est une petite pute quelconque qu’il a levée je ne sais où ou bien ramassée en douce »  Ou encore donc il doit bien le faire quelque part et la dernière fois qu’il a joui entre mes fesses quand était-ce la nuit où Boylan m’a pressé si fort la main en marchant le long de la Tolka mettez votre main dans la mienne j’ai juste serré le dos de la sienne en retour comme ça avec mon pouce en chantant La jeune lune de mai resplendit mon amour aussi parce qu’il se doute bien de quelque chose entre nous il est pas si bête il a dit je dînerai dehors et j’irai à la Gaîté. »  (…)

A moins que je me paie un joli garçon pour faire ça puisque je peux pas le faire moi-même je plairais bien à un très jeune homme je le troublerais un peu seule avec lui je lui laisserais voir mes jarretières les neuves et je le ferais rougir en le regardant je le séduirais je sais ce que ressentent les garçons avec ce duvet sur les joues toujours en train de faire joujou avec leur machin. » (…)  «  celui-ci en tout cas le bout se dresse pour un rien je lui ferai garder son machin en l’air et je prendrai de ces œufs battus dans du Marsala pour les gonfler pour lui c’est quoi toutes ces veines et ces machins c’est bizarre comme c’est fait les deux pareils en cas de jumeaux ils sont censés incarner la beauté placés là en haut comme ces statues du musée l’une d’elle faisant semblant de le dissimuler derrière sa main est-ce qu’elles sont si belles c’est sûr comparé à ce qu’un homme a l’air avec ses deux sachets pleins et son autre machin qui lui pend par devant ou qu’il vous dresse en l’air comme un portemanteau pas étonnant qu’il la cache avec une feuille de chou. »

Chloé Chevalier est impeccable, à la fois pleine d’un humour ravageur et d’une volonté d’en découdre avec un texte passionnant mais loin d’être facile à tenir et à retenir, puisque situé entre un pur récit et une sorte d’incarnation/ incantation personnelle. En une heure et quelque, cela représente une sacrée performance. Les scènes sont actuellement envahies par des seuls en scène mais ne ratez pas celui-ci : il est d’un  tout autre niveau. Souvent joué au théâtre, ce monologue de Molly Bloom est à chaque fois intéressant mais il est ici d’une très rare qualité…

 Philippe du Vignal

 Théâtre des Déchargeurs 3, rue des Déchargeurs, Paris (I er). T. : jusqu’au 19 octobre. T. : 01 42 36 00 50

 Ulysse de James Joyce est publié aux éditions Gallimard.

 

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