Maldoror, d’après Les Chants de Maldoror de Lautréamont, mise en scène de Benjamin Lazar
Maldoror, d’après Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont, mise en scène et interprétation de Benjamin Lazar
Il faut une certaine audace pour adapter au théâtre une œuvre aussi fameuse que mal connue du public et peu enseignée, même si elle a été commentée par de nombreux écrivains. Depuis les Surréalistes qui révélèrent Isidore Ducasse, jusqu’à Gaston Bachelard qui le qualifie de «poète des muscles et du cri». Un auteur étrange et fascinant : le Chant premier, publié en 1868, était anonyme et un an plus tard Les Chants de Maldoror paraissaient en Belgique sous le nom d’un certain « comte de Lautréamont ». Enfin les Poésies, éditées plus tard, sont signées Isidore Ducasse… On sait aujourd’hui que la courte vie longtemps nimbée de mystère, du jeune écrivain, né en 1846 à Montévideo (Uruguay), se termina en 1870 à Paris, à son domicile, 7, rue du Faubourg Montmartre. `
Le metteur en scène situe l’action dans la chambre où le narrateur tisse son récit « somnifère», rêve et compose, dans la souffrance, ses chants noirs et provocateurs. Un table, un lit parsemé de fleurs, devant lequel se dresse parfois un tissu blanc servant d’écran pour des images vidéos ou pour des jeux d’ombres. L’adaptation puise dans les cinq premiers chants laissant de côté le sixième et reste fidèle à la nature fragmentaire de l’œuvre, faite de strophes détachables qui empruntent à tous les modes discursifs : imprécation, récit, fable… Le caractère oral de la prose se prête à une transposition scénique.
Dans le Chant premier, s’esquisse même un semblant de drame dialogué : « Une famille entoure une lampe posée sur la table/-Mon fils donne moi les ciseaux qui sont placés sur cette chaise/-Ils n’y sont pas mère…» Le comédien en profite pour amorcer un théâtre d’objets avec une petite tempête dans une verre d’eau quand, dans cette famille idyllique, surgit Maldoror, une sorte de vampire en quête du sang de garçons imberbes. Esprit satanique, haineux, voué à la destruction ( « J’ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer le désordre dans les familles ») mais en mal d’aurore comme le rappellent la fin du Chant cinquième : « Il ouvre les contrevents de la fenêtre. » (…) «Il contemple la lune qui verse sur sa poitrine des rayons extatiques. » (…) «Il attend que le crépuscule du matin vienne apporter par le changement de décors, un dérisoire soulagement à son cœur bouleversé.»
Sur scène comme dans le livre, Maldoror est, soit le sujet de l’énoncé et des commentaires, ce qui permet à l’acteur de nombreuses adresses au public au nom de l’auteur, soit le héros qui prend alors le dessus sur le narrateur et donc la parole. Benjamin Lazar joue de cette ambigüité, de ce “je“ versatile, pour construire un personnage composite et tenir la pièce par les deux bouts. Un parcours cohérent et concis, même si le rythme laisse à désirer dans la première demi-heure, souvent noyée dans une abondance d’images-vidéo. Benjamin Lazar réussit à mieux nous captiver quand le théâtre prend le pas, avec des jeux de scène simples, accessoires et lumières signifiants. La musique, elle, reste le plus souvent en retrait. «Lire Maldoror, écrivait Maurice Blanchot: c’est consentir à une lucidité furieuse dont le mouvement d’enveloppement, d’embrassement ne se laisse reconnaître qu’à son terme, et comme l’accomplissement d’un sens absolu, indifférent à tous les sens momentanés par lesquels doit passer le lecteur… » (…) « La lecture de Maldoror est un vertige.»
Mais ici, on est loin du vertige… avec cette version des Chants un peu trop timide L’acteur-metteur en scène donne un certaine naïveté à son double personnage, le démythifie en un jeune homme mélancolique. On est loin du « dynamiteur archangélique » décrit par Julien Gracq qui tenait Isidore Ducasse comme un « grand dérailleur de la littérature ». Fidèle mais trop sage, Benjamin Lazar nous invite à un joli voyage poétique dont on retiendra le rêve romantique de l’Hermaphrodite, le naufrage du paquebot et la copulation monstrueuse de Maldoror avec une femelle-requin, ou encore le récit rocambolesque du cheveu, dans cette maison de passe si bien décrite : «Une lanterne rouge, drapeau nu du vice, suspendue à l’extrémité d’un tringle, balançait sa carcasse au fouet des quatre vents. » Le bestiaire gothique : aigles, condor, crapauds, requins, poules, pourceaux, corbeaux… omniprésent dans le livre prend aussi toute sa place dans ce spectacle qui nous donne envie de relire ce «cri d’ironie immense».
Mireille Davidovici
Du 2 au 5 octobre puis du 15 au 19, Athénée -Théâtre Louis-Jouvet, square de l’Opéra Louis-Jouvet, Paris (IX ème). T. : 01 53 05 19 19.