Othello d’après William Shakespeare, mise en scène d’Arnaud Churin

 Othello d’après William Shakespeare, mise en scène d’Arnaud Churin

 

©Photo de répétition. Pénélope Ambert

©Photo de répétition. Pénélope Ambert

Créée en mars dernier à la Scène Nationale d’Alençon, cette mise en scène nous arrive avec une réputation de renversement volontaire des signes : le Maure, seul Noir au milieu des Vénitiens blancs, est joué ici par un acteur blanc, seul au milieu des Vénitiens noirs. Dans ce contexte qui interroge, et à juste titre, la notion de race, cette création pourrait passer pour un manifeste, voire un essai  en vue de démontrer la relativité respective des situations d’exclusion. Mais ce projet, plus vaste qu’un simple renversement du regard,met en jeu aussi bien le poids du langage dans la vengeance de Iago que le machisme exercé  sur Desdémone par un système de pouvoir, du Doge jusqu’à son époux Othello qui condamne la femme sans l’entendre.

 Grâce à la scénographie de Virginie Mira qui a imaginé des voiles suspendus et transparents avec de légers déplacements,  (nous sommes au bord de la mer soit à Venise, soit à Chypre), l’espace devient palais, ruelles, port, place publique, jusqu’à la chambre du meurtre final. Intérieur et extérieur se confondent, tissant dans un espace commun les éléments objectifs de la guerre contre Chypre et les sentiments des protagonistes. Cette transparence, parfois mouvante, parfois opaque, évoque aussi le labyrinthe du langage, ce qu’il dit et ce qu’il cache, le double sens des intentions,  comme ce que l’on croit voir et croit  comprendre. La mise en scène, grâce à cet appareillage simple, suggère, plus qu’elle ne démontre, toutes les méprises qui vont, au fur et à mesure des stratagèmes de Iago, emprisonner Othello dans le fil arachnéen du doute.

 Les acteurs choisis par cooptation, en fonction de leur sensibilité au projet, laissent apparaître des tempéraments plus assurés que d’autres, ce qui n’entame en rien le charme de cette mis en scène. Daddy Moanda Kamono (Iago) construit son personnage par petites touches autour de la nécessité d’obtenir le commandement qu’il espère et qui lui échappe. Et le premier jaloux de la pièce, c’est lui. Conscient de sa jalousie dévorante, il la met au service de son ambition et voit qu’il lui est possible de faire coup double: se débarrasser du général Cassio et détruire Othello qu’il exècre, en accusant Desdémone de familiarité avec son rival.

D’étape en étape, Daddy Kamono nous entraîne dans le sombre escalier de la conscience malade de Iago, sans jamais simplifier ni éclairer cette longue descente dans les sous-sols du mal. Du grand art… Emilia, sa femme (Astrid Bahiya) au service de Desdémone, est au courant des sombres projets de son mari mais se détourne petit à petit de la machination ultime,  avec un jeu tout en finesse et elle finit par affirmer l’autonomie morale de son personnage.  Ce personnage qui se révèle et s’enrichit tout au long du spectacle, est la belle révélation de cet univers sombre où chacun est attaché à ses intérêts. Autre jolie découverte, la toute jeune Julie Héga  incarne une Desdémone juvénile, primesautière, libre en un mot, aussi bien du joug paternel que des figures obligées de la cour du Doge. Telle une biche gambadant vers son destin, elle choisit l’homme différent, celui qui vient d’ailleurs, le «Caucasien», Othello, l’homme de guerre qui l’aime éperdument. Mais ici, ce couple ne fonctionne pas vraiment bien : Mathieu Genet peine à trouver le registre qui l’affirmerait comme chef d’armée et comme amant. Son Othello, un peu fade, disparaît sous les égards amoureux de sa femme.

Cette appellation de «caucasien», pour cet homme blanc (venu des steppes ?) laisse d’ailleurs songeur : le terme a été créé au XIX ème siècle par des anthropologues européens, avec une nette intention de classification raciale. Il englobait d’ailleurs les populations moyen-orientales. Par quelle étrangeté, ce terme inventé trois siècles plus tard, aurait-il pu se trouver dans la bouche de Noirs au temps de Shakespeare ? Panne d’inspiration donc, pour trouver un terme alternatif à celui de Maure, autrement plus poétique et peut-être plus inquiétant. On peut aussi s’interroger sur le choix d’une esthétique samouraï : Arnaud Churin a choisi des costumes japonisants et donné une gestuelle guerrière à ses comédiens. Venise est menacée, certes et l’Orient est conquérant. On reste quand même un peu médusé par ces hakas sporadiques, d’ailleurs venus d’Océanie et non du Japon…

 Malgré ces quelques faiblesses de mise en œuvre, le spectacle, à la racialisation inversée, prouve qu’Othello n’est pas seulement une pièce sur la haine de l’Autre, ni sur le dur chemin pour faire reconnaître sa valeur, ni même sur le désordre profond que la jalousie apporte à l’ordre social comme à la paix du couple: le metteur en scène met aussi l’accent sur le meurtre d’une femme qui s’est donné la liberté d’aimer qui elle veut, et sur la fonction du langage comme matière première de l’aveuglement.
En effet le récit de Iago est le réel d’Othello, qui se substitue à ce qu’il sait et éprouve. Manipulation qui n’est l’apanage ni des Noirs ni des Blancs et Iago, à plus d’une reprise, a de profondes réflexions sur la nature de ses choix et la notion de volonté y est centrale : «Nos corps sont nos jardins, dit-il, mais nos volontés sont nos jardiniers.» Plus puissantes que les règles d’obéissance en vigueur, elles peuvent renverser les usages, la bienséance et l’honneur. «Le cœur est la plus grande armée de l’univers.» Et ce que notre volonté et notre cœur désirent, aucune morale ne saurait nous en priver.

Chaque époque s’approprie les grands textes du répertoire en fonction des réalités. Arnaud Churin tient à renverser la perception du public par cette inversion de couleur de peau, en répondant sans doute à ses convictions personnelles, comme à son envie de travailler avec Denis Pouwara, Nelson-Rafaell Madel, Aline Belibi, Jean-Felhyt Kimbirima et Ulrich N’Toyo, tous excellents.  Ils laissent ouvertes toutes les pistes (poétiques, psychologiques, sensuelles, historiques) qui nourrissent le regard d’un spectateur, sans l’enfermer dans une démonstration par trop contemporaine de nos débats actuels..

Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au 19 octobre, Théâtre de la Ville-Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème)

 Et du 13 au 16 novembre, Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines)

 

 

 

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