Réouverture du Théâtre Legendre, une nouvelle salle de la Scène nationale d’Evreux

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©simon-falguieres

 Le Tangram, un jeu chinois à sept pièces qu’il faut combiner pour obtenir des figures équilibrées, a donné son nom à un Etablissement Public de Coopération Culturelle (E.P.C.C. ) soit un ensemble de lieux de spectacle et de cinéma. Avec, à Evreux : une Scène nationale dotée d’un théâtre et d’un studio de répétition, le Kubb, un centre de musiques actuelles en voie de labellisation et deux salles de spectacle au Cadran-Palais des Congrès. Mais aussi et  appartenant à cette même Scène Nationale, un autre salle à Louviers.
 
Valérie Baran, la directrice nommée en juillet dernier,  aura donc à gérer cinq entités soit sept salles. Avec une équipe de trente-trois personnes et un budget de quatre millions trois cent mille euros… Elle arrive porteuse d’un nouveau projet, après avoir quitté à regret le Tarmac, (ex T.I.L.F. fondé par Gabriel Garran), unique scène internationale francophone à Paris que le ministère de la Culture a attribuée à Théâtre Ouvert dont le bail Cité Véron n’a pas été renouvelé. Dans un premier temps, Valérie Baran entend consolider le travail de son prédécesseur, Christian Mousseau-Fernandez, remercié brutalement lui aussi après trois ans d’un mandat consacré à la préfiguration de cet ensemble. «J’aime les paris, dit-elle. J’aurais à donner une identité propre à chacune des pièces de ce puzzle et à développer des synergies entre elles.»

Le Kubb accueille des concerts de musiques actuelles dans ses deux salles de 600 et 120 places, avec, au programme : variétés jazz, rock, world… Son équipe accompagne les musiciens de la région: professionnels, amateurs en voie de professionnalisation, jeunes… avec un studio d’enregistrement et trois pour les répétitions. Le directeur-délégué, Alban Legrand, se réjouit de construire des projets avec les pôles théâtre et cinéma et il participera, dès 2021 au festival international des AnthropoScènes. Il interrogera les grandes mutations environnementales et humaines, en réunissant l’ensemble des établissements du Tangram. «Le rapport de l’homme à la nature, à l’environnement, m’intéresse, nous sommes dans la ville la plus arborée de France », précise Valérie Baran qui va organiser des résidences d’artistes pour des créations. Les auteurs de théâtre auront leur place dans ce dispositif  avec  sans doute un comité de lecture, comme au Tarmac… Elle prévoit de créer aussi des focus à l’international: « Nous sommes seulement à quarante-cinq minutes de Paris, ce qui devrait faciliter la circulation des artistes.» Mais Valérie Baran n’oublie pas le territoire de l’Eure et a déjà mis en place de nombreux projets entre Evreux et Louviers. Et les collaborations se multiplient avec les théâtres voisins de Conches, Gisors, le Val-de-Reuil, la vallée de l’Andelle, Verneuil, Vernon…

 Du sycomore à la scène

 

 © Le Tangram

© Le Tangram

Heureux présage : l’arrivée de Valérie Baran coïncide avec la réouverture de ce petit théâtre à l’italienne fermé pendant treize ans, les travaux ayant fluctué et les architectes ayant changé au gré des municipalités successives… Aujourd’hui rénové et doublé d’une extension, le théâtre retrouve son état initial avec une salle de 340 places, redorée et repeinte, une arrière-scène agrandie et une immense verrière ouvrant sur la place. Jouxtant la mairie, la médiathèque et la Maison des Arts, ce bel édifice doté d’une architecture alliant l’ancien et le contemporain, ramène la culture au centre d’une ville qui fut détruite à 80 % par les bombardements pendant la deuxième guerre mondiale.

Jacques Falguières avait pris la tête d’une modeste salle municipale en 1978. Il en a fait une Scène nationale et y a laissé son empreinte de metteur en scène jusqu’en 2009. Son fils Simon, un  jeune auteur-metteur en scène (voir Le Théâtre du blog) qui a grandi dans ces murs, nous fait l’honneur des lieux. Nous le suivons ainsi que la chorégraphe Ambra Senatore pour Du sycomore à la scène, une déambulation en hommage à l’arbre tricentenaire qui veille sur la place. On nous emmène du sous-sol à la scène,  par une passerelle vertigineuse qui relie l’annexe moderne à l’ancien bâtiment puis aux loges…

Arrêt émouvant dans un studio de répétition sous les combles : une maquette défraîchie, réplique de l’ancien théâtre, castelet récupéré parmi les accessoires d’autrefois, s’ouvre soudain sur un décor miniature rouge et or où un vieil acteur nous lit un texte poétique : «Et l’homme qui habitait les mots rêvait qu’il était une homme qui rêvait qu’il habitait les mots, et l’homme qui habitait les mots, etc ». Certains spectateurs reconnaissent Yves-Robert Viala qui joua souvent dans ce théâtre. 

Ce parcours se termine sur le plateau, derrière le rideau de fer qui va s’ouvrir sur la salle. Assis parmi les fauteuils vides, Jacques Falguières est là, aussi ému que son  fils et que les spectateurs qui avaient, pour la plupart, vu sur cette scène ses mises en scène mémorables comme Le Mot rideau ne tombe jamais ou ce qu’Alice trouva derrière le théâtre, une adaptation-marathon d’Alice au pays des merveilles par Yves-Robert Viala, en douze heures… Sans renier le passé et  après quelques années trop mouvementées, l’équipe du Tangram se prépare à trouver ses marques au sein de cet établissement public pour le moins complexe…

 Mireille Davidovici

 

Le Tangram : T. 02 32 29 63 32 . letangram.com

 A Évreux (Eure) :Théâtre Legendre, 1 square Georges Brassens , le Kubb 1, avenue Aristide Briand et  Le Cadran, 1 boulevard de Normandie.

 A Louviers (Eure) : Le Grand Forum, Boulevard de Crosne : T. 02 32 25 23 89

 


Archive pour 8 octobre, 2019

Abgrund (L’Abîme) de Maja Zade, mise en scène de Thomas Ostermeier

©Arno Declair

©Arno Declair

 

Abgrund (L’Abîme) de Maja Zade, mise en scène de Thomas Ostermeier (en allemand surtitré)

 Après Status Quo, L’Abîme est la deuxième pièce de Maja Zade mise en scène à la Schaubühne… Dans leur cuisine/salle à manger luxueuse à la grande table en inox et aux chaises hautes, Bettina et Matthias, de jeunes bobos, ont invité quelques couples amis. Il y a du bon vin rouge dans des verres à pied. Luxe, calme et une certaine volupté, sous un éclairage tamisé.

Le maître de maison prépare le dîner tout près de ses invités et ils discutent à bâtons rompus de sujets socio-politiques. Tout y passe : consommation, faillite du système, crise migratoire, société de consommation, importance de la religion, voire homosexualité…) Avec clichés et lieux communs habituels, comme dans tous les dîners -c’est même la loi du genre et on n’est pas dans un séminaire d’université-  il ne faut pas que le silence s’installe entre gens qui ne se connaissent pas tous. Erwin Goffmann appelait cela la fonction phatique du langage… Cela pourrait se passer à Paris, Milan, Berlin, Londres ou Madrid. Conversations le plus souvent futiles, parfois très loin de Tchekhov mais surtout des fameux dialogues d’Harold Pinter et bien entendu, c’est le sous-texte qui compte ici…

 On comprend vite que Maja Zade veut montrer le vide de ces conversations sur fond d’alcool entre gens courtois d’un même milieu social qui n’ont guère de personnalité et qui, finalement assez médiocres, se ressemblent tous. Alors qu’à quelques mètres, la pire des horreurs va arriver.  Dans leur chambre, Pia, la petite fille de Bettina et Matthias, aux cheveux blonds à craquer et sa sœur encore bébé Gertrud.  Pia n’arrive pas à dormir et vient faire un tour parmi les adultes. Puis, comme dans une tragédie antique que pourtant ni Sophocle ni Euripide n’avaient mis en scène, arrive le pire des faits divers: en quelques secondes, l’adorable petite fille blonde deviendra une meurtrière. En balançant le bébé par la fenêtre.

Etat de choc des parents et de leurs invités. Oui, les meurtres perpétrés par des enfants, cela existe et pas seulement dans des milieux marginaux.  Dans notre douce  France, Honorine, dix ans, jeta deux enfants en bas âge dans un puits, les 16 et 19 juin 1834! Et très près de nous, en 2005, Pierre F., 14 ans, pas considéré comme violent, avait exécuté ses parents, son petit frère et grièvement blessé sa jeune sœur au domicile familial en Seine-Maritime. Comparaison n’est pas raison, le milieu social n’est sans doute pas le même… Mais comment et pourquoi, Pia est-elle passée à l’acte et quid, de la responsabilité des parents ? Rivalité entre la petite criminelle et la victime, jalousie inconsciente mais bien réelle. Jean-François Rabain, psychiatre pour enfants, avançait en 1995 qu’il existait une tentation fratricide que les individus doivent surmonter au cours de l’enfance et de l’adolescence.
Et la fréquence des actes fratricides est sous-évaluée: certains parents camouflant l’incident  pour que le décès  soit considéré comme accidentel. La cause ? Sans aucun doute, une jalousie suite à un conflit non résolu associé à la relation parentale, la naissance de la future victime étant perçue comme un rejet des parents, surtout de la mère. Mais ce passage à l’acte est réalisé sans préméditation et la plupart du temps en l’absence d’adultes sur place. Et par un enfant qui ne perçoit pas l’irréversible de son acte: chez lui, la mort d’un être humain est encore quelque chose de flou. Sur le plateau noir, juste autour de cette grande table, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Jenny König, Laurenz Laufenberg, Isabelle Redfern, Alina Stiegler, jeunes acteurs de la Schaubühne de Berlin: tous impeccables, avec un jeu sobre et efficace. Sous la direction tout aussi sobre et efficace du grand Thomas Ostermeier. A l’entrée, nous sommes priés  de mettre des écouteurs pour entendre la partition sonore et les  dialogues. Chaque comédien étant équipé d’un micro H.F. et sa voix se situant à gauche, au milieu et à droite de la scène, comme nous l’indique avant le spectacle, une charmante voix  féminine. Et effectivement, cela fonctionne! La belle affaire… On ne voit pas en effet comment cette technologie qui a dû coûter fort cher à installer, peut apporter quelque chose d’essentiel…

La pièce commence assez bien avec une teinture pintérienne mais fait vite plouf et le titre de chaque séquence projeté sur écran casse encore plus un rythme qui n’avait pas besoin de cela. Il y a de temps à autre d’inutiles projections vidéo de la chambre des enfants en sur-impression sur un grand tulle à l’avant-scène. Techniquement, c’est irréprochable comme toujours chez le célèbre metteur allemand mais l’ensemble reste froid et cette histoire ne suscite aucune empathie. Bref, on s’ennuie vite et cette heure quarante passe bien lentement.  L’auteure n’est arrivée pas à bien traiter un fait divers des plus tragiques mais  on se demande aussi pourquoi Thomas Ostermier a-t-il eu envie de monter ce texte qui ne résiste pas à l’épreuve du plateau . Dommage..  A voir uniquement pour le jeu brillantissime de ces jeunes acteurs mais sinon on peut s’abstenir, et cet Abgrund restera dans l’abîme des pièces ratées…

Philippe du Vignal

Théâtre Les Gémeaux, 49 Avenue Georges Clemenceau,  Sceaux (Hauts-de Seine). T. : 01 46 61 36 67. Jusqu’au 13 octobre.

Jeu de trait, Jeu de théâtre, exposition de dessins de Nikolaï Sokolov

Jeu de trait, Jeu de théâtre, exposition de dessins de Nikolaï Sokolov

IMG_0594 - copieVoilà longtemps que Paris n’avait pas accueilli une exposition de portraits d’acteurs. La famille de Sokolov et la Comédie-Française font revivre, en images, sa première tournée en Union soviétique, en 1954. L’Association Française d’Action Artistique qui dépendait du ministère des Affaires étrangères y avait aussi envoyé les troupes de Louis Jouvet,  Jean-Louis Barrault et celle du Théâtre National Populaire dirigé par  Jean Vilar. 

Une occasion pour les Koukryniksy, un collectif de peintres et caricaturistes soviétiques, dont Nikolaï Sokolov (1903-2000) était le représentant de faire le portrait des comédiens. Ce collectif a collaboré avec Vsevolod Meyerhold, le célèbre metteur en scène, à plusieurs reprises, en particulier en 1929 pour la création des décors de Klop, puis en 1932 pour la conception de la pièce Histoire d’une ville au Théâtre académique de la Satire de Moscou, et régulièrement avec le Théâtre TRAM de la Jeunesse ouvrière.

Nikolaï Sokolov noua des liens d’amitié avec nombre de ballerines, acteurs et metteurs en scène. Pour ses croquis au Théâtre Bolchoï, il puise son inspiration chez les impressionnistes et notamment chez Edgar Degas, l’un de ses peintres préférés. En 1937, en reprenant les dessins et peintures de Nikolaï Sokolov, le groupe Koukryniksy crée une série de caricatures d’artistes,  sous forme de sculptures, desœuvres récompensées par une médaille d’or  à l’Exposition universelle de Paris.

 «Les Koukryniksy, écrit-il avec humour, ont établi une division du travail très stricte, tout le travail se fait en bande. L’un d’eux trouve les sujets, l’autre sait bien dessiner les jambes et les nez et il sait caricaturer, le troisième touche l’argent». Nikolaï Sokolov a croqué ces artistes  en tournée, symboles du rapprochement entre l’Est et l’Ouest. Ses héritiers qui vivent en France, ont répertorié ses dessins, en collaboration avec Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française, pour les exposer au Studio de la Comédie Française.  

Les acteurs de la Comédie-Française sont partis avec Molière: Tartuffe mise en scène de Fernand Ledoux et Le Bourgeois gentilhomme mise en scène de Jean Meyer mais aussi avec  Le Cid de Corneille, mise en scène de Jean Yonnel et Poil de carotte de Jules Renard. Une tournée avec une cinquantaine de panières de costumes  qui accompagnaient les acteurs voyageant en train, le buste et le fauteuil de Molière… Nikolaï Sokolov (1903-2000) va réaliser des caricatures des grands acteurs au cours de cette tournée mythique qui symbolise un rapprochement, au moins culturel, entre Est et Ouest.  On découvre ainsi les portraits de Louis Seigner, Jean Piat, etc.

IMG_0587 Mais on peut aussi voir  ceux  de Jean Vilar (dessin ci-contre) et de  Maria Casarès: en 1956, le gouvernement français demanda en effet à Jean Vilar d’aller faire une tournée en Union soviétique. Le T.N.P. , du 13 septembre au 7 octobre, donnera donc vint-trois représentations à Moscou et à Léningrad devant plus de 33.000 spectateurs!  Avec, au programme: Dom Juan de Molière, Le Triomphe de l’amour de Marivaux et Marie Tudor de Victor Hugo… On peut voir aussi le portrait d’André Malraux reconnaissable à ses épaules voûtées et ses yeux globuleux.

La petite-fille de l’artiste, Anna Sokolova, a donné à ces archives une nouvelle vie : ces dessins, photos, notes de mise en scène et quelques films restent aujourd’hui les seuls témoins de ce glorieux passé, et nous rappellent que le théâtre reste un vecteur d’unité entre les peuples. Le dessin au trait simple définissant le visage des acteurs sont souvent proches de celui Georges Goursat dit Sem (1863-1934), célèbre graphiste et caricaturiste du monde des arts. Les Comédiens-Français et ceux du T.N.P. qui ont fait ces tournées mythiques méritent bien une visite…

Jean Couturier

Jusqu’au 20 février, Studio-Théâtre, Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). T. : 01 44 58 98 58.

A consulter : Nicole Bernard-Duquenet, La Comédie-Française en tournée ou Le Théâtre des cinq continents, 1868-2011, L’Harmattan, 2012.
Pierre Descaves, Molière en URSS, Amiot-Dumont, 1954.
La Comédie-Française en URSS
, in Paris-Théâtre, juillet 1954, n° 86.

 

Festival Jours et [Nuits] de cirque(s) au Centre International des Arts du Mouvement

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Akoreacro

Festival  Jours et [Nuits] de cirque(s) au Centre International des Arts du Mouvement

 Un doux week-end d’automne dans la pinède abrite le C.I.A.M. d’Aix-en-Provence, inauguré en 2013. Deux beaux chapiteaux, espaces consacrés à la création et à l’innovation et le plus petit chapiteau du monde, pour quarante spectateurs enfants et adultes, celui des Zampanos. Sans compter, pour la vie et l’appétit du festival, des camions-cuisines de diverses spécialités, une librairie et surtout des ateliers d’initiation pour les enfants, au fil, au trapèze et au jonglage, et pour les plus grands, des baptêmes au trapèze volant. Le tout formant une jolie remontée de vacances. Au centre, le cirque  avec un public bienveillant, vivant et dont on partage les rires, le souffle retenu et les réactions.

Un public qui a bien accueilli Urban et Orbitch de la compagnie Microsillon, avec une errance nocturne de Bobitch dans la ville hostile. Dans un décor de déchets, poubelles et portes fermées, le clown fait vivre les perdus de la nuit, face à une institution mécanisée, débordée, incapable de les secourir. On rit des relations heurtées et tendres qu’entretient ce clochard avec son fauteuil roulant, sorte d’animal de compagnie, on rit du “bien vu“  et de la fantaisie. On rit moins d’un regard un peu convenu sur les boîtes gay (le clochard avec ses hauts talons en satin rouge). Une épatante bande-son recrée tout un monde, cruel, ironique, surprenant, autour d’un Bobitch à la dignité sans cesse en travail. On serait tout à fait content si les hauts et les bas du spectacle étaient vraiment joués, habités et si les moments creux, à plat, étaient ceux de la nuit, et non ceux du spectacle.

Daniil et Jenni

Daniil et Jenni

Mais joie presque totale pour Dans ton cœur de la compagnie Akoreacro. Presque, parce que retardée par une trop longue installation dans les gradins et une inutile mise en condition du public. Mais dans la mise en scène de Pierre Guillois, la troupe joue du masculin et du féminin et  toute l’histoire d’un couple : rencontre, famille qui s’agrandit, se défait… On jongle avec les appareils électroménagers  et les amoureux volent en plein rêve aux mains des porteurs dans ce spectacle né en 2017 (voir Le Théâtre du Blog). On a envie de tout raconter et de s’ébahir de cette dramaturgie virtuose, de l’invention et la finesse de cette énergie acrobatique mises au service du théâtre. Comédie, drame, performance, magie du mouvement : on en redemande. Allez, encore un souvenir savoureux: quand la super-Héroïne dézingue avec ses super-pouvoirs, les garçons qui lui permettent de voler…

Cabaret

 Un chapiteau avec tables et chaises sur les gradins autour d’une piste surélevée, accueille un Cabaret non moins réussi, sans autre fil conducteur que les haubans du chapiteau lui-même. Et un fil sur lequel marche Jenny Kastein, désinvolte, en short de jean comme si elle était dehors, puis de moins en moins désinvolte et de plus en plus virevoltante. On la reverra au cours du spectacle, envolée dans un superbe main-à-main avec Daniil Biriukov qui reviendra lui, pour d’autres pyramides.

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La féminissime Ava (Oriane Bernard), dans un fourreau de satin vert émeraude, apporte au spectacle une troublante note rétro avec son numéro d’avaleuse de lames de rasoir et son audace à se hisser dans les cintres avec les dents. Un clown très discret (Julot Cousins) en costume gris à peine flottant et au chapeau plat à la Buster Keaton, viendra, après quelques tours vertigineux de hula hoop en haut d’un mât instable, déshabiller Ava d’un seul geste… On ne sait ce qu’on aime le plus dans ce Cabaret : la perfection presque distante, sans tapage de l’acrobatie ou du jeu avec la roue Cyr (Vincent Bruyninckx), l’humour et l’habileté du trio Moi et les autres qui joue les empêtrés (la rigueur et la fluidité des changements d’agrès aux mains d’une équipe de régisseurs au top, l’entrelacement des numéros, mis en piste par Davis Bogino et Christian Lacrampe. Surtout la musique d’Arnaud Méthivier, accordéoniste et compositeur, avec le violoniste Pierre-Marie Braye Weppe et le batteur Jean-Paul Moreau font de ce Cabaret, un organisme vivant. Le public écoute, accompagne souffle par souffle, parfois jusqu’au silence, non pas les numéros (on n’applaudit pas à la fin de chacun) mais les artistes, les personnes engagées. Et cela crée sous le chapiteau une communion rare  avec une attention et un soutien apporté aux acrobates. Aucun doute, à ces moments-là, on se dit que le cirque est vraiment un art.

Réalité virtuelle

Hold On 1

Hold On 1

Le C.I.A.M. et le festival offrent peut-être de plus original : le Pôle Innovation et le Chapiteau Création. Place, dans le premier, aux « arts numériques » qui viennent augmenter les arts du mouvement. Hold On (Restez en ligne) de la compagnie Fheel Concept, est né d’une chute de l’artiste aérienne Corinne Linder. Elle met en scène, dans nos lunettes connectées, le trac de l’entrée sur la piste, la peur et l’exaltation au sommet de l’agrès et la sidération de la chute. L’image est belle, sans que l’on ressente forcément le vertige et pourtant il ya quelque chose de vertigineux dans cette survie numérique d’un numéro qui ne peut plus avoir lieu…

À suivre, avec leur création The Ordinary Circus girl qui intégrera  la réalité virtuelle. Yoann Bourgeois, avec Fugue VR pousse sa recherche dans une autre direction, plus fantastique et fait traverser le trampoline par son double, le libère en fantôme, fait littéralement bouger les lignes en plaçant lui aussi, le spectateur au bord de son propre saut, faisant vaciller la perception. Esquisses très intéressantes dans les deux cas mais qui rappellent à la réalité et à la priorité du cirque physique et du mouvement: il y a encore du chemin entre la performance d’origine et son modeste développement numérique.

Hétérographies circassiennes

L’innovation la plus originale du festival reste le très sérieux et très drôle Workshops cirque et sciences humaines. Trois duos de scientifiques et d’artistes (merci à ces mots épicènes de nous éviter les difficultés de l’orthographe inclusive !) avec la contorsionniste Angela Laurier, pas vraiment à la retraite –vraiment pas- et l’historienne Karima Direche, confrontent leur difficultés à rendre compte des émotions nées du parcours de la comédienne syrienne Fadwa Suleiman, emblème de son pays, morte à quarante-sept ans. Vincent Berhault, jongleur et metteur en scène que l’on pourra voir au festival d’Auch Entre avec sa compagnie Les Singuliers est à l’initiative de ces duos. Il apporte une perturbation insolite et gracieuse au très sérieux cours sur la laïcité de Vincent Geisser, politologue et sociologue, qui, lui-même, se laisse embarquer du côté du clown blanc… L’Auguste Cédric Paga cherche à se faire soigner par le docteur en ethnomusicologie Olivier Tourny. Rire et réflexion naissent dans l’entre-deux, un lieu des complicités, chausse-trappes et émotions partagées. Moments d’un cirque très éphémère, -on ne voit pas ces chercheurs partir en tournée, sinon pour quelques colloques- mais c’est peut-être aussi la vocation d’un festival d’offrir ce genre de parenthèse créative.

Impossible de voir Le Petit cirque boiteux de mon imaginaire -c’était complet-, mais au moins on aura visité ce minuscule chapiteau et rencontré Michel et Annie Gibé, et on a aussi été présenté à la pacifique chienne Griotte et à l’élégante poule Irène (le rat Crakos faisait la sieste). On rêve à ce cirque archaïque d’où les animaux nos frères ne seront pas bannis, à condition que des défenseurs à œillères du bien-être animal ne leur interdisent pas les scènes bienveillantes comme celles-ci. La chienne-musicienne (quand ça l’amuse) partage l’orchestre avec des marionnettes, peut-être la première représentation humaine avant la peinture, selon Michel Gibé. Une frontière poreuse entre vivant et objet magique… Ici, l’exploit est dans le minuscule, l’insolite et dans le regard du public. Il paraît qu’il commence par rire, puis quitte  tout ému ce petit chapiteau.

Voilà un festival pas trop grand, sans lourdeur et où s’équilibrent spectacles éprouvés, que le public mérite bien de rencontrer, expérimentations et art de vivre. On y respire un cirque à la fois contemporain, exigeant, familier et toujours étonnant. Merci à Chloé Béron et Philippe Delcroix.

Christine Friedel

Les workshops ont été conçus par Vincent Berhault et Cédric Parizot, avec le soutien du C.I.A.M., du LabexMed, de l’I.R.E.M.A.M. (Institut de Recherches et d’Etudes sur les Mondes Arabes et Musulmans), le T.E.L.E.M.M.E. (Temps, Espaces, Langages, Europe Méridionale – Méditerranée) et l’I.D.E.M.E.C. (Institut d’Ethnologie Méditerranéenne, Européenne et Comparative).

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