Villa Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, mise en scène de Pierre Cuq

Villa Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, traduction de Leila-Claire Rabih et Frank Weigand, mise en scène de Pierre Cuq

 

Crédit photo : Olivier Allard.

Crédit photo : Olivier Allard.

Ce spectacle a  reçu cette année le prix du jury Théâtre 13/Jeunes metteurs en scène. Dans cette pièce de l’auteure allemande, une adaptation tendance bobo contemporaine des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov, Macha exprime librement ses états d’âme : « Se lever, se laver, vivre, se laver, dormir, se lever, vivre, se laver, dormir, se lever, se laver, vivre, se laver, dormir, misère, Je crois que je vais me foutre en l’air. » Ennui, morosité, lassitude et monotonie des jours… Le temps de la représentation, sa sœur Irina fêtera ses anniversaires de vingt-huit, vingt-neuf  et trente ans, avec à chaque fois, le même désenchantement. Quant à ses autres sœurs,  Macha est toujours assise sur un fauteuil malgré son jeune âge et fuit son mari. Et Olga, enseignante et directrice de lycée, critique l’état du monde et elle est la seule qui ait un salaire. Souvent, dit-elle, elle aurait préféré épouser un dentiste et être ainsi une bourgeoise insouciante et consommatrice. Mais elle accomplit corps et âme sa mission pédagogique, ce à quoi ses sœurs ne prétendent pas.

Et il lui arrive de penser tout bas, alors qu’elle affronte une classe médiocre, ce qu’elle aimerait faire savoir à tel ou tel élève : «Aucun avenir ne t’attend qui serait meilleur que le présent, mieux vaut quitter cette planète dès maintenant, ça t’évitera de tourner à vide pendant des milliers d’heures… Mais tu n’as pas le droit de faire ça, tu es la personne référente qui doit transmettre des valeurs positives … » Irina, éternelle étudiante, passe,elle,  d’une recherche doctorale à une autre mais sans l’accomplir jamais, restant elle aussi oisive dans  la maison familiale désœuvrée. Andreï accompagne à distance ses trois sœurs. Cet écrivain en herbe peu probant est employé au service culturel de la mairie de cette bourgade allemande. Sa femme, Janine cultive un quant-à-soi qui ne  convient guère à ces trois sœurs  qui ont le sentiment d’appartenir à une classe sociale supérieure et ont des prétentions morales, culturelles, littéraires et musicales, étrangères à cette intruse. Georg, l’ami  d’Andreï, est amoureux de Macha qui l’aime aussi mais est écartelé entre son épouse qui veut se suicider et son envie à lui, de changer de vie.

 Juste reconnaissance d’un petit monde, le nôtre… avec zoom avant sur les jeunes générations montantes qui ont envie de vivre mais qui ont la sensation collective qu’on leur coupe l’herbe sous le pied. Rancœur et amertume, ils se dégagent de toute responsabilité individuelle quant au chaos social et à l’ordre du monde actuel. Ils parlent, maîtres d’une parole qu’ils dominent avec nonchalance. Sûrs de leur pouvoir ils se refusent pourtant à toute action efficace et sont velléitaires…

 La mise en scène de Pierre Cuq est enlevée et sûre. Pauline Belle, Cantor Bourdeaux, Olivia Chatain (en alternance avec Pauline Tricot), Sophie Engel, Grégoire Lagrange, Aurore Rodenbour sont magnifiques d’énergie et jouent aussi très bien le désenchantement  de leurs personnages. Face public, ils assènent leurs vérités et leurs certitudes, prenant chacun à témoin, en incarnant une volonté paradoxale d’en découdre, malgré les paroles et regards désespérés de leurs personnages. Toniques, ils ont une résistance, une vision du monde qu’ils rendent systématiquement négative avec un certain cynisme Avec ironie  et fierté, ils se sentent aptes à commenter eux-mêmes, l’effondrement de leurs convictions.

Humour et situations cocasses participent de cette mise en scène dynamique et les acteurs ont plaisir à rire des autres et d’eux-mêmes. Avec des expressions éloquentes, grimaces, attitudes codées, ces personnages contemporains obéissent encore à des règles intériorisées et à des réflexes de classe et de génération. Les spectateurs  sourient… en reconnaissant bien les travers de chacun et d’eux-mêmes.

Véronique Hotte

Théâtre 13/Scène, 30 rue du Chevaleret, Paris (XIII ème) jusqu’au 20 octobre. T. : 01 45 88 62 22.

 Le texte de la pièce est publié aux éditions Actes-Sud.


Archive pour 9 octobre, 2019

Entretien avec Hiroko Takai

Entretien avec Hiroko Takai

photo de répétition : Aya Soejema

photo de répétition : Aya Soejema

Cette auteure et metteuse en scène née à Tokyo a été comédienne de la compagnie Seinendan d’Oriza Hirata (voir Le Théâtre du Blog) et a participé à la création de la pièce Tokyo notes en 1994. L’année suivante, elle fonda la compagnie Tokyo Tambourine. En 2007, elle écrit  une  trilogie Fabrica, premier spectacle créé par le réalisateur de films Katsuyuki Motohiro. Elle écrit  aussi des scénarios de films et de séries télévisées. Et en 2011, elle a créé au Japon Un homme en faillite de David Lescot.
Pour la série de spectacles
Wa no wa  qu’elle a lancés il y a quatre ans, elle veut réaliser la fusion inédite de la cérémonie du thé avec le théâtre.

 -Vous êtes une des rares femmes metteuses en scène  au Japon. Pourquoi avez-vous voulu porter à la scène cette fameuse cérémonie, quand vous écrivez puis montez Avec gratitude, je me délecte de votre thé (お点前ちょうだいいたします) (en japonais sur titré en français).

-Dans cette pièce, j’ai voulu faire vivre cette cérémonie du thé, jusqu’au moment où le bol de thé vert (matcha) est servi à l’invitée. Et faire pénétrer le public dans les coulisses de cet art codifié et l’initier à sa philosophie . Sur le thème du cinquième anniversaire de la disparition d’un maître, ses disciples organisent une cérémonie du thé à laquelle est conviée sa fille… Y sont aussi évoqués des thèmes comme la transmission d’un savoir, les relations parfois difficiles entre les gens…

En général, les cérémonies sont conçues pour très peu de participants;  Et il  y a des gestes recommandés et d’autres à éviter dans la salle. L’art de le préparer est fondé sur un certain nombre de rites: comment chauffer les braises, (mais ici ce sera évidemment une bouilloire électrique), comment mettre le thé vert en poudre (matcha) dans le bol, comment verser l’eau, etc. A la Maison de la Culture du Japon, la jauge sera un peu plus importante mais ne dépassera pas cent personnes. Dans une scénographie bi-frontale avec un plateau en bois, j’ai voulu unir l’art du théâtre et ce cérémonial, alors qu’au Japon, les gens de théâtre ne vont pas à ces cérémonies et réciproquement.

 - Quelles sont les relations  entre l’art du thé et le boudhisme zen?

 -Il y a dans les maisons de thé, un certain nombre de rouleaux suspendus avec des mots zen comme cette phrase: « voulez-vous boire un thé ». Avec ce spectacle, il ne s’agit pas de faire découvrir au public l’art du thé mais de surtout mettre en scène l’attention qu’on peut porter aux autres.

- Quels sont les objets et accessoires que vous utilisez sur la scène?

– Ce ne sont pas des accessoires du théâtre mais des objets que j’utilise dans ma pratique quotidienne. Et on utilise un bol fait à la main (et non tourné) par Akihiro Nikaido* donc plus luxueux. Et pas d’eau ordinaire du robinet mais de la Volvic. Avec le chasen (fouet en bambou) pour mélanger l’eau et le thé vert, le chashaku (cuillère en bambou pour doser le thé) et le chawan. Il y a souvent un wagashi, une petite pâtisserie. La cérémonie se déroule en plusieurs étapes. Le maître de thé commence par saluer ses invités, puis place les différents ustensiles autour de lui et on sert chacun un par un. Le maître nettoie d’abord le bol à l’eau claire, puis met deux cuillères de poudre matcha dans le bol, ajoute l’eau chaude et le bat avec le « chasen », un fouet en bambou pour que le thé soit onctueux. Mais il y a des interdits comme les fleurs à épines, les odeurs fortes… Et au cours d’une cérémonie, on ne se vante pas, on ne se met pas en valeur et et on ne dit jamais du mal des autres. Il est aussi interdit de marcher sur les bords du tatami. Et quand on prend un cours de cérémonie du thé, on quitte ses chaussures, ses chaussettes de ville et on enfile d’autres. Dans un souci de pureté. Et on met un éventail devant soi pour témoigner du respect aux  autres.

Il y a un terme philosophique que j’aime beaucoup le wa-ke-saiku. Soit wa: homme, ke: respect, se: pureté, saku: calme inébranlable. Après le spectacle de cinquante minutes, nous offrons au public de petits gâteaux faits par Takanori Murata, un maître pâtissier japonais installé à Paris.

-Vous êtes déjà venue plusieurs fois en France.Trouvez-vous  curieux certains usages culinaires  ou certains  aliments?

-Non j’aime bien votre la cuisine française et rien ne me parait, disons bizarre mais simplement je n’aime pas que le pain soit placées à même la table et non sur une serviette ou dans une corbeille…

Philippe du Vignal

(Remerciements  à Aya Soejima pour sa traduction)

Maison de la Culture du Japon, Quai Branly, Paris (XV ème). www.mcjp.fr.
Le 9 octobre à 20 h, le 10 octobre à 18 h et à 21 h ; le 11 octobre à 18 h et à 21 h ; le 12 octobre à 16 h et 19 h.
Rencontre avec Hiroko Takai à la suite des représentations des 10 et 11 octobre à 21 h.

Jusqu’au 12 octobre, exposition des Poteries d’Akihiro Nikaido, Galerie 1to7, 11 rue des Grands-Augustins, Paris (VI ème) du mardi au vendredi de 13 h à 19 h  et le samedi de 11 h à 19 h.

 

 

Jungle book, d’après Le Livre de la Jungle de Rudyard Kipling, mise en scène de Robert Wilson

© Lucie Jansch

© Lucie Jansch

Jungle book, d’après Le Livre de la Jungle de Rudyard Kipling, version de François Regnault, musique de Cocorosie et mise en scène de Robert Wilson

 Devant un rideau vert, une enseigne JUNGLE  en grandes lettres de couleur qui clignote comme celles des titres de spectacles à Broadway. Puis le rideau s’ouvre: «Sans doute un spectacle tout public, dit Robert Wilson, même si pour moi une grande œuvre se suffit à elle-même et peut tout autant être appréciée par un enfant que par une personne âgée, par quelqu’un qui n’est pas allé à l’école et par quelqu’un qui a fait des études supérieures. »

Bon, mais cela reste à voir et il ne faut jamais, dit un vieux proverbe cantalien, vendre la peau de l’ours…  Ou de la panthère qui va arriver sur scène.  Là-dessus, une narratrice dit quelques mots convenus comme dans un show à l’américaine: « Good evening ! Welcome to The Jungle book, I hope you will enjoy the show. » Le ton est donné, même si les jeunes acteurs très bien choisis sont français, la plupart des chansons et des dialogues sont en anglais. Tant pis pour les non-anglophones et tant pis aussi si la fable ou disons le scénario, en est du coup singulièrement obscurci. Comprenne qui pourra et cela semble importer peu au grand Bob qui aime la langue française mais de loin et qui ne la parle jamais.. Puis entreront les personnages du célèbre livre dont le petit enfant  Mowgli adopté par les loups et qui tuera son ennemi le tigre Shere Khan, Le Singe , la mère Louve, le Père Loup et l’ours Baloo.

Le grand créateur américain a toujours eu, depuis son célébrissime Regard du Sourd qui a nous avait émerveillé au festival de Nancy et qui a révolutionné le théâtre contemporain, un rapport privilégié avec les animaux. Et Jungle Book  est, dit-il, «dans la mouvance»  de ses précédents spectacles comme Peter Pan ou Winging Rocks  avec un enfant à la recherche de son père ou de sa mère comme Mowgli. Les animaux dansent tous ensemble et très souvent, ou plutôt s’animent en rythme dans un semblant de chorégraphie assez redoutable et indigne de lui. Au moins, le spectacle aura-t-il été une formidable école pour les jeunes interprètes sévèrement choisis et qui ont chacun une belle personnalité.

Sans doute y-a-t-il de belles images mais un peu faciles en ombres chinoises sur fond lumineux bleu ou rose pâle qui change en une seconde à peine, de façon à transformer radicalement l’espace. Des effets que Bob Wilson nous ressert, quelque soit la pièce, depuis quelque quinze ans! Comme il est d’une rare exigence et qu’il a d’excellents collaborateurs  pour la lumière comme pour l’architecture sonore du spectacle, c’est toujours d’une rare virtuosité. Mais, de la fable, que nenni! Et l’ensemble qui n’a même pas les qualités d’une bonne comédie musicale, reste froid, pour ne pas dire glacé comme un beau livre d’images… et sans aucune âme.
 Il y a aussi quelques accessoires comme ces poteaux d’électricité qui rappellent ceux de son merveilleux Einstein on the beach ou comme un fauteuil à bascule, ou ces beaux graphismes signé de lui (photo ci-dessus) mais il semble s’être fait plaisir et bien loin du Livre de la Jungle. Mais on se demande bien aussi ce que viennent faire là pendant quelques minutes seulement un étalage de carcasses noires d’anciens postes de télévision en fond de scène que des assistants viennent installer pour quelques minutes…

Heureusement, reste quand même dans tout ce fatras sans grand intérêt et sans dramaturgie efficace, l’étonnante musique écrite par Bianca et Sierra Casady du groupe Cocorosie. D’une rare drôlerie mais envahissante mais en ce soir de première, elle  couvrait le texte… En fait, tout se passe comme si Robert Wilson s’était contenté de superviser un travail. On reconnaît tout de suite sa patte aussi géniale qu’inimitable: occupation de l’espace par les acteurs lumières, scénographie, design sonore mais il manque la chair qui faisait toute la saveur de ses grands spectacles et dont celui-ci ne semble être, malgré encore une fois une rare virtuosité, qu’une bien pâle copie.

« Tout ce que je sais, dit Bob Wilson, c’est qu’il ne faut pas faire de théâtre déprimant. » Pari raté, le compte n’y est pas du tout et le public a mollement applaudi ce spectacle de soixante quinze minutes seulement mais qui parait long, sauf à quelques rares moments et qui n’arrive jamais à décoller. Très auto-académique et donc décevant, et jamais à la hauteur des superbes réalisations que Bob Wilson nous a offerts. Dommage ! Il y a ici la marque Wilson mais pas le contenu. On vous aura prévenu. Alors y aller? Pour voir ces jeunes comédiens et la musique de Cocorosie mais qu’on peut entendre chez soi… A vous de voir mais on ne vous conseille donc pas trop le déplacement.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville au Treizième Art, Place d’Italie, Paris (XIII ème) jusqu’au 8 novembre.

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, du 17 au 22 décembre.
Comédie de Clermont-Ferrand, du 22 au 24 janvier.
De Singel, Anvers, du 7 au 9 février. 

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