P.U.L.S. Mariage de Witold Gombrowicz et New Skin d’Hannah De Meyer

Photo Piéter Dumoulin

©Piéter Dumoulin

P.U.L.S.

Mariage de Witold Gombrowicz, mise en scène de Timeau De Keyser, par collectif Tibaldus (en flamand surtitré)

Champion du théâtre flamand en France, le Théâtre de la Bastille accueille ce  programme « pour l’accès des artistes émergents au grand plateau», initié en 2017 par  Guy Cassiers et le Toneelhuis-Théâtre d’Anvers. Soit quatre jeunes pousses qui ont mûri quelques années dans un bain artistique avec des metteurs en scènes flamands confirmés. Ils ont bénéficié des moyens techniques et financiers de la structure et participé à des créations d’envergure, comme assistants à la dramaturgie ou à la production.  «P.U.L.S. , dit Guy Cassiers, leur a offert un cadre de travail, à la fois en termes de production et de financement et les a aidés à conduire leur processus créatif dans un dialogue permanent. »

«Pour nous, la question de savoir comment jouer, reste très complexe, esthétiquement, mais aussi moralement dit  le jeune metteur en scène qui fait partie d’une génération se méfiant du jeu traditionnel. Avant de découvrir l’auteur polonais, le collectif Tibaldus qu’il fonda à l’école de théâtre de Gand, se méfiait aussi des textes établis, voir des mots, et jouait sans paroles. Mariage qui parle de la puissance du langage et de la manipulation qu’il opère entre les individus, ne pouvait que le séduire: «Wiltold Gombrowicz réfléchissait à toutes les questions que nous nous posions aussi sur le rapport du théâtre à la réalité. »

 La pièce, écrite peu après la seconde guerre mondiale, dans un Occident qui vacille sur ses fondements, raconte les dérives d’un jeune soldat, Henri (ici Filip) et de son ami Jeannot (ici Wlaczo) qui reviennent dans leur pays. Ils entrent dans une auberge à l’étrangeté familière. «Est-il possible d’avoir à manger? demande Henri. » « C’est possible, mais sans crier, s’il vous plaît» répond l’aubergiste.
Henri croit reconnaître en ces tenanciers, son père et sa mère: «Mais ce n’est pas entièrement certain, tout ne paraît pas très clair mais je l’éclaircirai.» Le texte bascule alors dans un rêve halluciné du jeune homme. Le fils embrasse sa maman sur la bouche. «Je ne permettrai aucune de ces familiarités, tonne le père, parce qu’il n’en sort que des saloperies cochonnes.»  L’auberge devient la Cour royale mais le héros est amené à renverser la dictature “pater-maternelle“  pour se couronner lui-même en  super-tyran. Un ivrogne devient l’ennemi du peuple et le prince demande à son meilleur ami de se tuer, pour régner seul sur le cœur d’Isabelle, sa promise (la servante de l’auberge qu’il prend pour sa fiancée)… A la fin, « il n’y aura pas de mariage mais des funérailles.» La narration questionne ici le médium-théâtre et en cela, répond aux questions que se pose le collectif.

Ici ni décor ni costumes pour les huit acteurs  et une lumière crue sur la scène vierge, page blanche où s’écrit cette farce débridée. Les mots seuls opèrent et la dramaturgie baroque  réduite à l’os, est une image de l’ordre fluctuant du monde. Le travail porte sur la musicalité de la langue qui est «selon nous, dit Timeau De Keyser, la seule manière de comprendre les personnages de cet auteur.» Avec une diction chantante, les voyelles s’allongent et le flamand se diphtongue… Les acteurs se plaisent à musarder sur les termes et les rendent concrets grâce à une gestuelle évocatrice. Un ivrogne, traité de «cochon », perturbe la noce, en mimant le porc  et  un index tendu devient une arme dangereuse…
L’auteur polonais, avec adresses au public et commentaires sur son œuvre, rejette toute identification, psychologie ou naturalisme. Et le metteur en scène présente la pièce comme le monologue d’Henri. Les autres personnages, issus de sa seule imagination, d’abord cantonnés au bord du plateau, prennent vie de par son bon vouloir, selon un jeu de rôles qu’il ne maîtrise pas toujours.

On est dans la pure fantaisie et le cerveau en ébullition du dramaturge polonais qui dit avoir écrit la pièce sans plan préalable et sans savoir où cela allait le mener. « Un écoulement titubant, somnambulique et fou» de l’action et on dirait que la pièce marche, qu’elle avance comme un ivrogne ou comme un fou.»  Formé auprès de Jan Fabre dans Belgian Rules/Belgium Rules et de Guy Cassiers dans Vergeef ons (Puissions-nous être pardonnés), Timeau De Keyser a retenu la rigueur dramaturgique de ses aînés mais renonce ici  à tout artifice théâtral.
Grâce à ce dépouillement, il met en relief grotesque et folie des situations. Le metteur en scène s’autorise une seule fioriture: des chants polyphoniques, sacrés ou profanes, en flamand, italien ou français, entonnés en chœur, comme pour marquer un rituel collectif et souder la troupe. La pièce se clôt comme elle avait commencé: sur un hymne funèbre autour du corps de l’ami sacrifié. Au-delà de la folie, Witold Gombrowicz se souvient avoir pensé à Hitler: « Il y a dans ce drame, le problème de la dictature. »

La pièce, à travers le langage, traite des structures politiques et pourrait viser les incohérences d’un Donald Trump… Le collectif Tibaldus se contente de nous présenter un exercice de style bien ficelé où il met en avant l’invention ludique des acteurs au service d’un texte, avec pour seul arme leur corps, leur voix et la capacité à jouer le fait qu’ils jouent… Cette sobriété  et une certaine dérision peut frustrer cetains mais s’inscrit en réaction aux surenchères scénographiques de certaines créations, donc avec une économie différente du spectacle.

 New Skin d’Hannah De Meyer

HannahDeMeyer_NewSkin_092018f - copie La jeune femme, seule des invités à interpréter elle-même ses pièces et n’a pas encore franchi l’étape du grand plateau. Sur une scène nue et blanche, une voix s’adresse aux spectateurs. Puis l’actrice entre subrepticement, corps perdu au milieu d’un no man’s land et va prendre la mesure de l’espace puis de la parole, d’abord inarticulée. Elle nous entraîne dans des paysages mentaux et  des trous, ramper dans des cavernes. Tour à tour dans la peau d’un cosmonaute, d’un embryon, d’un enfant et d’une femme révélée par l’orgasme… Les visions s’enchâssent comme dans un rêve éveillé.
Hanna De Meyer dit s’être inspirée de Judith Butler, Achille Mbembe et Donna Haraway: «La lecture de ces écrivains a changé ma vision du monde. (…) Je collecte des textes, les recopie, et les modifie jusqu’à créer une narration qui me corresponde et des images qui m’appartiennent.» Cette performance minutieuse n’est pas sans intérêt mais, encore timide, manque d’incarnation. Comme si l’artiste restait au seuil d’elle-même…

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 18 octobre, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème).  T. : 01 43 57 42 14.

 

 

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