Centenaire Merce Cunningham

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Centenaire Merce Cunningham

Pionnier de la danse américaine contemporaine, il est devenu, dix ans après sa mort, un chorégraphe presque classique dont les pièces sont reprises par de nombreuses compagnies dans le monde entier, avec l’accord du Cunningham Trust. Pour le centième anniversaire de sa naissance, le Théâtre National de la Danse de Chaillot, en collaboration avec le Festival d’Automne à Paris et le Théâtre de la Ville, présente deux programmes de son répertoire. D’abord des œuvres historiques comme Fabrications et Sounddance. La troisième For Four Walls avait été recréée en mai dernier à l’Opéra national de Lorraine à Nancy par Peter Jacobson et Thomas Cailley (voir Le Théâtre du Blog).

Fabrications a été créée en 1987 avec soixante-quatre enchaînements dont la  composition et le nombre des interprètes sont soumis au hasard. Cette pièce de trente minutes sans narration est fondée sur une recherche esthétique: les danseurs, avec des costumes aux dessins géométriques très colorés, évoluent devant une vaste toile peinte où sont représentées des parties stylisées de l’anatomie humaine : un cœur, deux limaçons d’oreille interne et peut- être un utérus… «Je ne cherche pas un langage, disait Merce Cunningham, je cherche les idées du mouvement et j’espère changer tout le temps, si c’est possible. » Remarquablement interprété par les jeunes danseurs du ballet de Lorraine , la pièce illustre parfaitement son propos.

Lui succède Sounddance, coup de cœur de la soirée qui en dix-sept minutes, est devenue très populaire. D’un superbe rideau doré tout en drapés; conçu par Mark Lancaster, émergent dix danseurs. Au rythme d’une musique très puissante de David Tudor, figures et enchaînements s’enchaînent avec virtuosité. Les interprètes, avec une grande vivacité  de mouvement, disparaissent comme par magie, happés par ce rideau. Merce Cunningham avait chorégraphié Sounddance à son retour de Paris où, en 1973, il avait passé neuf semaines pour créer Un Jour ou Deux à l’Opéra de Paris. Une pièce joyeuse qui a soulevé l’enthousiasme du public…

Jean Couturier

Le spectacle a été présenté; dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Théâtre de la Ville,  au Théâtre National de la Danse de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T. :  01 53 45 17 13, jusqu’au 16 octobre.


Archive pour 17 octobre, 2019

Festival des Arts de Bordeaux (suite et fin)

Festival des Arts de Bordeaux (suite et fin)


Souviens-toi des larmes de Colchide
d’Aurore Jacob, mise en scène d’Anne-Laure Thumerel

 MVQmNk3AL’auteure a déjà écrit une douzaine de pièces  dont  Sans L,  Au bout du couloir à droite, Seuls les vivants peuvent mourir. Ici, il s’agit d’une écriture fondée sur le thème de Médée plus que sur la célèbre pièce d’Euripide. Avec un beau titre… Cela se passe dans la chambre d’un hôpital psychiatrique. Une jeune femme, allongée sur un lit en fer et visiblement très perturbée, voit dans l’infirmière une ennemie personnelle qu’elle accuse de tous ses malheurs. On devine que son bébé est mort subitement et que, dans la vie de son mari, est arrivée une autre femme… Bien plus séduisante qu’elle, forcément et qui lui demande de partir pour lui laisser la place…  
La jeune femme va donc se retrouver seule avec deux faillites… à la fois pour son corps comme pour son esprit. La grande amoureuse épuisée ne le supporte pas et se dit qu’elle a commis une faute impardonnable pour en arriver là et qu’elle ne retrouvera jamais son bonheur perdu. Entre temps, encore amoureuse? elle rencontre une autre jeune femme qu’elle embrasse passionnément dans un jeu de miroir… Comme l’homme qu’elle aimait ? Pour se venger ?

Wny2THDQMais elle repense sans cesse à cet enfant qu’elle a mis au monde, comme s’il y avait une incompatibilité flagrante entre donner la vie et vivre pleinement grâce à la jouissance que procure l’amour… L’arrivée de l’enfant apparaissant comme une menace pour ce jeune couple..  C’est du moins ce que nous avons retenu de ce texte touffu et poétique. Claire Jacob voudrait faire apparaître la fatalité tragique qui accable son héroïne comme celles de Sophocle ou d’Euripide. Oui, mais voilà… Dans cette situation compliquée, il aurait mieux valu faire simple (voir Euripide) et désolé, ici l’écriture patine et n’a rien de théâtral. On sent parfois comme un petit frémissement quand, bizarrement, la jeune femme rencontre son amoureuse…Mais sinon, rien de très passionnant dans cette pièce-poème étirée..

Dans une chambre blanche au sol couvert de sable fin,  souvent allongée sur son lit, elle a bien du mal à nous convaincre de sa solitude et du destin tragique qu’elle est en train de vivre, là sous nos yeux. On sent chez l’autrice l’envie de faire partager l’indicible de cette tragédie intime comme on en découvre quotidiennement… Oui, mais ce texte bavard se résume la plupart du temps à un presque monologue assez ennuyeux.  
Côté mise en scène, Anne-Laure Thumerel arrive à mettre les choses en place mais sa direction d’acteurs est fragile. Et, au début surtout, Clara Ponsot a une diction des plus approximatives – ce qui n’arrange pas les choses- et dans le rôle du mari médecin, Maxime Roy marmonne, semble s’ennuyer et n’arrive pas à être un instant crédible. Deborah Joslin elle, a une belle présence et s’en sort mieux.

 Mais le spectacle fait du sur-place pendant une heure vingt et ce n’est pas faute d’avoir été rodé, puisque nous avons assisté à la dernière représentation… Moralité: il est souvent hasardeux de se lancer dans la revisite d’une pièce mythique en la compliquant inutilement et en la situant à notre époque. Claire Jacob, en tout cas, n’y est pas arrivée. Dommage..

Le spectacle a été joué du 4 au 12 octobre au Glob Théâtre, Bordeaux. T.:  05 56 69 85 13.

Le texte de la pièce est paru aux éditions Koïnè.

 

Scelus (Rendre beau) texte de Solenn Denis, mise en scène du Denisyak
 
JA-_lDswHeureux habitants de la Gironde et autres départements français, comme le disait Philippe Meyer autrefois sur France-Inter, ce n’est pas pour nous vanter mais nous avons appris dans sa note d’intention que le collectif avait un « fonctionnement»…  «Denysak est né en 2010 de la rencontre du comédien et metteur en scène Erwan Daouphars avec l’autrice et comédienne Solenn Denis. » Et au cas où nous risquerions d’en douter: en vingt-six lignes, on nous répète quatre fois qu’elle est autrice et quatre fois aussi que le travail se fait au plateau. Et que (sic) : «Erwan, l’autre tête de l’hydre (cela fait très Macron) est au plateau au plus proche des comédiens et fait de la direction d’acteurs à l’oreille presque. (sic). Comme un capitaine d’équipe qui joue sur le terrain. Car c’est l’entraîneur, surveillant le match depuis son banc, que l’on a exclu, désaffirmant (sic) cette nécessité du metteur en scène. On ne s’entraîne pas, on joue. Capitaine d’équipe sur le terrain de jeu, et capitaine du navire prenant corps en l’autrice dramaturge dans la salle. Car dans le binôme, chacun est le capitaine de quelque chose, responsable de la cohérence et de l’énergie globale. En écrivant et en languant (sic) selon ses envies et obsessions, c’est Solenn qui toujours donne l’impulse (sic) de ce que sera la création au collectif Denisak. »  

Ouf ! Quel sabir et quelle prétention! Tous aux abris ! Nous devrions plus souvent et mieux lire les notices de fonctionnement,que ce soit pour les sèche-cheveux, perceuses, visseuses fabriqués en Chine ou pour les spectacles créés en Gironde et dans les autres départements français. Après cet «impulse», qu’en est-il sur scène? Les choses seraient, nous dit-on, vaguement inspirées par la vie du comédien américain Jack Nicholson qui, à trente-quatre ans, apprend que ses soi-disant parents étaient en réalité ses grands-parents et que sa « sœur »  était en fait  sa mère (décédées quand l’acteur apprend l’histoire) et que Lorraine, son autre « sœur»,  était en fait, sa tante…

Un homme; Atoll, «bourré d’inconsistance, de colère sourde et d’égoïsme, qui entre dans sa quarantaine adulescente (sic) avec cynisme et nihilisme ». Sa sœur Yéléna et lui vont déterrer des secrets de famille. Il y a aussi un chien. Mais, si on a bien compris, Yéléna est morte et Atoll comprend que celle qu’il prenait pour sa sœur était en réalité sa mère et celle qu’il prenait pour sa mère, était sa grand-mère… Vous suivez toujours ? Et cerise sur le museau, son père était en fait le chien ! Si, si !
Il y a une belle étendue de gravier noir avec des perspectives imaginées par l’hydre (resic) Eric Charbeau et Philippe Casaban, obtenues avec quelques châssis que les acteurs déplacent. Mais cette fresque sur fond de tragédie familiale avec grossesse non désirée n’a pas réussi à nous accrocher un instant. Même si les acteurs font le boulot, notamment Nicolas Gruppo physiquement handicapé qui joue de la guitare fender. Ce texte prétentieux n’arrive jamais à décoller  et distille un ennui de premier ordre. On comprend mal qu’il ait pu arriver jusqu’à ce Festival…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 octobre, Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine.

Les 17 et 18 décembre, La Passerelle, Scène Nationale de Saint-Brieuc.
Les 25 et 26 mars, Théâtre des Ilets, Centre Dramatique National de Montluçon.

Le texte est publié chez Lansman.

 

 

L’Odyssée d’Homère, traduction de Philippe Jaccottet, conception de Blandine Savetier

L’Odyssée d’Homère, traduction de Philippe Jaccottet, conception de  Blandine Savetier

Avignon. @Christophe Raynaud de Lage

Avignon. @Christophe Raynaud de Lage

Ulysse, tous les Ulysse : le vainqueur, le rusé, le perdant, le persévérant, celui qui en a pris plein la figure -Philippe Jaccottet traduit poliment par :«à l’âme endurante»-  fut de ceux qui, ont été les guides du dernier festival d’Avignon, ceux qui en tiraient le fil conducteur. Souvent réduit à son long retour, à la nostalgie de son île natale, il a été identifié à tous les errants de la Méditerranée, ce qui est pour le moins rapide…

 L’abus a été corrigé  avec cette lecture au Jardin Ceccano de ces larges extraits de cette épopée qui permettent d’entendre la complexité du personnage qui fait de lui un héros. Humain trop humain, pourrait-on dire. Capable de mensonge et de vérité, de tendresse et d’une extrême violence  mais aussi rusé et débrouillard pour se sortir avec ses compagnons, de situations  inextricables: comme avec le Cyclope Polyphème racontée aux Phéaciens où, après l’avoir aveuglé, Ulysse fait évader quelque-uns de ces compagnons attachés sous le ventre de moutons et prétend qu’il se nomme: Personne »…

Blandine Savetier, avec Waddah Saab, a dirigé un groupe de jeunes acteurs dont quatre ont suivi le programme de formation et d’insertion 1er Acte, visant à «favoriser l’insertion professionnelle de jeunes comédiens issus d’origines sociales, culturelles ou ethniques diverses». Soutenus par Yuko Oshima, une percussionniste japonaise, ils sont les aèdes modernes de cette Odyssée. Ils en ont la jeunesse et l’ardeur pour raconter cette épopée de tous les prodiges et de tous les dangers, la beauté de la mer en furie et du fleuve calmé, les querelles des Dieux qui déchaînent ou régulent les querelles des hommes. Ils ont la majesté nécessaire pour évoquer les Rois et donner la pulsation de ce récit oral. L’espace du Pavillon Villette est occupé généreusement : les Dieux en haut, les lecteurs sur le plateau et nous sagement assis devant eux.

Pourtant il y manque le plein air, la chaleur, le vent… L’Île-de-France en automne ne s’y prête pas et cette belle et vive lecture d’Homère ne suffit pas à les évoquer. Mais cela vaut la peine de venir l’écouter, pour ensuite piocher dans les vingt-quatre chants du poème, l’étrangeté originelle de ces histoires que l’on connaît comme les contes pour enfants.

Christine Friedel

Pavillon Villette (côté Porte de la Villette et Cité des Sciences, 30 avenue Corentin Cariou,  Paris (XIX ème), jusqu’au 20 octobre. T. : 01 40 03 75 75.

Play war,mise en scène et interprétation d’Alexandre Finck et Adrien Fournier

Play war, mise en scène et interprétation d’Alexandre Finck et Adrien Fournier

 PlayWar3«C’est, disent les auteurs de ce spectacle de mime, un peu comme un hommage à notre enfance nourrie de cinéma américain, hollywoodien. Tous ces films d’aventures, d’action, de guerre. Tous ces films qui nous ont fait rêver petits. Eh! Oui, on peut rêver sur le thème de la guerre! Il faut rêver la guerre, il faut rire, pleurer, vivre. Montrer qu’on est vivant surtout dans un contexte de mort. »

Sur le plateau rien qu’un grand tulle où seront projetés des paysages de jungle et des dessins de fauves mais aussi à la fin, une belle giclée de sang façon B.D. revue par Roy Lichtenstein. Les vidéos d’Adrien Fournier donne une couleur à cette guerre du Viet nam faite par de jeunes Américains.  Ce qu’il faut le deviner! Enfin, on comprend vite que ce sont des guerriers  en treillis et T. shirt sombres. Sans aucun accessoire, ils marchent au pas ensemble, tombent, courent, tirent au pistolet-mitrailleur dans un univers sonore et musical signé Jules Jacquet et des lumières de Victor Badin. Le tout sans aucune parole avec juste des onomatopées, quelques mots inarticulés et borborygmes. Mais c’est un peu long et répétitif…

Cette réalisation très soignée ne fonctionne donc pas bien, ce que l’on perçoit dès les premières minutes. Que veulent nous dire ces deux comparses? Quand il s’agit de sentiments comme la peur, la joie, l’inquiétude, le soulagement, la surprise, l’affolement… on peut entrer dans cette narration mais pas au-delà de quelques minutes. Le spectacle, qui souffre d’un manque évident de dramaturgie, fait du surplace quelles soient les bonnes intentions de leurs auteurs. Quid de la vie et des pensées de ces jeunes gens jetés dans l’enfer d’une guerre?  C’est la grande difficulté d’une forme narrative muette d’une heure et quelque et là, désolé, on décroche assez vite. Peut-être ne sommes-nous pas assez attentifs à la gestuelle ? Peut-être aussi est-ce mission impossible de raconter une guerre sous forme de mime, sinon dans un sketch de quelques minutes et sûrement pas, sur soixante  minutes. Ces deux jeunes mimes ont une remarquable maîtrise de l’espace mais pas celle du temps… comme cela arrive souvent.

Tiens, une belle histoire à propos d’attention portée à un spectacle. Marcel Marceau, grand mime devant l’éternel (1903-2007) avait eu, lui, l’intuition de s’en tenir à de petits standards successifs et donc courts avec Bip, son fameux personnage. Quand nous étions en troisième -il y a de cela quelques décennies- notre marraine nous avait  emmenés dans un vrai et beau théâtre ancien du boulevard qui s’appelait L’Ambigu où nous voulions voir absolument un spectacle de Marcel Marceau. (Pauvre Ambigu ensuite détruit à cause de la bêtise et la cupidité pour être transformé en bureaux!)
Mais le déjà célèbre mime avait commis l’imprudence de monter juste avant les aventures en solo de son Bip, une histoire compliquée Le Loup de Tsu Ku Mi genre conte extrême-oriental à plusieurs personnages auquel le public visiblement ne pigeait rien. A l’entracte, dans le hall du théâtre, le mari de notre dite marraine, lui, se mit à raconter et de façon détaillée, toute l’histoire à des spectateurs étonnés par sa compréhension du scénario. Pourquoi cet homme visiblement comme tout le monde et assez éloigné de l’art de la scène, avait-il réussi à s’emparer de cette histoire muette? Il n’avait aucune prédisposition mais… était totalement sourd! Quelle leçon de théâtre!  Quelque vingt ans plus tard, le génial Bob Wilson  créait son très célèbre spectacle muet qui révolutionna le théâtre contemporain en mettant l’accent sur le silence et qu’il appela… Le Regard du Sourd.
Aller voir Play war ? Oui, si vous êtes un professionnel et si vous avez envie de découvrir ces jeunes mimes qui ont une bonne technique. Et Adrien Fournier est aussi un concepteur d’images vraiment doué. Ce travail encore en cours peut acquérir la dimension d’un vrai spectacle… à condition de resserrer les boulons, de mieux le construire en courtes séquences, de l’aérer musicalement et surtout de le rendre plus explicite… Bref, il y a encore du travail. Donc, à suivre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 20 octobre, Théâtre de l’Opprimé,  78 rue du Charolais, Paris (XII ème).

 


Stallone d’après le roman d’Emmanuelle Bernheim, mise en scène de Fabien Gorgeart

Stallone d’après le roman d’Emmanuelle Bernheim, mise en scène de Fabien Gorgeart

 

© Huma Rosentalski

© Huma Rosentalski

Porté à la scène par Clotilde Hesme, le court roman éponyme d’Emmanuelle Bernheim tire sa force de l ‘écriture sèche, aux plans visuels, de la romancière qui s’acquittait alors d’une dette personnelle envers le personnage de fiction qui avait bouleversé sa vie : Rocky Balboa. Et elle transplanté sa propre émotion dans le personnage de Lise, une jeune femme qui végète dans une vie d’accommodements. Au cinéma, Rocky 3 qu’elle voit en 83, lui révèle qu’on peut perdre puis se battre pour reconquérir la dignité et l’intégrité de son destin. L’auteure, qui n’ignore rien des passerelles entre les états du cœur et ceux du corps, n’hésite pas à faire mariner la jeune femme huit jours, sous l’emprise d’une forte fièvre, avant qu’elle n’en sorte grandie, prête à un nouveau départ, autant dire à la rupture avec tous les fils ténus de son ancien moi.

 Fabien Gorgeart restitue ce texte sur scène, avec un plateau nu, blanc comme une page de livre ou un écran de cinéma. A la croisée de ces registres de la fiction, Lise fait défiler les moments de sa vie et les films de Stallone : tous les Rocky, tous les Rambo, Clifhanger,  Daylight jusqu’à Copland… Chacun joue un rôle caché dans ses décisions. Et que dire de la chanson The Eye of the Tiger, issue de la bande originale du film ? Hymne à sa volonté retrouvée quand tout va bien, rappel à la nécessité de se bouger les fesses lorsque son horizon se bouche à nouveau… 

Au micro, Clotilde Hesme assume le côté nunuche de la jeune femme du début, au look années 80, pour dérouler les étapes sensibles, étalées sur quatorze années, d’un parcours de travail et de réalisation de soi. Il n’y a pas de petite vie. La question de la violence n’était pas étrangère à l’auteure, violence qu’on s’inflige ou que nos décisions font subir à autrui. Les combats, coups, défaites et retours sur le devant de la scène, tels qu’incarnés par Stallone tout au long de sa carrière au cinéma, ne tissent pas ici la métaphore simpliste du « combat pour la vie ». Clotilde Hesme incarne tour à tour, et avec talent, les états du paysage personnel, la toile de fond romancée d’une vie de femme plutôt banale qui a pourtant une aventure personnelle à réaliser. L’actrice s’appuie sur la création sonore de Pascal Sangla qui compose en direct toutes les ambiances et donne voix à chaque comparse du récit. Ses interventions délicates, drôles, ingénieusement mêlées à ses virgules sonores, peuplent la scène d’autant de personnages invisibles grâce auxquels il dessine le monde de Lise.

Sur ce contrepoint permanent, s’appuie la mise en espace de Fabien Gorgeart qui a eu l’intuition de ne pas étouffer l’écriture factuelle d’Emmanuelle Bernheim sous plusieurs couches d’intentions. Au spectateur de se promener, au rythme des aventures de l’héroïne, accompagnée par le retour régulier de Stallone, sur l’écran de sa vie. Le public semble s’y retrouver avec plaisir.  Quant à l’acteur dont l’ombre du visage, pensif et grave, passe en fond de scène, que pense-t-il de l’appropriation un peu tyrannique de ses combats par une jeune femme française ? Nous ne le saurons jamais…

Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au 26 octobre, Le 104,  5 rue Curial  Paris (XIX ème).

Le roman est paru en 2002 aux éditions Gallimard.

Compagnie de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Nichet.

 Compagnie de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Nichet.

 369D5C51-6346-4F60-B4BF-2BC0E1F0A260Jacques Nichet a disparu bien trop tôt cet été et  dimanche dernier, un bel hommage lui a été rendu au Théâtre de l’Aquarium qu’il fonda avec Didier Bezace et Jean-Louis Benoît. Son dernier spectacle a été créé en octobre  2018 au Théâtre de la Cité à Toulouse avec Thierry Bosc: le quatrième  larron qui fut aussi à l’origine de l’Aquarium. Après la diffusion d’archives visuelles et sonores sur l’engagement théâtral de Jacques Nichet et les témoignages de nombreux amis, nous avons découvert avec émotion Compagnie avec, bien sûr, Thierry Bosc.

Cette  nouvelle écrite en anglais et publiée par John Calder en 1979, est traduite en français par l’auteur et publiée par les éditions de Minuit  un an plus tard avec Mal Vu Mal Dit et Worstward Ho, des nouvelles réunie pour former Nohow On (1989). Cela  commence par: « Une voix parvient à quelqu’un dans le noir. Imaginer. « Cette voix, par intermittence, écrit Jacques Nichet, égrène un passé et les  souvenirs d’un homme invisible. Mais quelqu’un, perdu dans la même obscurité, surprend ces murmures qui s’adressent à cet inconnu  et le voilà qui s’efforce, à l’aveuglette, de saisir cette énigme. L’homme multiplie les hypothèses, les épuise les unes après les autres. A qui appartient cette voix lui permettant de briser sa solitude  et qui  lui tient de plus en plus compagnie ? » «Tu vis le jour tel et tel jour et maintenant, tu es sur le dos dans le noir. » « Tu finiras tel que tu es. »

« L’emploi de la deuxième personne est le fait de la voix. Celui de la troisième celui de l’autre. Si lui pouvait parler à qui et de qui parle la voix il y aurait une première. Mais il ne le peut pas. Il ne le fera pas. Tu ne le peux pas. Tu ne le feras pas.» «La voix à elle seule tient compagnie mais insuffisamment. » Du bruit inutile encore.

Scénographie soignée de Philippe Marioge et belles lumières de Georges Corsia. De Thierry Bosc, assis dans l’obscurité, on distingue le seul visage éclairé. Il a une parole claire et merveilleusement maîtrisée. Or, c’est bien d’un homme allongé sur le dos dans le noir dont il s’entretient, auquel il semble s’adresser comme à lui-même.. Un autre qui serait soi. Dans un soliloque patient qui va s’ouvrir en dialogue sur sa propre expérience du monde. Les souvenirs s’accumulent à un rythme modéré donné à cette autobiographie qui ne dirait pas son nom : comme cette image mélancolique d’enfance où le garçon se voit encore donner la main à sa mère, tandis qu’ils sortent d’un magasin. Réminiscence qui se plaît à renaître, lumière éternelle d’une mémoire enfouie. Comment peut-on être conscient à soi et au monde en même temps ? Ne ressent-on pas un écart vertigineux, une distance, un abîme de soi à soi ? Dialogue-t-on avec son âme, ou assiste-t-on, près de soi, à un entretien extérieur, le corps faisant foi de toutes les aventures et expériences personnelles ?

 La « compagnie » évoque une présence, une complicité. Mais un homme seul est toujours en mauvaise compagnie, écrivait  Paul Valéry dans L’Idée fixe. Mais pas du tout pour Samuel Beckett pour qui c’est bon. Tel est le sort des hommes du XXI ème siècle, obligés à vivre leur vie seuls, sans nul dieu et abandonnés à l’aléatoire. En consentant à un temps qui nous est dévolu, en acceptant une mort plus ou moins proche, mais cela relève d’une mûre réflexion. Il reste toujours l’espoir et les promesses de rencontres malgré les jours qui passent…

Thierry Bosc incarne avec brio cette figure d’envergure, au service des mots dont la résonance traduit au mieux l’épreuve beckettienne. Avec une voix paisible, une intonation précise et  un rythme mesuré, mise au service d’un art épanoui de dire et de se dire.

 Véronique Hotte

Spectacle vu le 13 octobre, au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre,  Vincennes (Val-de-Marne). Métro : Château de Vincennes

Le texte est publié aux  éditions de Minuit.

 

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