Festival des Arts de Bordeaux (suite et fin)
Souviens-toi des larmes de Colchide d’Aurore Jacob, mise en scène d’Anne-Laure Thumerel
L’auteure a déjà écrit une douzaine de pièces dont Sans L, Au bout du couloir à droite, Seuls les vivants peuvent mourir. Ici, il s’agit d’une écriture fondée sur le thème de Médée plus que sur la célèbre pièce d’Euripide. Avec un beau titre… Cela se passe dans la chambre d’un hôpital psychiatrique. Une jeune femme, allongée sur un lit en fer et visiblement très perturbée, voit dans l’infirmière une ennemie personnelle qu’elle accuse de tous ses malheurs. On devine que son bébé est mort subitement et que, dans la vie de son mari, est arrivée une autre femme… Bien plus séduisante qu’elle, forcément et qui lui demande de partir pour lui laisser la place…
La jeune femme va donc se retrouver seule avec deux faillites… à la fois pour son corps comme pour son esprit. La grande amoureuse épuisée ne le supporte pas et se dit qu’elle a commis une faute impardonnable pour en arriver là et qu’elle ne retrouvera jamais son bonheur perdu. Entre temps, encore amoureuse? elle rencontre une autre jeune femme qu’elle embrasse passionnément dans un jeu de miroir… Comme l’homme qu’elle aimait ? Pour se venger ?
Mais elle repense sans cesse à cet enfant qu’elle a mis au monde, comme s’il y avait une incompatibilité flagrante entre donner la vie et vivre pleinement grâce à la jouissance que procure l’amour… L’arrivée de l’enfant apparaissant comme une menace pour ce jeune couple.. C’est du moins ce que nous avons retenu de ce texte touffu et poétique. Claire Jacob voudrait faire apparaître la fatalité tragique qui accable son héroïne comme celles de Sophocle ou d’Euripide. Oui, mais voilà… Dans cette situation compliquée, il aurait mieux valu faire simple (voir Euripide) et désolé, ici l’écriture patine et n’a rien de théâtral. On sent parfois comme un petit frémissement quand, bizarrement, la jeune femme rencontre son amoureuse…Mais sinon, rien de très passionnant dans cette pièce-poème étirée..
Dans une chambre blanche au sol couvert de sable fin, souvent allongée sur son lit, elle a bien du mal à nous convaincre de sa solitude et du destin tragique qu’elle est en train de vivre, là sous nos yeux. On sent chez l’autrice l’envie de faire partager l’indicible de cette tragédie intime comme on en découvre quotidiennement… Oui, mais ce texte bavard se résume la plupart du temps à un presque monologue assez ennuyeux.
Côté mise en scène, Anne-Laure Thumerel arrive à mettre les choses en place mais sa direction d’acteurs est fragile. Et, au début surtout, Clara Ponsot a une diction des plus approximatives – ce qui n’arrange pas les choses- et dans le rôle du mari médecin, Maxime Roy marmonne, semble s’ennuyer et n’arrive pas à être un instant crédible. Deborah Joslin elle, a une belle présence et s’en sort mieux.
Mais le spectacle fait du sur-place pendant une heure vingt et ce n’est pas faute d’avoir été rodé, puisque nous avons assisté à la dernière représentation… Moralité: il est souvent hasardeux de se lancer dans la revisite d’une pièce mythique en la compliquant inutilement et en la situant à notre époque. Claire Jacob, en tout cas, n’y est pas arrivée. Dommage..
Le spectacle a été joué du 4 au 12 octobre au Glob Théâtre, Bordeaux. T.: 05 56 69 85 13.
Le texte de la pièce est paru aux éditions Koïnè.
Scelus (Rendre beau) texte de Solenn Denis, mise en scène du Denisyak
Heureux habitants de la Gironde et autres départements français, comme le disait Philippe Meyer autrefois sur France-Inter, ce n’est pas pour nous vanter mais nous avons appris dans sa note d’intention que le collectif avait un « fonctionnement»… «Denysak est né en 2010 de la rencontre du comédien et metteur en scène Erwan Daouphars avec l’autrice et comédienne Solenn Denis. » Et au cas où nous risquerions d’en douter: en vingt-six lignes, on nous répète quatre fois qu’elle est autrice et quatre fois aussi que le travail se fait au plateau. Et que (sic) : «Erwan, l’autre tête de l’hydre (cela fait très Macron) est au plateau au plus proche des comédiens et fait de la direction d’acteurs à l’oreille presque. (sic). Comme un capitaine d’équipe qui joue sur le terrain. Car c’est l’entraîneur, surveillant le match depuis son banc, que l’on a exclu, désaffirmant (sic) cette nécessité du metteur en scène. On ne s’entraîne pas, on joue. Capitaine d’équipe sur le terrain de jeu, et capitaine du navire prenant corps en l’autrice dramaturge dans la salle. Car dans le binôme, chacun est le capitaine de quelque chose, responsable de la cohérence et de l’énergie globale. En écrivant et en languant (sic) selon ses envies et obsessions, c’est Solenn qui toujours donne l’impulse (sic) de ce que sera la création au collectif Denisak. »
Ouf ! Quel sabir et quelle prétention! Tous aux abris ! Nous devrions plus souvent et mieux lire les notices de fonctionnement,que ce soit pour les sèche-cheveux, perceuses, visseuses fabriqués en Chine ou pour les spectacles créés en Gironde et dans les autres départements français. Après cet «impulse», qu’en est-il sur scène? Les choses seraient, nous dit-on, vaguement inspirées par la vie du comédien américain Jack Nicholson qui, à trente-quatre ans, apprend que ses soi-disant parents étaient en réalité ses grands-parents et que sa « sœur » était en fait sa mère (décédées quand l’acteur apprend l’histoire) et que Lorraine, son autre « sœur», était en fait, sa tante…
Un homme; Atoll, «bourré d’inconsistance, de colère sourde et d’égoïsme, qui entre dans sa quarantaine adulescente (sic) avec cynisme et nihilisme ». Sa sœur Yéléna et lui vont déterrer des secrets de famille. Il y a aussi un chien. Mais, si on a bien compris, Yéléna est morte et Atoll comprend que celle qu’il prenait pour sa sœur était en réalité sa mère et celle qu’il prenait pour sa mère, était sa grand-mère… Vous suivez toujours ? Et cerise sur le museau, son père était en fait le chien ! Si, si !
Il y a une belle étendue de gravier noir avec des perspectives imaginées par l’hydre (resic) Eric Charbeau et Philippe Casaban, obtenues avec quelques châssis que les acteurs déplacent. Mais cette fresque sur fond de tragédie familiale avec grossesse non désirée n’a pas réussi à nous accrocher un instant. Même si les acteurs font le boulot, notamment Nicolas Gruppo physiquement handicapé qui joue de la guitare fender. Ce texte prétentieux n’arrive jamais à décoller et distille un ennui de premier ordre. On comprend mal qu’il ait pu arriver jusqu’à ce Festival…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 19 octobre, Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine.
Les 17 et 18 décembre, La Passerelle, Scène Nationale de Saint-Brieuc.
Les 25 et 26 mars, Théâtre des Ilets, Centre Dramatique National de Montluçon.
Le texte est publié chez Lansman.