Le 20 novembre de Lars Norén, mise en scène de Laurent Fresnais
Le 20 novembre de Lars Norén, mise en scène de Laurent Fresnais
En 2006, Sébastian Bosse un Allemand de dix-huit ans tirait sur les élèves et les professeurs de son ancien collège d’Emsdetten faisant dix-sept blessés par balle, puis se tuait; dans son testament, il annonçait son suicide car sa vie, selon lui, n’avait aucun sens. On a retrouvé près de son corps, deux armes à feu au canon scié, des explosifs attachés à sa ceinture et un couteau. Le dramaturge suédois écrira ce monologue quelque temps après la fusillade, en s’inspirant d’un journal intime laissé par Sebastian Bosse qui avait tout planifié…
Profond désespoir, violente révolte mais aussi haine des autres, de la vie quotidienne…Mais pourquoi et comment en arrive-t-on là ? Aucune réponse rationnelle, aucun mobile valable : le meurtre en série n’a rien de très neuf (déjà Ajax de Sophocle sur un troupeau avec aussi le suicide du héros) mais avec les armes à feu modernes, un homme déterminé et violent peut tuer quelques dizaines de personnes en quelques minutes… Et n’est pas exclusivement masculin: en Allemagne, Marianne Nolle réussit à tuer sept personnes!) Mais est-il vraiment fou ou seulement un perdant parmi d’autres? La société urbaine de consommation fabrique-t-elle ce type de meurtrier ? Le discours qu’il tient, a, en tout cas, quelque chose de logique : il n’accepte pas le monde où il vit et où l’individu est soumis à un parcours obligatoire et formaté dès qu’il entre dans le cycle scolaire fondé sur une totale hypocrisie et finalement sur une violence feutrée mais permanente: E.F.T.R.M. École, Formation, Travail, Retraite, Mort. Donc sans intérêt et, dit-il, «Personne n’est innocent». Lars Norén met le doigt où cela fait mal, en posant la question en filigrane : et si Sebastian était notre frère, notre fils ou petit-fils… Et l’écrivain nous renvoie habilement à nos responsabilités et à nos haines de toute sorte, même si elles sont diluées. Pas de nom, ni de prénom, pas d’indication de lieu mais cela se passe en Allemagne… Pour l’auteur suédois, jamais bien optimiste ! vivre dans la société occidentale actuelle n’a rien d’une promenade de santé… et Le 20 novembre, une fiction fondée sur un fait réel, est une salutaire piqûre de rappel. Et le monologue est d’une crudité exceptionnelle : « Si j’arrive pas à trouver un sens à la vie/je vais de toute façon trouver un sens/à la mort/. Mais je partirai pas seul. » (…) « Les nazis /Les hip-hopers /Les Turcs/les putes/Les fonctionnaires/Les gros porcs de flics/Les protestants/et les catholiques/Vous me faites gerber/Faudrait vous mener à l’abattoir. »: « Y a quelqu’un/qui veut dire quelque chose/avant que je parte ? »
Sur le plateau, juste une petite table avec un projecteur-relais pour diffuser quelques mots tapés depuis le portable de Cédric Welsch seul en scène mais aussi des images un peu floues en noir et blanc de caméras de surveillance montrant des élèves d’un collège se cachant sous des tables lors de l’attaque d’un tueur en série. Glaçantes… « Nous avons élaboré, dit Laurent Fresnays, une mise en scène permettant de voyager de l’une à l’autre, créant ainsi une ambiguïté propre à capter l’attention, et provoquer l’introspection du spectateur. Sébastian est seul contre tous. Le comédien est seul face au public. Livré à lui-même, sans autre artifice que l’espace vide et la lumière, il doit lui aussi, à chaque représentation, faire ce périple intérieur et se confronter à ses démons. Seul maître à bord, il entraîne son auditoire au gré de sa volonté, mais partage avec lui la réalité de l’instant, la réalité de ce personnage de cauchemar, de façon concrète, ici et maintenant, pour une expérience théâtrale à part. »
Oui, mais si cela fonctionne à peu près au début, Cédric Welsch a du mal à nous entraîner ensuite dans ce voyage intérieur, notamment quand il pose des questions au public. Et pourquoi le metteur en scène le fait-il parler de longues minutes sur trois marches d’escalier côté jardin dans la pénombre, et même si le texte comme tous ceux de son auteur est d’une rare qualité d’analyse, on reste un peu sur sa faim. Et malgré l’aération que procurent des images comme celles de cette photo de classe ou d’un jeune couple en vacances avec leur bébé, le spectacle a du mal à rester convaincant et fait du sur-place. En cause : surtout une direction d’acteurs et un éclairage approximatifs. On a vu ce texte séduisant mais difficile à monter, être mieux traité…
Philippe du Vignal
Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème) jusqu’au 29 novembre.