Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, traduction de Kostas Dalianis et Evita Papaspyrou, mise en scène de Kostas Dalianis
Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, traduction de Kostas Dalianis et Evita Papaspyrou, mise en scène de Kostas Dalianis
Le maître du théâtre de l’absurde montre ici le drame de l’homme face à sa propre mort, en la personne de Bérenger 1er, un roi de fantaisie mais en qui chaque spectateur peut se reconnaître. Malade, Bérenger agonise et meurt sur scène. Un texte puissant de 1962, influencé par Shakespeare et qui rencontrera un large succès. Le royaume est touché par un drôle de cataclysme: saisons déréglées, pays qui se désertifie, habitants mourant prématurément, palais qui se désagrège… Le Roi perd tout pouvoir sur les êtres et les choses et chaque personnage arrivant de l’extérieur annonce une nouvelle catastrophe.
La pièce commence le matin où le processus de destruction a touché les murs de la salle du trône qui se sont fissurés. L’espace scénique est ici traité comme un corps malade dont le pourrissement est en relation avec la maladie du roi qui s’aggrave. Aussi le médecin, qui est aussi l’astrologue et le bourreau du Royaume, vient-il porter un double diagnostic. Bérenger est sur le point de mourir, les portes, fenêtres et murs disparaissent lentement, et s’effacent peu à peu dans la perception du roi qui devient sourd et aveugle. Et les battements affolés de son cœur ébranlent la salle du trône et achèvent de la détruire. Eugène Ionesco utilise le fantastique à des fins allégoriques et la mort du roi est la fin du monde. Et elle survient quelques secondes après l’évanouissement du décor, une image forte qui place le spectateur dans la position du mourant pour qui c’est le monde et non lui, qui disparaît.
Eugène Ionesco met en scène la condition de l’homme partagé entre désir de jouissance et nécessité de se préparer à la mort, un conflit illustré par les deux reines. Gaie et aimante, Marie, voudrait rattacher le roi à la vie, le plus longtemps possible mais elle perd son pouvoir dès que la mort s’approche. Elle devra céder la place à Marguerite qui assiste le roi dans cette épreuve et règle les différents moments du rite de passage. Austère psychopompe, elle préside à la cérémonie et amène le roi à renoncer peu à peu à tous ses désirs, détachant ainsi les liens qui le retiennent encore à la vie et elle le conduit ainsi dans cette marche vers la mort. Soit deux conceptions de l’existence: occidentale et orientale. Pour Marie, la mort est un déchirement inacceptable et pour Marguerite, elle permet d’approcher du « Grand Rien », de la plénitude du vide.
La version de la pièce qu’en proposent Modernoi Kairoi (Les Temps Modernes) renforce le message politique de la pièce sans amoindrir l’élément farcesque, l’humour noir et la parodie de la condition humaine. Dans un décor sombre et simple où dominent blanc, noir, rouge et doré, cette cérémonie funèbre oscille entre burlesque et grotesque. Et Kostas Dalianis met l’accent sur l’ironie caustique de l’écrivain, face à l’effondrement d’un pouvoir usé, arrogant, insatiable et corrompu ; une allusion aux régimes où le citoyen reste inerte et faible, sans réagir aux manipulations des démagogues.
Sans que le metteur en scène l’ait orienté vers un lourd scepticisme, le spectacle souligne l’éphémère de l’existence, la fuite du temps, la peur vers l’inconnu de l’au-delà, les inquiétudes métaphysiques des mortels et la recherche éternelle d’un sens ou d’un but dans la vie. Kostas Dalianis crée un microcosme où le rire alterne avec un soupir amer et le caractère tragique de la bouffonnerie; il montre le passage de la félicité totale, à la déchéance externe. Il s’agit d’une poétique de la vie qui se dessine, malgré le pessimisme apparent.
Vassilis Georgossopoulos est le Roi Bérenger. Au début, dans toute sa force juvénile, il est audacieux et sûr de lui et à la fin, une créature dégradée, aliénée et tragique. Evita Papaspyrou (Marguerite) maîtrise avec une interprétation remarquable et très nuancée, l’évolution du personnage . Antonia Pintzou (Marie) et Aggeliki Lymperopoulou (Juliette) renforcent le paradoxe comique. Yannis Petridis excelle avec une impeccable gestuelle en Docteur-Bourreau. Le Gardien d’Andréas Velentzas est une «vraie» statue mouvante d’une forte signification : le pouvoir exécutif agit toujours avec une froideur sans raison…
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Alkmini, 8-12, rue Alkminis, Athènes. T. : 0030 210 34 28 650.