Ridiculum vitae, texte de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonaffé

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Ridiculum vitae, texte de Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonaffé

Une fille gênée  (Marie Thomas) après nous avoir dit trois fois bonsoir et affirmé sa confiance en «l’avenir qui nous attend les yeux fermés! »,  prononce avec une belle énergie des extraits  du discours d’André Malraux quand il inaugura  la Maison de la Culture d’Amiens.

La lumière s’éteint, elle s’énerve. Benoît Ribière entre, joue au piano et Marie Thomas danse en enlevant ses bas, nous fait rire en déclinant ses ratés et échecs successifs dans un flot verbal ininterrompu. « Tout dire ! Tout parler !Tout écrire ! Tout sembler réussir, pour mieux finir par tout rater ! Tout écouter et en rire ! Tout oser ! L’Académie ? Vingt cadavres debout discutent de l’orthographe du mot macchabée! »  (…) Fuyez, hâtez le pas ! L’Institution nous rattrape, l’établissement est à nos portes et l’Art Officiel nous colle au derche.  » (…) « En avant toute ! »

Un spectacle insolite, très bien interprété par Marie Thomas et qui ne manque pas de charme… « Continuez, dit le metteur en scène de croire à la poésie, continuez à faire entendre cette voix intérieure interdite, cette voix oubliée de notre enfance. Continuez à transporter en riant notre cargaison de misère. Je vous souhaite une rencontre avec Verheggen et Bonnaffé traversée d’émotion de rires et de sensations? Avec la rage et la joie au ventre pour des nouvelles fraternités. Le spectacle doit être un lieu de résistance à la marchandise, un espace «de mots qui s’éloignent le plus des mots qu’on a sur le bout de la langue» «Magnifique, la luxure poétique! Oui! Magnifique la poésie quand elle proclame sa haine de la poésie affadie!»

Edith Rappoport

Jusqu’au 16 décembre, Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris ( Ier).


Archive pour 31 octobre, 2019

Installation-Performance de Laurence Ayi, bilan d’étape

Installation-Performance de Laurence Ayi, bilan d’étape 

Ayi_Laurence(002)SACRe (Sciences, Arts, Création, Recherche) résulte de la coopération de six de ses établissements membres de l’université de recherche P.S.L.) (Paris Sciences et Lettres: le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, l’École Normale Supérieure et l’École Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son (Fémis)
C’est une nouvelle formation doctorale pour artistes, musiciens, cinéastes, metteurs en scène, acteurs, désigneurs, chercheurs en sciences exactes et en sciences humaines et sociales. Avec, si on a bien compris, dans ce paquet-cadeau, une réflexion théorique et une pratique artistique.

« Inauguré en 2012, dit Sébastien Lenglet, directeur des études et de la recherche pour la formation à la mise en scène au Cons, ce programme accueille à ce jour trente-deux doctorants. Après trois ans, ils soutiennent leur thèse en public, devant un jury de membres habilités et de personnalités issues du monde de l’art. » Format variable  selon les disciplines. Donc un produit de recherche expérimentale artistique de haut niveau
Doctorante SACRe promotion 2016, Laurence Ayi a présenté dernièrement son travail sur Le rituel de l’habillage comme mécanisme de transition du vêtement au costume. Dire que ce rituel est un acte de théâtre performatif duquel naît l’objet-costume, art visuel-vivant. Une thèse dirigée par Sylvie Chalaye (IRET Sorbonne Nouvelle) qui a succédé à Jean-Loup Rivière, décédé cette année (voir Le Théâtre du blog). Axes de ce travail: Des positions : Apparition-Déposition, Apparence-Composition, Disparition-Décomposition.

A la suite de l’enterrement de sa grand-mère, cette jeune femme togolaise a réfléchi sur les rituels qui, dans son pays, accompagnent l’habillement du mort: pour elle, il y a une étrange similarité avec l’habillage du comédien avant son entrée en scène. « Cette thèse se propose donc de mettre le vêtement-costume au centre de la recherche en tant qu’objet performatif en action. » (…) « À quel moment le vêtement devient-il costume ? De quelles vies s’anime un vêtement et par quel vêtement se déshumanise un être? » Pourquoi l’uniforme peut-il magnifier le corps ou le rendre ridicule ? Qu’est-ce qu’un vêtement dit de travail, comme les fameuses vestes noires pour menuisier de chez Adolphe Lafont, souvent portées par des artistes? Comment rendre ridicule un personnage théâtral juste par son costume, sans pour autant tomber dans la caricature? Comment traduire l’érotisme d’une robe sans tomber dans la vulgarité? Comment choisir ou dessiner puis installer un ensemble de costumes dans un espace scénique souvent limité ? Toutes questions difficiles à gérer mais que les élèves de la section vêtement-costume aux Arts Déco sont habitués à résoudre…

Scénographe, costumière et plasticienne, Laurence Ayi a choisi la performance et l’installation pour créer «le vêtement-costume comme espace, lieu du corps où prend place un théâtre intérieur, singulier.» Cela commence dans une rue piétonne proche, à côté d’une église avec une chorégraphie où quelques jeunes hommes et femmes tout habillées de blanc se soutiennent mutuellement. Puis on nous invite à entrer dans la belle salle Louis Jouvet aux murs plaqués de bois. Sur des portants, ou pendus au plafond sur des cintres, des dizaines de corsages, chemisiers… qui ont passé plusieurs années dehors au vent et sous la pluie avec toutes les détériorations possibles : trous, taches de rouille des cintres en fil de fer, déchirures. Bref, la trace irréversible du temps.  Impressionnant…

Le mariage du vêtement avec la peinture et la sculpture a toujours fasciné les artistes. Edgar Degas en  1881 met un tutu et un ruban rose sur le corps en bronze de La Petite Danseuse de quatorze ans  et depuis les artistes contemporains ont introduit le vêtement dans leurs œuvres comme entre autres Christian Boltanski avec son Inventaire des objets ayant appartenu à une Vieille dame de Baden-Baden (1973) ou ses impressionnantes accumulations de vêtements récupérés et entassés sur des carrés alignés par dizaines sous la nef du Grand-Palais (2.010) mais aussi Joseph Beuys, Annette Messager, ou encore Pascale Drivière avec  ses « objets délaissés, abandonnés, vêtements récupérés, usés, chargés de mémoire, linge voué aux chiffons qui a été savamment rapiécé, rapetassé, reliques qui gardent les traces de vies oubliées. »

Il y a dans la salle une dizaine de petites cellules fermées de voilages l’une avec une sorte de petite momie allongée sur un lit, une autre où on peut indiquer le dernier vêtement que l’on souhaite porter avant de quitter cette vallée de larmes… Il y a indéniablement chez cette artiste, une recherche sur le vêtement-costume blanc  associé à l’usure naturelle mais aussi la mort et le deuil. Avec toutes les métaphores et glissements de sens possibles sur le corps, et le corps féminin en particulier. On reste ici dans le domaine artistique et c’est un peu la limite de ce genre d’exercice.  Loin de Mona Chollet quand elle étudie la question du corps des femmes et les stéréotypes sur les femmes-objets.

 A la fin, la vingtaine de personnes présentes autour d’une aire rectangulaire où sont projetées des images de nature assiste à une très belle danse d’une comédienne qui s’enroule avec une grande écharpe de coton blanc accrochée au plafond. C’est un travail en cours et non un spectacle, donc il est préférable de s’abstenir de tout jugement mais les qualités de cette installation a de grandes qualités artistiques , même si on aurait bien aimé que Laurence Amiy aille creuser davantage vers les cérémonies rituelles de son pays; celles de ses voisins béninois nous avaient autrefois très impressionné par leur richesse gestuelle et musicale. Mais c’est un travail en cours, donc à suivre.
Cela dit, à quoi sert exactement ce SACRE, sinon dans le meilleur des cas à servir de tremplin… « Il y a, pourtant il me semble à se méfier, dit le metteur en scène Jean-François Peyret, de la Grande Doctorisation à laquelle on assiste. » (…) « Beckett disait que l’Herrordoctorimus n’était pas son fort. »

 

Philippe du Vignal

Installation-performance réalisée les 18 et 19 octobre au Conservatoire National d’Art Dramatique, rue du Conservatoire, Paris ( IX ème).

 
 

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