La Gioia de Pippo Delbono (en italien sur-titré)

 

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Photo Luca del Pia

La Gioia de Pippo Delbono (en italien sur-titré)

Le metteur en scène a parfois déchaîné les passions: pour les uns, un artiste donnant la parole aux exclus de la normalité et pour les autres, un habile truqueur sachant exploiter les bons sentiments et la compassion que peuvent ressentir les spectateurs du monde entier, devant  ces exclus.
La Gioia est un spectacle peu différent et visiblement sincère. Il fait suite à la mort de Bobo, dit Pippo Delbono, qui l’avait rencontré en 1996 dans un hôpital psychiatrique. Sourd-muet, microcéphale, Bobo a fait partie de toutes ses pièces et un lien très fort s’était établi entre eux, au-delà de la complicité artistique. Ensemble, ils ont parcouru le monde, de scène en scène, en compagnie d’autres artistes décalés et marginaux.

La maladie mentale, la folie, peut-elle être représentée sur scène sans ambiguïté et sans voyeurisme, même à travers un prisme poétique? Antonin Artaud n’est plus là pour nous éclairer et ses écrits ont donné naissance à de nombreuses expériences théâtrales… pas toujours concluantes… Mais dans La Gioia, il y a une réelle authenticité chez ces acteurs qui jouent ces tableaux très felliniens et que rechercher le public. Faire chanter en play-back Gianluca,  avec une perruque et un costume de femme, sous les reflets d’une boule à facettes, peut paraître facile… Et Pippo Delbono utilise tous les artifices: effets stroboscopiques, bascule de la lumière du plateau vers la salle, musiques sentimentales … Des ficelles  un peu grosses mais cette meute de personnages atypiques suit celui qui leur a donné une existence artistique depuis tant d’années. La plupart des spectateurs sont ici des fidèles du metteur en scène italien et, aux saluts, les nombreux  applaudissements l’ont prouvé,.

On entend les vocalises enregistrées de Bobo: l’émotion naît ici du vide laissé par sa disparition et on sent le metteur en scène désemparé : «Il y a, dit-il, des trous dans la pièce qui correspondent aux trous dans ma tête en ce moment» et la gioia (la joie) «est un chemin qu’on vit, dont on fait l’expérience pendant la traversée de la douleur».
 Comme en 1991, les acteurs de Tadeusz Kantor étaient en deuil quand ils ont créé sans lui Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, Pippo Delbono à soixante ans, est orphelin de son principal interprète et ce Requiem pour Bobo est peut être son dernier spectacle : il faut donc aller le découvrir sans hésiter.

Jean Couturier

Jusqu’au 20 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21.


Archive pour octobre, 2019

Molly, texte de James Joyce, adaptation de Chloé Chevalier et Pascal Papini, mise en scène de Pascal Papini

 

Molly, texte de James Joyce, adaptation de Chloé Chevalier et Pascal Papini, mise en scène de Pascal Papini

 

AE6DC2B1-CB5F-417C-84E7-A055836571DCCe sont quelques unes des pages  les plus fortes du dernier chapitre du très Ulysse de James Joyce  initié de L’Odyssée et publié- on l’oublie trop souvent- d’abord sous forme de feuilleton dans le magazine américain The Litte Review de 1918 à 1920, puis intégralement  en 1922 à Paris, par la librairie  Shakespeare and Company fondée par Sylvia Baach. James Joyce utilise le procédé dit « courant de conscience » d’après le processus de pensée desess personnages.  Molly Bloom est l’épouse du personnage principal Leopold Blum.  Femme libre, elle a une liaison avec Blazes Boylan.

Ce dernier chapitre du livre, un long et formidable monologue intérieur, est écrit sans ponctuation en soixante-neuf pages et cinq chapitres. Molly Bloom parle avec une grande franchise et une étonnante crudité, de sa vie la plus intime, voir sexuelle… Alors qu’elle est au lit à côté de  lui et  sans vraiment se contrôler. La parole s’y écoule comme un flot ininterrompu et incontrôlé où les mots servent uniquement une pensée libre, féminine, et où les associations d’idées, les souvenirs et les mouvements irrationnels conduisent le texte. Une sorte de pensée « syllogique » parfaitement revendiquée par Joyce…  On comprend qu’il y a un siècle un tel texte, qui fait souvent penser à ceux qu’écrira plus tard Catherine Millet, ait pu susciter de violentes réactions comme celle d’une société new-yorkaise contre le vice » qui porta plainte contre James Joyce pour obscénité et  réussit à faire interdire le livre aux Etats-Unis jusqu’en 1934 !

C’est la nuit et comme la Pénélope d’Homère, elle est seule et donc absolument libre -son mari n’existe plus puisque profondément endormi- de revoir sa journée. Et monter ce monologue est tentant.  “La première question est celle de la parole. Comment rendre compte, dit Pascal Papini, du rythme d’une pensée vagabonde en un rythme de parole. Pensée à voix haute, adresse à l’autre (public) soi-même, en respectant cet essoufflement progressif de ces huit phrases sans ponctuation… Il s’agit de jouer l’immédiateté de cette parole. »

Sur cette très petite scène, rien qu’un lit dans le fond et deux tabourets d’horloger. Mais on a du mal à croire à la présence du mari de Molly. Mais cela finalement importe peu et Chloé Chevalier va tout de suite nous emmener dans la pensée divagante  mais à l’intelligence acérée de Molly. Tout y passe et elle ne nous cache rien de sa vie sentimentale et/ou sexuelle. « Oui parce qu’ils sont tellement faibles et geignards quand ils sont malades ils ont besoin d’une femme pour aller mieux (…) oui il est allé faire ça quelque part j’en suis persuadée à l’appétit qu’il montrait en tout cas c’est pas de l’amour sinon il aurait pas eu faim en pensant à elle alors soit c’était une de ces professionnelles si c’est vraiment là-bas qu’il est allé et cette histoire d’hôtel qu’il a inventée un paquet de mensonges pour cacher qu’il le faisait (…) oui (…) ou alors sinon c’est une petite pute quelconque qu’il a levée je ne sais où ou bien ramassée en douce »  Ou encore donc il doit bien le faire quelque part et la dernière fois qu’il a joui entre mes fesses quand était-ce la nuit où Boylan m’a pressé si fort la main en marchant le long de la Tolka mettez votre main dans la mienne j’ai juste serré le dos de la sienne en retour comme ça avec mon pouce en chantant La jeune lune de mai resplendit mon amour aussi parce qu’il se doute bien de quelque chose entre nous il est pas si bête il a dit je dînerai dehors et j’irai à la Gaîté. »  (…)

A moins que je me paie un joli garçon pour faire ça puisque je peux pas le faire moi-même je plairais bien à un très jeune homme je le troublerais un peu seule avec lui je lui laisserais voir mes jarretières les neuves et je le ferais rougir en le regardant je le séduirais je sais ce que ressentent les garçons avec ce duvet sur les joues toujours en train de faire joujou avec leur machin. » (…)  «  celui-ci en tout cas le bout se dresse pour un rien je lui ferai garder son machin en l’air et je prendrai de ces œufs battus dans du Marsala pour les gonfler pour lui c’est quoi toutes ces veines et ces machins c’est bizarre comme c’est fait les deux pareils en cas de jumeaux ils sont censés incarner la beauté placés là en haut comme ces statues du musée l’une d’elle faisant semblant de le dissimuler derrière sa main est-ce qu’elles sont si belles c’est sûr comparé à ce qu’un homme a l’air avec ses deux sachets pleins et son autre machin qui lui pend par devant ou qu’il vous dresse en l’air comme un portemanteau pas étonnant qu’il la cache avec une feuille de chou. »

Chloé Chevalier est impeccable, à la fois pleine d’un humour ravageur et d’une volonté d’en découdre avec un texte passionnant mais loin d’être facile à tenir et à retenir, puisque situé entre un pur récit et une sorte d’incarnation/ incantation personnelle. En une heure et quelque, cela représente une sacrée performance. Les scènes sont actuellement envahies par des seuls en scène mais ne ratez pas celui-ci : il est d’un  tout autre niveau. Souvent joué au théâtre, ce monologue de Molly Bloom est à chaque fois intéressant mais il est ici d’une très rare qualité…

 Philippe du Vignal

 Théâtre des Déchargeurs 3, rue des Déchargeurs, Paris (I er). T. : jusqu’au 19 octobre. T. : 01 42 36 00 50

 Ulysse de James Joyce est publié aux éditions Gallimard.

 

Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène de Rimas Tuminas

Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène de Rimas Tuminas (en russe sur-titré)

eugenia-kregzhde-oncle-vania-theatre-marigny-vakhtangov-sergey-makovetsky-syma-news-yeremian-florence--696x464«Tu peux très bien chauffer ton poêle avec de la tourbe et construire tes granges avec des pierres !  dit au premier acte, le docteur Astrov. Bon… j’admets que l’on fasse des coupes par nécessité mais pourquoi tout raser? Les forêts russes retentissent de coups de hache. Des milliards d’arbres périssent. Les tanières des bêtes sauvages, les nids des oiseaux se vident ! Les rivières s’ensablent et se dessèchent. Des paysages merveilleux disparaissent pour toujours, uniquement parce que l’homme paresseux n’a pas l’idée de se baisser et de ramasser le combustible à ses pieds! (A Elena) Madame, n’ai-je pas raison ? Il faut être un irresponsable! Un barbare! Brûler dans son poêle toute cette beauté ! Anéantir ce que nous ne sommes pas capables de créer! L’homme a été doué de raison et de force créatrice afin de multiplier ce qui lui a été donné. Mais, jusqu’à présent, il n’a rien fait d’autre que détruire ! Il y a de moins en moins de forêts! Les rivières se dessèchent! Le gibier disparaît! Le climat se détériore! Et de jour en jour la terre devient de plus en plus pauvre et de plus en plus laide… » Un discours visionnaire mais malheureusement rien n’a changé et le diagnostic actuel est encore plus alarmant!

Ivan Voïnitski: l’oncle Vania (Sergey Makovetsky, une vedette en Russie) a pour beau-frère, le professeur Sérébriakov qui vient d’arriver avec sa nouvelle femme Elena au domaine de Sonia, la fille de ce professeur et la nièce de Vania (exceptionnelle Eugenia Kregzhde). Avec son oncle Vania, elle exploite le domaine et est amoureuse depuis longtemps d’Astrov (Artur Ivanov, très juste), un médecin misanthrope: «Je n’aime pas les gens !» Passionné de nature, il séduit Elena dont l’oncle Vania est tombé amoureux. Ici, vivent aussi au domaine : la vieille Marina, la nourrice de Sonia, Maria, sa grand-mère et la mère de Vania, et la belle-mère du professeur Sérébriakov mais aussi Téléguine, un propriétaire ruiné. Les comédiens interprètent pleinement cette pièce jouée dans le monde entier.

«Les acteurs doivent être à la fois acrobates et philosophes», dit Rimas Touminas, directeur du théâtre Vakhtangov  qui leur demande un engagement total et cela se sent en particulier chez les interprètes de Sonia et d’Astrov qui mènent jusqu’au bout ce bal tragi-comique des sentiments : «Nous avons compris, dit-aussi le metteur en scène, que le théâtre ne peut rien changer, alors nous avons décidé de rire d’une joie désespérée, et cette approche nous sauve du quotidien et de sa brutalité. »

Ce qui crée une véritable unité de jeu entre les acteurs qui portent fièrement à l’étranger leur vision du théâtre.  Pantomime, danse, musique avec la belle partition de Faustas Latenas. Un spectacle total où l’émotion transparait dans chaque silence entre les conversations. Les personnages sont tous isolés dans leurs contradictions et leurs amours mais comme le dit Astrov avec humour: «Nous parlons depuis cinquante ans, il est temps que cela cesse. » Le public se souviendra longtemps de la tristesse de Sonia et du hurlement de bête du docteur Astrov quand il quitte le domaine. Cet Oncle Vania donc chaque représentation ici a affiché complet, porte haut les qualités du théâtre russe… 

Jean Couturier 

Le spectacle s’est joué du 27 septembre au 3 octobre, au Théâtre Marigny, Carré Marigny, Paris (VIII ème). T. : 01 76 49 47 12.

 

Les Francophonies des Écritures à la scène 2019 (suite)

© Christophe Péan : le QG du Festival de limoges

© Christophe Péan : le QG du Festival de limoges

 

Les Francophonies des Écritures à la scène 2019 (suite)

 Aux Zébrures d’automne, chaque matin ont lieu des rencontres avec les artistes et des projections de films, remises de prix, entretiens… Ce qui, à l’orée des spectacles, élargit les échanges avec le public, toujours friand de débats, et entre professionnels. La notion de francophonie soulève en effet de nombreuses questions qui évoluent au fil du temps et un festival comme celui-ci permet, entre autres, d’en suivre l’actualité…  

 Entretien avec Felwyne Sarr

Avec un art consommé de l’interview, le directeur du Festival nous présente cet homme-orchestre sous un jour nouveau. L’auteur sénégalais a choisi la voie universitaire, sans pour autant renoncer à ses premières amours: la musique et à la littérature.  Romancier et poète, il a reçu plusieurs distinctions pour Afrotopia, un essai paru aux éditions Philippe Rey (2016) et qui vise à définir un futur original pour l’Afrique, en respectant l’esprit syncrétique préexistant à la colonisation dans les sociétés de ce continent.
Dans sa pratique artistique comme dans son enseignement, il cherche à décloisonner les savoirs : «On a hyper-spécialisé les êtres, on est devenu plus savant mais moins intelligent, on a du mal a saisir la globalité.» Avec son champ de recherche: l’épistémologie du non-logos , il  veut redonner une dignité à des formes de savoir, autres que les sciences exactes ( ceux du corps, de l’art, des mystiques). Selon lui, la quête de la modernité en Afrique est imposée de l’extérieur et le défi, pour le continent, est de définir «une société du bien-vivre ensemble, conciliant le savoir et le faire. »

Emmanuel Macron lui a demandé d’examiner comment la France pourrait restituer les œuvres d’art qu’elle possède, aux pays africains. Il a mené cette étude avec Bénédicte Savoy, historienne d’art et professeur au Collège de France. Il s’agissait tout d’abord d’établir un inventaire  de la provenance des biens, en distinguant ceux obtenus par pillage comme les objets du Palais royal d’Abomey au Bénin, par collecte scientifique, comme Marcel Griaule l’a fait en pays Dogon (décrit Michel Leiris dans L’Afrique fantôme), par achat à vil prix… Il fallait aussi déterminer selon quels critères les pays intéressés choisiront les œuvres restituées et se prépareront à les accueillir… Une tâche difficile, vu le rapport ambigu de la France avec les pays africains et les controverses dont ce processus fait l’objet. Et il faudra aussi modifier la loi d’inaliénabilité du patrimoine culturel français… À l’heure où le Collège de France, a ouvert une chaire permanente d’histoire et archéologie des mondes africains, la question est plus que jamais à l’ordre du jour.

En conclusion, Hassane Kouyaté donne rendez-vous l’année prochaine à Felwyne Sarre pour un concert avec ses cinq frères, musiciens comme lui, qui ont créé chacun leur propre orchestre… Un festival familial ! En attendant, nous le retrouvons au foyer de l’Opéra pour Habiter le monde poétiquement, un dialogue entre René Char, Aimé Césaire et ses propres textes. Ce concert de mots et de musiques, était accompagné par le comédien Étienne Minoungou et par Simon Winsé au ngoni, à la kora et à la flûte peule.

 Rencontre avec Mohamed Kacimi

© Christophe Péan. Jours tranquilles à Jérusalem

© Christophe Péan. Jours tranquilles à Jérusalem

Tout aussi passionnant, l’écrivain sollicité à propos de Jours tranquilles à Jérusalem, une  œuvre mise en scène par Jean-Claude Fall et qu’il a adapté de son Journal de bord tenu pendant les répétitions de la pièce Des Roses et du Jasmin d’Adel Hakim (voir Le Théâtre du Blog). Le dramaturge franco-algérien revient sur cette expérience, largement racontée dans son livre*. Il a une réflexion critique et pleine d’humour sur ce moment catastrophique de notre histoire, à travers le prisme d’une aventure humaine et théâtrale unique qui eut lieu au Théâtre national palestinien de Jérusalem-Est.
 Il se dit fataliste à propos du conflit entre Israël et les Palestiniens. Pour lui deux positions victimaires s’affrontent: «Les Juifs se vivent en victimes universelles et les Palestiniens leur renvoient : “Ma douleur est plus grande que la tienne“. (…) Là-bas, la guerre est une nécessité et cimente deux sociétés l’une contre l’autre, alors que, pour les Européens, la paix est un absolu. Il leur aura fallu 150 millions de morts pour être en paix. » (…) «En Israël, la guerre cimente une société composite mais les organisations palestiniennes, elles, ne veulent pas la paix mais la justice…» Mohamed Kacimi nous met en garde sur ce processus de victimisation, de quelque bord qu’ils soit : «Les Palestiniens incarnent la victime universelle, comme métaphore de la souffrance. » (…) « Mais l’amour pour la Palestine peut masquer une haine millénaire des Juifs… »

 Je ne suis pas vivant mais poète** documentaire de Julie Peghini

 « Je suis un homme torpillé qui habite un monde torpillé. C’est pour remettre une dimension magique aux choses que j’écris», disait Sony Labou Tansi. Julie Peghini n’est pas cinéaste mais ethnologue et maîtresse de conférences à l’université ParisVIII-Vincennes-Saint-Denis. En découvrant l’œuvre de l’auteur congolais, elle décide de lui consacrer un film et, pour cela, se forme pendant neuf mois à l’atelier documentaire de la F.E.M.I.S. Sur les traces de Sony Labou-Tansi, elle nous entraîne au bord du fleuve Congo et dans les lieux familiers de son héros. Elle nous livre aussi la parole aigüe de ce chantre de l’Afrique : «Nous voulons créer une culture de choc.» (…) «Convoquer une monde dont nous avons été absents trop longtemps ! L’Afrique est le nouveau monde.»

Et elle donne voix à des écrivains qui estiment être ses héritiers, comme Dieudonné Niangouna : «Je suis devenu Dido par la force de Sony, par la sonyfication des énergies.»  Le jeune dramaturge lui a consacré un spectacle en 2017: Antoine m’a vendu son destin/ Sony chez les chiens (voir Le Théâtre du Blog) mais il a aussi orchestré un hommage au poète pour le vingtième anniversaire de sa mort, à son festival Mantsina-sur-scène 2015, à Brazzaville. Mais, à cause d’une lettre adressée au président Denis Sassou Nguesso, il y fut interdit de séjour! La cinéaste nous en a rapporté des images puis nous emmène aux Récréâtrales, un autre festival important où l’on voit dans les rues de Ouagadougou ( Burkina-Faso) des passants lire avec délectation un poème de Sony Labou Tansi traduit pour l’occasion en kikongo: « Le Congo est comme une épine, si tu y touches, tu te blesses ! Le moment du film que Julie Peghini préfère.

«J’écris pour être vivant. Pour le demeurer. Je sais que je mourrai vivant», plaisantait le poète et cette réalisation contribue à l’immortaliser…

 Les prix de littérature dramatique

 f-5a4-59afab3b23e3fTraditionnellement, plusieurs en sont remis lors de ce festival.

Le prix Sony Labou Tansi revient à  Marine Bachelot Nguyen pour Le Fils  publié aux éditions Lansman.

Choisi, parmi cinq textes publiés, par 1.200 lycéens dans les Académies en France métropolitaine, en Outre-mer et dans les lycées français à l’étranger : Vietnam, Algérie, Gabon… «Cette fiction a un fort ancrage documentaire, note l’auteure. «Un travail de recherche sur les mouvements catholiques intégristes en France et sur d’autres mouvements, plus policés et ambigus, a accompagné et précédé l’écriture du texte. »  

Une femme d’aujourd’hui, en province, à la vie bien ordonnée entre famille et travail… qui va à la messe le dimanche avec  son mari et ses deux fils qui grandissent, si différents l’un de l’autre. Elle s’engage dans des mouvements catholiques traditionalistes et va aux manifestations contre le spectacle de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu. Puis elle participera aux marches contre le mariage pour tous. Avec le sentiment d’appartenir à une bonne société bien pensante… Rien de moraliste dans cette commande  de la compagnie L’Unijambiste, en réponse à  l’essor de l’intégrisme catholique. Mais une analyse  froide et scrupuleuse des mécanismes à l’œuvre dans l’engrenage qui conduit à des engagements politiques nauséabonds, en toute inconscience. 

 Prix de la dramaturgie francophone de la S.A.C.D.

La commission Théâtre a retenu parmi une dizaine de textes proposés par la Maison des auteurs de Limoges, Sucré Seize (huit filles) de la Québécoise Suzie Bastien qui aime l’idée « d’une guérilla poétique de filles sur scène ». Avec ces huit monologues de dix minutes, chacun dans une langue particulière, alternant paroles crues et confidences plus réflexives, elle trace un portrait composite de l’adolescente nord-américaine d’aujourd’hui. «J’ai maintenant envie de refaire le même chemin mais cette fois avec huit vieilles femmes » dit Suzie Bastien, dans un entretien où elle brosse au passage un panorama de la dramaturgie de son pays. ***

 Le prix R.F.I. Théâtre

 

prix rfi valérie cachard

prix rfi valérie cachard

Depuis 2014, la Radio attribue ce prix Théâtre, suite à un appel à l’écriture, pour encourager les nouveaux dramaturges francophones (voir Le Théâtre du Blog). Cette année, il revient à la Libanaise Valérie Cachard pour Victoria K, Delphine Seyrig et moi ou La Petite Chaise jaune. « C’est l’histoire d’une femme/Non, c’est l’histoire de deux femmes/C’est l’histoire d’une ville/Non de deux villes/Non, d’une ville qui fut un jour coupée en deux. » Une histoire de paradis perdu et de péché… A travers des vestiges découverts dans une maison abandonnée  à Beyrouth : carnets, lettres, objets, la narratrice-autrice reconstitue la vie de Victoria K … Ces restes se combinent avec des archives pour composer l’histoire du Liban. S’y mêlent les souvenirs de l’autrice qui improvise sa propre partition dans laquelle Delphine Seyrig et Victoria K surgissent comme des apparitions. Cette pièce archéologique procède par couches successives et répétitions de motifs. Valérie Cachard est la deuxième femme, libanaise de surcroît, à recevoir ce prix après Hala Moughanie en 2015.

 Mireille Davidovici

Zébrures d’Automne se poursuit jusqu’au 5 octobre.
Les Francophonies, de l’écriture à la scène : 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10.

*Jours tranquilles à Jérusalem est publié aux éditions Riveneuve.

** Je ne suis pas vivant mais poète sera projeté en version longue au Centre Georges Pompidou, le 8 novembre à 20 heures, dans le cadre des Rencontres documentaires.

 ***Extraits publiés dans La Récolte, Editions Passage(s), 14 allée du Père Jamet, Caen (Calvados) editionspassages@gmail.com T. : 06 58 29 36 80  revue.larecolte@gmail.com

 

J’arriverai par l’ascenseur de 22 h 43 de et avec Philippe Soltermann, mise en scène de Lorenzo Malaguerro

J’arriverai par l’ascenseur de 22 h 43 de et avec Philippe Soltermann, mise en scène de Lorenzo Malaguerro

 

DR

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Seul en scène, l’acteur suisse a entendu pour la première fois chanter Hubert-Felix Thiéfaine quand il avait douze  ans. L’auteur et compositeur de soixante et onze ans  a maintenant une longue carrière derrière lui  et en 1998,  réussit  à remplir Bercy. Il a publié quelque seize albums ses albums pratiquement tous disques d’or…

Le titre du spectacle créé au dernier festival d’Avignon, reprend celui d’une des ses chansons et il parle ici pendant une heure dix de son idole, dans ce monologue dont il est l’auteur. Il admire avec passion le chanteur. Cette passion ne s’explique pas et va bien au-delà de toute raison. A la base, sans doute, un intense désir d’identification… Il raconte ses voyages épuisants avec ses copains pour aller  l’écouter en tournée et il connaît visiblement bien  tout son répertoire.  Visiblement influencé par Lautréamont, Baudelaire ou Rimbaud, Félix-Hubert Thiéfaine sait parler avec humour dans ses chansons de thèmes qui l’obsèdent : consommation de cannabis,  folie, critique de la société et obsession de la mort qui traverse toute son œuvre…

 “Un rempart, une balise artistique, dit Philippe Solteramn, un compagnon d’infortune, une admiration déraisonnable pour une personnalité que, la plupart du temps, on ne côtoie pas personnellement. Au-delà de sa musique, Hubert-Félix Thiéfaine, chanteur atypique, colosse  aux vers d’argile, possède une plume unique, gorgée d’images métaphoriques et philosophiques. Des textes qui, au-delà de leur évidence, abritent de nombreuses références littéraires, cinématographiques et poétiques. » Voilà tout est dit, et le comédien, tout le temps présent debout sur cette petite scène, possède une énergie et un engagement qu’il met avec générosité au service d’un portrait d’Hubert-Felix Thiéfaine. Il a été mis en scène par Lorenzo Malaguerro pour qui «L’écriture de Soltermann possède cette sincérité que l’acteur Soltermann devra aller chercher au fond de lui-même et partager avec le public dans une forme de soliloque que nous souhaitons étrange, drôle et tragique.”

 Et cela donne quoi sur le plateau?  Une performance physique indéniable pendant une heure dix. Avec une très bonne diction sauf quand il se met à crier, une excellente gestuelle et un bon sens du récit. Mais le texte reste souvent  léger et à la limite du bavardage. Et on se demande à qui le spectacle est destiné? Aux fans du chanteur mais ils préfèrent sans doute l’écouter sur scène.  Aux amateurs de théâtre? Mais ce que dit Philippe Soltermann n’a rien de très passionnant et Lorenzo Malaguerro aurait pu nous épargner le maladroit play-back de la fin dans la brume et les lumières rasantes… On cherche les raisons pour vous envoyer voir ce spectacle. Sans doute encore une fois, comme souvent dans le solos une belle performance d’acteur mais pour le reste… c’est bien décevant.

 Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 23 rue des Déchargeurs, Paris (Ier) jusqu’au 23 octobre.

Les Francophonies des Ecritures à la scène 2019

Les Francophonies des Ecritures à la scène 2019

Son nouveau directeur Hassane Kassi Kouyaté, a programmé ce festival en deux  fois (voir Le Théâtre du Blog). En ce moment, Les Zébrures d’automne et, en mars  prochain, Les  Zébrures de printemps, surtout consacrées aux écritures francophones. Pour l’heure: théâtre, cirque, danse, poésie, musique et quelques films à l’appui des spectacles. Chaque jour, des rencontres avec les artistes puis quelque quatre spectacles et un concert jusque tard dans la soirée. Au centre ville, une ancienne caserne a été investie pour être un lieu de rencontres et d’échanges… Plusieurs créations verront le jour  au fil de ces deux semaines  avec un public nombreux et curieux. Ce festival a la particularité de nous faire voyager dans les vastes territoires de la Francophonie et d’interroger cette notion aujourd’hui sujet à controverse.

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© Christophe Péan

Le petit peuple de la brume  par le Théâtre du Papyrus ( jeune public )

Qu’y a-t-il au-delà de la cheminée? Derrière un violoniste, tels les personnages du Joueur de flûte de Hamelin, nous entrons à la queue-leu-leu dans une grotte enfumée. Des enfants nous précèdent, brandissant des clochettes pour ne pas se perdre. Petits et grands prennent place sur les gradins, face à un paysage désolé. Au  milieu des ruines, bois calciné, un petit lac volcanique crache des fumerolles inquiétantes et toute vie semble impossible dans ce désert aride.

Trois comédiens-musiciens vont révéler au public un étrange univers et nous allons découvrir un peuple de minuscules bonshommes, réfugiés dans des trous pour se protéger du froid. Manipulés avec délicatesse  par les artistes, ils vont reconquérir leur territoire… Un petit garçon, plus hardi que les autres et encouragé par les acteurs, s’aventure au bord du lac et affronte un dragon qui a causé la catastrophe mais qui sera apprivoisé; grâce à son feu, il redonnera vie à la Nature…

Ce message d’espoir, distillé en images et à hauteur d’enfant, échappe à tout didactisme; et fantastique et poésie s’y donnent rendez-vous. Même si le texte est plus improvisé qu’écrit (dommage!) et si le récit manque de fil rouge, on entre avec plaisir dans ce monde. Les figurines miniatures (en mousse habillée de sisal) ont un aspect minéral et semblent naître de la lande brune. Et le dragon dont le cou émerge de l’eau bouillonnante, prend l’aspect d’un tronc d’arbre mort et souffle flammes et fumée. Le quatrième marionnettiste, invisible sous les collines du pays de la brume, manipule d’une main sûre, cette bête pas si effrayante que ça: mi-dinosaure, mi-monstre du Loch Ness…

A l’heure où l’on sonne l’alarme sur le devenir de la planète, ce spectacle, créé en 2002, est toujours d’actualité, même si les tout-petits n’en perçoivent pas bien le message. Il aura fallu venir à Limoges pour découvrir cette compagnie belge qui a déjà beaucoup voyagé…

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© Thomas Godlewski

Koteba de Seydou Boro

«Comment peut-on mettre un enfant au monde et vouloir sa mort? Comment peut-on utiliser le sexe comme arme de guerre ? Paroles chorégraphiques, tissées d’images et de gestes,  le solo teinté de vaudou et de butô invoquera des mots qui claquent et qui dansent.»

Ainsi Seydou Boro définit sa dernière création -comme interprète. En robe rouge, torse et visage grimés, c’est une étrange créature au corps d’homme mais aux gestes féminins qui apparaît. Inceste, viol, abus… Comment dire l’indicible? Une danse sinueuse inspirée du boûgô, un rite de la société secrète des Yonyonsés, rappelle étrangement les danses orientales. Et les mots durs, susurrés au micro et avec délicatesse par Seydou Boro, contredisent une gestuelle douce, éloignée de la violence verbale exprimée. Bien plus puissants et plus efficaces sont les regards et la mimique accablée de son personnage quand il fait face au public. On reste, quarante-cinq minutes durant, sous le charme de la technique très personnelle de cet artiste à l’étrange présence qui a longtemps travaillé avec Salia Sanou, danseur et chorégraphe burkinabé. Avec lequel il dirige une compagnie et a le désir de sortir des stéréotypes folkloriques traditionnels. Ensemble, ils créent à Ouagadougou (Burkina Fasso), la Termitière, un centre chorégraphique. Seydou Boro y travaille ses propres créations mais forme aussi de jeunes générations d’interprètes et offre un programme  de spectacles contemporains… Il  renouvelle ici le koteba, une forme du théâtre traditionnel bambara.

Errances chorégraphie d’Auguste Ouédraogo et Bienvenue Bazié

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© Christophe Péan

Ce solo s’est construit après une rencontre avec le sculpteur Jean-Philippe Rosemplatt, dont Auguste Ouédraogo a découvert les œuvres. Entre autres, Le Fardeau, figurant un homme debout, portant comme le poids de sa vie sur son dos courbé. Mais c’est l’appel d’un ailleurs que le danseur y lit et qui va le mettre en route? lui faire explorer et développer une gestuelle. Et comme lui, le faire aller, au-delà de son cadre quotidien, vers une nouvelle vie.

L’idée même de ce voyage se transpose en mouvements et le dialogue s’instaure entre la statue, figée et l’homme qui se meut sans hâte, avec l’espoir d’un avenir meilleur. Errances traite des migrations humaines, aussi vieilles que le monde mais qui se multiplient aujourd’hui. Auguste Ouédraogo questionne en douceur cet arrachement que lui évoque ce Fardeau, donnant vie à cette statue, avec une danse terrienne et puissante. Les deux solos de ce programme, très différents, sont un aperçu des créations personnelles d’artistes africains.

Le Pire n’est pas (toujours) certain, texte et mise en scène de Catherine Boskowitz

LE PIRE N'EST PAS TOUJOURS CERTAIN(c)Christophe-Pean30 - copie

© Christophe Péan

La représentation justement commence dans le bruit et la fureur. Sur le plateau nu, derrière un voile transparent, les comédiens tracent des signes au sol et prennent des mesures… Leur tapage brouillon cesse bientôt, leurs dessins sont recouverts de draps, pour faire place à un homme en longue robe qui psalmodie le prose chantante du Soulier de satin de Paul Claudel, nous menant directement aux confins de l’Europe. Un marin, agrippé à un mât, scrute l’horizon vers Lampedusa et l’île de Malte. On entend un récit de sauvetage en mer… Les rescapés deviennent des marionnettes que l’administration fait tourner en bourrique.

La vieille Europe, affublée de cornes, exhibe ses  gros seins (allusion au mythe grec de la princesse Europe enlevée par Jupiter déguisé en taureau). Elle siège, satisfaite, au concert inaudible des Nations dont les représentants n’en finissent pas d’invoquer les crises migratoires. Autres personnages de ce conte actuel situé dans un futur proche : une fée-clochette au nez de clown se moque des discours stéréotypés des politiques que Catherine Boskowitz démonte, en apportant d’autres points de vue. Un chien se prend d’affection pour un jeune garçon échoué sur une plage et l’accompagne jusqu’à la frontière impénétrable de Macédoine. Il nous raconte avec humour le quotidien des camps qui jalonnent les Balkans et le sort tragique des candidats à l’exil… Une femme  attend depuis des mois au bord de la mer de passer en Europe… Des militants lui viennent en aide pour un voyage clandestin à travers plusieurs pays, grâce à un réseau international d’entraide… Oui, la solidarité existe, discrète et fragile… Et Catherine Boskowitz, fortement engagée dans cette cause, nous en fait mesurer les enjeux.

Les histoires croisées qu’elle a tissées sont portées par d’excellents comédiens, en particulier Marcel Mankita en chien jovial et Nanténé Traoré, émouvante dans le personnage de cette femme au bord de la mer. Mais les nombreuses pistes suivies risquent de dérouter le spectateur. Certes, il y a beaucoup à dire (et à faire) et la matière est complexe mais ici, les fils conducteurs ne sont pas faciles à démêler. Dommage car on s’attache aux personnages et certaines scènes ne manquent pas de force et emportent la conviction. Un vaste et ambitieux chantier, un travail en cours qui devrait gagner en rythme et clarté au fil des représentations. A suivre…

Mireille Davidovici

Spectacles vus à Limoges, le 27 septembre.

Zébrures d’Automne se poursuit jusqu’au 5 octobre.
Les Francophonies de l’écriture à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T.  : 05  55 10 90 10.

Le Petit Peuple de le brume (dès quatre ans), du 3 au 6 décembre, Théâtre Varia, 78 rue du Sceptre, Ixelles (Belgique)

Koteba, en octobre, Théâtre de l’Île, Nouméa (Nouvelle-Calédonie) et Festival Burkin’Arts à Villeneuve-lès-Avignon (Gard).

Le pire n’est pas (toujours) certain, du 28 au 30 novembre, Collectif 12, Mantes-la-Jolie (Yvelines) et du 10 au 22 décembre, MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

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