Le Musée Miniature et cinéma à Lyon

 

Le Musée Miniature et cinéma à Lyon

En 1989, Georges Lucas prêta deux pièces de Star Wars pour qu’elles soient restaurées par Dan Ohlmann, le maître du lieu. Aujourd’hui, trente-sept studios et musées confient des pièces à  ses experts pour qu’elles soient restaurées. Cela permet d’exposer environ cinq cent objets uniques selon une scénographie qui évolue avec le temps et on a pu ainsi sauvegarder de nombreux objets mythiques du cinéma. Et ses ateliers sont les seuls en Europe à restaurer des éléments en latex, par injection de botox.

oCe musée consacré aussi aux effets spéciaux a été créé par le miniaturiste Dan Ohlmann. Secondé par Laurie Chareyre, elle aussi miniaturiste et décoratrice, chargée des acquisitions et des prêts et par Alain Bielik, rédacteur en chef du magazine SFX, responsable des contenus pédagogique et iconographique. Le musée est situé idéalement dans le vieux Lyon, rue Saint-Jean à la Maison des avocats, avec plusieurs corps de logis Renaissance, un bâtiment oriental du XIV ème siècle et une galerie sur cour. Et au XVI ème  siècle, on construit trois galeries superposées, avec chacune quatre arcades toscanes sur colonnes à chapiteau plat. Vers 1900, la maison, transformée en immeuble de location, se dégrada rapidement. En 1968, sa démolition est programmée… mais la Semirely en devient propriétaire et la sauve. L’Ordre des avocats le restaure en 1979 puis tout le bâtiment est vendu en 2004 et laisse la place à l’actuel musée qui sera inauguré l’année suivante. Avec  douze salles (environ mille m2 ) selon un parcours thématique où est présentée la face cachée de quelque deux cent films : éléments de décor, objets, accessoires, maquettes, prothèses, robots, mannequins, sculptures, costumes, scénarios, story-boards…

Toutes les pièces originales proviennent des plus grands studios américains et européens. Le tout accompagné de judicieuses explications fournis par les productions qui révèlent une petite partie de leurs secrets de fabrication. Depuis cinquante ans, le cinéma a utilisé toutes sortes de techniques pour réaliser les effets spéciaux : masques, prothèses, fond bleu/vert, animatroniques, véhicules et décors miniature, « matte-painting »consistant à créer un décor ou un paysage à partir d’une simple peinture, décors grandeur nature, maquettes, costumes, effets de direct, stop-motion, animation 3D, puis effets numériques…

musee-miniature-et-cinema-lyon-france-20Au sous-sol, on découvre les imposants décors reconstitué qui ont servi à plusieurs séquences du Parfum, histoire d’un meurtre de Tom Tykwer (2006). Le lieu se prête  bien au climat angoissant du film… Tous les décors présentés ont été réalisés par Uli Hanish aux studios Bavaria de Munich et ont demandé six mois de fabrication à une équipe de douze personnes. Les documents nécessaires à la reproduction du matériel de parfumerie au XVIII ème siècle ont été fournis par le Musée du Parfum de Grasse (Alpes-Maritimes). Les 1.300 flacons, fabriqués par une usine de verre en Pologne, sont remplis d’huile colorée et bouchés à la cire.

Avant d’être tournés, beaucoup de films sont visualisés sur story-board. Avec le réalisateur, un illustrateur esquisse sur papier les grandes scènes, voire le film entier, comme une bande dessinée. Le chef-décorateur définit avec le réalisateur les décors ou éléments de décor à construire.. Souvent ensuite finalisés à l’aide d’une pré-maquette miniature. Les plans sont tracés et commence alors la construction puis les décorateurs de plateau installent tous les accessoires. Les films fantastiques impliquent toujours un gros travail pour concevoir un monstre, des extra-terrestre, le vaisseau, etc.  A partir  de centaines de dessins réalisés à la main ou sur ordinateur. Ensuite, les créatures, le vaisseau, etc. sont réalisées sous forme de sculptures miniatures, dite pré-maquette ou prototype, permettant ainsi de voir le résultat en 3D. Puis elles sont créées en taille réelle ou sur ordinateur.

les-superheros-veillent-sur-laurie-courbier-au-musee-miniature-et-cinema-photo-dr-1495311644Vient ensuite le plan de tournage des scènes, avec dates et horaires des prises de vue, lieux de tournage, accessoires spécifiques, effets spéciaux éventuels…  Avec le scénario, c’est la pièce maîtresse du tournage dans des sites préparés. Parfois, il s’agit d’un endroit réel qui a été loué. Ou le décor est spécialement construit soit en studio soit en extérieur, puis est détruit une fois le film terminé. Le décor de studio a l’avantage d’être disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec des parois démontables pour placer la caméra où on veut et une lumière facile à contrôler.

Tous les types de décor sont possibles et les techniciens parviennent à simuler n’importe quelle matière (roche, métal, etc.) Souvent, l’extérieur et l’intérieur sont figurés par deux décors. A l’écran, les personnages passeront de l’un à l’autre, comme s’il s’agissait du même endroit. Dès les débuts du cinéma, on a utilisé la magie pour produire des illusions et de nombreux mécanismes et techniques ont vu le jour… Ce qui était banal, devient alors unique ! Les effets spéciaux permettent aux créateurs de plier le réel à leurs exigences, qu’elles soient d’ordre temporel, physique, esthétique, etc. Ils peuvent ainsi modifier des lieux, créer des personnages irréels ou monstrueux… Les techniques ont beaucoup évolué mais toujours avec le même but : tromper, sidérer, amuser, bluffer…

The-Grand-Budapest-Hotel-Musee-Miniature-et-Cinema-de-LyonLes premiers effets ont été produits grâce à des appareils photo ou des miniatures, des rétroprojections ou des fonds peints. Les effets d’optique sont venus ensuite : filtres, lumière, ombre, lentilles et processus chimiques. A la fin du XIX ème siècle, Georges Méliès a développé l’art des effets spéciaux, en utilisant le trompe-l’œil, des décors miniature, etc. De nombreux artistes: Thomas Edison, Ray Harryhausen… ont imaginé des effets spéciaux toujours plus audacieux et inventifs pour passer du scénario à l’écran… La peinture sur verre, les décors virtuels, l’animation 3 D ou le maquillage: autant de techniques pour nous captiver. Les images en mouvement reposent sur une illusion d’optique et le musée nous fait découvrir les divers effets spéciaux et donnent un très bon aperçu de l’envers du décor.

Le « matte-painting » est réalisé sur une plaque de verre où est projetée une scène du film. L’artiste peint un décor qui prolonge et transforme le réel. Pour la caméra, partie réelle et partie peinte se superposent en une seule image: la production peut ainsi faire d’importantes économies. Cela permet aussi de construire à peu de frais des villes antiques ou futuristes mais cette technique est obsolète et aujourd’hui, avec un ordinateur, on peut réaliser des photomontages tridimensionnels de grande qualité.

Beaucoup d’effets visuels reposent sur la combinaison de plusieurs prises de vues en une seule image. On filme, par exemple, indépendamment, l’acteur et le décor. Cela permet d’intégrer le personnage dans un paysage imaginaire créé séparément. Pour que ces images puissent être superposées, l’acteur est filmé sur un fond bleu ou vert (les couleurs les plus éloignées de la peau). Ce fond une fois effacé par filtrage sur ordinateur, l’image du personnage reste inchangée, comme si le contour avait été découpé au millimètre près.  Et une fois détouré, elle peut être intégrée dans n’importe quelle situation.

imagesDécors et costumes sont la signature visuelle d’un film et certains sont entrés dans la légende, comme le fourreau rose de Marilyn Monroe dans Les Hommes préfèrent les blondes ou le smoking de James Bond. D’autres sont tout de suite reconnaissables comme les tenues des superhéros: Batman, Spider-man… Le chef-costumier, est responsable de tout ce que portent les acteurs et les costumes des personnages principaux sont créés sur mesure et fabriqués par des ateliers spécialisés. Ils doivent se fondre dans le style visuel et historique du film. Pour les personnages secondaires, l’équipe utilise souvent les costumes des magasins des studios ou bien les loue.

Les effets de direct englobent toutes les techniques d’effets spéciaux et sont mis en œuvre pendant le tournage. A l’inverse, les trucages sont réalisés après le tournage. On peut simuler vent, brouillard, neige et incendies, explosions ou tremblement de terre… Avec des ventilateurs géants, machines à  brouillard, pompes puissantes et un système hydraulique peut faire tanguer le salon d’un bateau. Le tout, bien entendu, étant parfaitement sécurisé…

On peut aussi coller sur le corps ou le visage d’un interprète des prothèses en latex ou silicone pour obtenir des grossissements, vieillissements, blessures, apparences monstrueuses, etc. Prothèses sculptées sur une copie du visage ou du corps de l’interprète, de manière à épouser parfaitement sa morphologie. Pour une créature fantastique, un masque télécommandé peut recouvrir la tête entière et une partie du visage peut être effacée par ordinateur pour être remplacé par un maquillage 100% numérique.

Pour les destructions à grande échelle, l’utilisation de maquettes importantes a longtemps été la seule solution pour faire exploser un avion, s’effondrer un immeuble dérailler un train, lancer un navire en pleine tempête ou faire s’envoler un vaisseau spatial..  Mais cela demande un grand savoir-faire et ces miniatures servent aussi à créer des décors ou paysages urbains trop coûteux à fabriquer en taille réelle. Mais le numérique tend aujourd’hui à les remplacer. Ces pièces uniques fabriquées à la main coûtent des dizaines de milliers d’euros et mesurent parfois plusieurs mètres de longueur. Suivant l’action, elles sont filmées devant un fond bleu puis intégrées dans un décor réel ou un décor lui aussi miniature. Pour les scènes d’explosion, les maquettes sont prédécoupées puis collées provisoirement: elles éclatent en débris de façon réaliste…

images (1)La technique ancienne de l’animation image par image, est fondée l’enregistrement de vingt-quatre images/seconde. Projetées l’une après l’autre, elles créent l’illusion du mouvement. Dans l’animation image par image, le personnage est représenté par une figure articulée d’une trentaine de centimètres. Placée dans la position souhaitée puis photographiée. L’animateur la modifie de quelques millimètres, puis il prend une nouvelle photo, etc. Pour être intégrée dans l’action, elle est le plus souvent filmée devant un écran miniature où est projetée une scène du film. Depuis l’avènement de l’animation par ordinateur, cette technique est exclusivement utilisée pour des films d’animation.

Si la morphologie d’une créature ne permet pas de faire appel à un acteur, on utilise l’animatronique (animation électronique). Avec une marionnette à la peau en mousse de latex, animée par une multitude de câbles, vérins et mécanismes internes créés sur mesure et actionnés par télécommande. Une technique idéale pour récréer des animaux… Aujourd’hui,  on est passé à l’animation 3D assistée par ordinateur.

Après une année complète de restauration, l’Alien Queen, un des monstres robotisés les plus surprenants de l’histoire du cinéma est la pièce maîtresse du musée. Une renaissance  rendue possible grâce au travail de Dan Ohlmann et de Patrick Clody, expert en mécanique. H.R. Giger est le designer de la créature fantastique Alien, emblème de la saga éponyme dont le premier volet a été réalisé par Ridley Scott en 1979. Pour le deuxième opus Aliens (1986), la Reine Alien avait été inventée et dessinée par James Cameron, en collaboration avec un maître des effets spéciaux, Stan Winston. Et cette même Reine apparaît à une autre reprise dans le quatrième volet de la saga : Alien Résurrection (1997) réalisé par Jean-Pierre Jeunet. On aperçoit furtivement sa tête lors de la scène mythique où Sigourney Weaver est dans son nid. Une nouvelle Reine Alien encore plus monumentale a été créée par le studio A.D.I. pour Alien vs. Predator (2004) de Paul W.S. Anderson. L’animatronique géant, contrôlé et programmé par ordinateur, est animé par un réseau de vérins hydrauliques, câblages et servomoteurs. Le rendu à l’image pouvait rivaliser avec celui de l’animation numérique qui est de plus en plus utilisée. Et cette animatronique star est aujourd’hui présentée ici.

Avec l’animation 3D, il est possible d’imaginer les créatures les plus extravagantes. Plus de contraintes physiques ou mécaniques: tout se passe derrière un écran… Le corps modélisé en trois D comme une sculpture, est équipé d’un squelette et d’une musculature et couvert d’une peau. Pour lui donner vie, l’animateur le place dans la position souhaitée, puis dans celle qu’il occupera un peu plus tard etc. Puis le logiciel crée tout seul le reste du mouvement.

Une autre solution: capturer de mouvements d’une scène interprétée par de vrais acteurs mais analysés en direct par un ordinateur et transposés sur le corps d’un personnage en 3D. L’acteur porte un costume couvert de capteurs et est sans cesse imité par sa doublure numérique, comme s’il lui était relié par des fils invisibles. Ainsi animé, le personnage peut être intégré dans l’action: le numérique a été la plus grande révolution du cinéma depuis l’invention de la couleur…

Le dernier étage du bâtiment regroupe plus de cent décors en miniature! Une véritable immersion dans des mondes familiers et étranges à la fois. Mission du musée : collectionner, exposer le travail des miniaturistes du monde entier. La totalité de l’œuvre de Dan Ohlmann est ici présentée aux côtés de celle d’autres artistes comme Ronan-Jim Sevellec, Julien Martinez, Françoise Andres, Yves Chouard, Michel Perez ou Charles Matton…
Différentes techniques sont aussi exposées : papier découpé, dinanderie, orfèvrerie, verrerie, origami…Pour réaliser ces miniatures, il faut des centaines de photos du lieu réel, des mesures sur place et un tracé de plans à l’échelle, des micro-sculptures d’éléments de chaque pièce, l’imitation d’une éventuelle vétusté et la mise en lumière. Un travail colossal entre six et quinze mois exigeant une précision d’horloger.

Charles Matton, Le Loft du Photographe (1988) • © Photo : Archives Charles Matton

Charles Matton, Le Loft du Photographe (1988) • © Photo : Archives Charles Matton

Charles Matton (1931-2008) était peintre, sculpteur, illustrateur, écrivain, photographe, vidéaste, scénariste et réalisateur… Son travail de miniaturiste depuis la fin des années 1980 le fait passer pour un moraliste du détail. Pour mieux faire apparaître les objets, il les miniaturise et fabrique d’hallucinantes reconstitutions et  des maquettes-sculptures de lieux qui lui sont familiers et qui le fascinent : un loft new-yorkais, les locaux abandonnés de la compagnie Remington, un entrepôt, une salle de bains, l’atelier de Francis Bacon  ou d’Alberto Giacometti… Attiré par des lieux en voie d’installation ou désaffectés, figés dans un troublant provisoire entre un avant et un après énigmatiques, il a conçu des miniatures, réservoirs de fictions potentielles et qui deviennent de merveilleux décors.

« Au départ, dit Charles Motton, j’ai construit ces lieux dans le but de les photographier. Puis, à partir des tirages, pour produire des images peintes. Mais, après les reconstitutions des ateliers de Bacon et de Giacometti, ces maquettes sont devenues des fins en soi. C’est formidable, une maquette: on peut modifier à tout moment les objets et la lumière. A la différence d’un tableau, aucune décision picturale ici n’est irréversible. Grâce à toutes ces techniques, je peux décliner un sujet à volonté. J’ai fait il y a quelque temps des essais vidéo d’incrustation de personnages réels à l’intérieur de mes maquettes. Résultat incroyable. » « J’aime chez Charles Matton cette familiarité obsessionnelle qu’il entretient avec les objets, le sentiment de leur évidence qui est plus qu’un sentiment esthétique et qui tient de l’exorcisme et de la magie. Faire surgir l’objet, voilà qui est plus important que de le faire signifier. » écrivait Jean Baudrillard en 1987.

Ebéniste puis sculpteur, architecte d’intérieur et décorateur de théâtre, Dan Ohlmann est depuis vingt-cinq ans, un miniaturiste passionné. Un long parcours exigeant d’artisan lui a apporté de solides compétences techniques. Il pratique un étrange métier: reporter miniaturiste. De son passé d’ébéniste, il a gardé une remarquable rigueur et un besoin d’authenticité et il respecte les échelles, les styles: académique ou populaire, les assemblages traditionnels et a la parfaite maîtrise de tous les matériaux. Sculpteur, il modèle et taille fidèlement : volutes, feuilles d’acanthe, rosaces, frises… Architecte, il maîtrise les  complexes et indispensables plans de ses miniatures, fait des centaines de cotes,  croquis et  photos des lieux à reproduire. Pour ces futurs espaces, il fait les mêmes dessins et calculs qu’il employait autrefois pour les réhabilitations et aménagements de sites réels. Décorateur et passionné de mise en scène, il réalise avec beaucoup de sensibilité ces étonnants mirages visuels qu’il nomme «réels».

téléchargéLe travail de Dan Ohlmann est l’apothéose de la collection de miniatures. Sur le modèle du maître en la matière Charles Matton,  il construit des intérieurs au un/douzième et on peut se projeter dans cet espace et fabriquer sa propre fiction: «Je ne fais jamais de personnages car je veux que l’individu entre dans le lieu pour s’y sentir vivant. En regardant une maquette, je veux qu’on puisse se faire un film, se demander : qu’a-t-il pu se passer là-dedans ? Je mets beaucoup de détails et cela donne vie à la maquette.» Ce souci du détail réaliste font du travail d’Ohlmann de formidables boîtes à illusion à l’étrange poésie et au centre d’un questionnement esthétique… Aux frontières du diorama, du cinéma et de la maquette. «En France, on lie la miniature à la maison de poupée, à l’enfance, on le confond avec un passe-temps domestique. Mais au Japon, par exemple, c’est un art très respecté : les gens faisaient la queue pour voir mes maquettes. »

En quelque deux heures, nous sommes plongés dans l’univers fantastique du cinéma, selon un parcours thématique pertinent. Ici, le cinéma commercial via les blockbusters américains est surtout représenté mais nous ne boudons pas notre plaisir  en découvrant les coulisses et en admirant des pièces mythiques : la canne de Charlie Chaplin, les maquettes de Beetlejuice, le masque de Freddy Kruger, la navette de 2001, Odyssée de l’espace et les animatroniques d’Alien.Avec 250.000 visiteurs par an, ce musée unique mérite amplement sa réputation. Une belle découverte…

Sébastien Bazou

Musée Miniature et Cinéma, Maison des Avocats, 60, rue Saint Jean (derrière le Palais de justice), Lyon ( Rhône).


Archive pour 11 novembre, 2019

Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Cédric Gourmelon

Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Philippe Ivernel, mise en scène de Cédric Gourmelon

Crédit Photo : Gendal Leflem

Crédit Photo : Gendal Leflem

 Un portrait d’une femme du XIX ème siècle, soumise à la seule loi des hommes. Cette pièce prophétique est annonciatrice de la situation actuelle: elle  soulève encore et toujours le problème de la condition féminine aujourd’hui. Le dramaturge allemand  nous conte l’aventure d’une femme tyrannisée et humiliée par son mari et par la société qui deviendra une tueuse en série. Son premier époux (magistral Guillaume Cantillon) hurle, odieux au possible et fait de Geesche, une femme servile. Il crie: «Schnaps! Café!» Et elle sert avec obéissance ce tyran domestique.

D’abord tête baissée, la droite et rigide Geesche (Valérie Dréville) semble accepter cette oppression et ne manifeste aucune révolte mais ose exprimer, en ces temps de morale exacerbée d’une société inégalitaire et patriarcale, le désir qu’elle a pour son mari: «Je veux coucher avec toi.» Une audace telle qu’il la frappera avec sa veste, réduisant à néant sa velléité d’émancipation et son aspiration à la liberté et à la  conscience de soi. Les gestes humiliants et hyperboliques du mâle provoquent malaise et indignation. Mais il meurt et un autre homme le remplace : celui qu’elle a toujours aimé en son for intérieur et qui l’aime et la seconde dans les affaires. Gérard Watkins apporte ici un souffle d’humanité, voire de délicatesse, dans cette atmosphère tendue et ce confinement.

Mais il se révèlera être un traître et il pense s’éloigner un jour pour trouver une compagne plus simple ou plus passive, en tout cas moins exigeante que cette Geesche, trop «intelligente» et/ou trop libre et dont les compagnons se succèdent régulièrement… et disparaissent chacun à leur tour! Une malédiction dont les clés sont  tenues par cette Barbe-Bleue féminine que l’on ne soupçonne de rien… La morale parentale est une puissance oppressante à laquelle on ne résiste pas si facilement, morale sous-tendue par les protestantismes calviniste comme luthérien du XIX ème siècle des milieux bourgeois aisés de Brême. Son père, sa mère, son frère et ses proches jugent Geesche inapte à vivre seule, et incapable de diriger ses affaires, le négoce étant selon eux un métier d’homme… Une femme ne doit donc pas travailler mais rester au foyer auprès de ses enfants.  Cette entrepreneuse en a eu quatre de son premier mariage dont deux filles qui disparaîtront étrangement, elles aussi, échappant ainsi à leur destin féminin.

Christian Drillaud est un Père austère au possible comme Nathalie Kousnetzoff (La Mère, puis L’Amie). Le Frère (Gaël Baron) voulait bien jouer les protecteurs mais sera bientôt mis à bas aussi. Tous sont appelés à connaître une même fin fatale: Geesche aura ainsi plus d’autonomie. Valérie Dréville, une «anti-héroïne» car elle a une faculté à distribuer mécaniquement la mort, est une marionnette de danse macabre, accompagnée du Malin. Secrète et silencieuse, elle porte la révolte, longuement mûrie de celle qui s’oppose à un environnement social hostile. Pour Yann Lardeau dans son Rainer Maria Fassbinder, la protagoniste est résolue et ne craint pas de se mettre hors-la-loi et tuer pour garder son indépendance.  Elle est contre les conventions et préjugés de son époque et elle verra ainsi, en supprimant les obstacles, croître sa fortune.

Les empoisonnements immédiats -ou plus lents à l’arsenic- ont donné à cette femme manipulée puis manipulatrice le goût de la liberté. Radicale, elle ne renonce à aucune des jouissances de la vie et refuse tout sacrifice, prête à paraître devant Dieu et même à la vie… La fresque de Mathieu Lorry-Dupuy sur le mur de lointain avec  dessins enfantins est significative. En son centre, trône un Christ en croix, avec autour les figures du Bien et du Mal, la Vierge à l’Enfant… Geesche s’agenouille devant le Christ à maintes reprises et les lumières de Marie-Christine Soma accentuent un détail ou un autre, selon les aléas du récit. La comédienne résiste aux violences que le rôle lui impose, les assimile physiquement pour mieux en retourner l’agressivité contre les autres, voire contre elle-même. Loin d’un portrait féminin romantique convenu…

 Un spectacle sans compromis qui montre une liberté féminine à défendre…

Véronique Hotte

Le spectacle s’est joué au Théâtre National de Bretagne/Festival Mettre en Scène, Rennes, du 6 au 9 novembre.

Le Quartz-Scène Nationale de Brest, les 20 et 21 novembre.
Théâtre de Lorient-Centre Dramatique National, les 5 et 6 décembre.
Comédie de Béthune, Centre Dramatique National, du 28 au 31 janvier.
EMC, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne), le 28 février.
Théâtre National de Strasbourg, du 3 au 11 mars. T2G-Centre Dramatique de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis), du 20 au 30 mars.
Théâtre du Gymnase, Marseille, du 2 au 4 avril.

 

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