Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Cédric Gourmelon
Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Philippe Ivernel, mise en scène de Cédric Gourmelon
Un portrait d’une femme du XIX ème siècle, soumise à la seule loi des hommes. Cette pièce prophétique est annonciatrice de la situation actuelle: elle soulève encore et toujours le problème de la condition féminine aujourd’hui. Le dramaturge allemand nous conte l’aventure d’une femme tyrannisée et humiliée par son mari et par la société qui deviendra une tueuse en série. Son premier époux (magistral Guillaume Cantillon) hurle, odieux au possible et fait de Geesche, une femme servile. Il crie: «Schnaps! Café!» Et elle sert avec obéissance ce tyran domestique.
D’abord tête baissée, la droite et rigide Geesche (Valérie Dréville) semble accepter cette oppression et ne manifeste aucune révolte mais ose exprimer, en ces temps de morale exacerbée d’une société inégalitaire et patriarcale, le désir qu’elle a pour son mari: «Je veux coucher avec toi.» Une audace telle qu’il la frappera avec sa veste, réduisant à néant sa velléité d’émancipation et son aspiration à la liberté et à la conscience de soi. Les gestes humiliants et hyperboliques du mâle provoquent malaise et indignation. Mais il meurt et un autre homme le remplace : celui qu’elle a toujours aimé en son for intérieur et qui l’aime et la seconde dans les affaires. Gérard Watkins apporte ici un souffle d’humanité, voire de délicatesse, dans cette atmosphère tendue et ce confinement.
Mais il se révèlera être un traître et il pense s’éloigner un jour pour trouver une compagne plus simple ou plus passive, en tout cas moins exigeante que cette Geesche, trop «intelligente» et/ou trop libre et dont les compagnons se succèdent régulièrement… et disparaissent chacun à leur tour! Une malédiction dont les clés sont tenues par cette Barbe-Bleue féminine que l’on ne soupçonne de rien… La morale parentale est une puissance oppressante à laquelle on ne résiste pas si facilement, morale sous-tendue par les protestantismes calviniste comme luthérien du XIX ème siècle des milieux bourgeois aisés de Brême. Son père, sa mère, son frère et ses proches jugent Geesche inapte à vivre seule, et incapable de diriger ses affaires, le négoce étant selon eux un métier d’homme… Une femme ne doit donc pas travailler mais rester au foyer auprès de ses enfants. Cette entrepreneuse en a eu quatre de son premier mariage dont deux filles qui disparaîtront étrangement, elles aussi, échappant ainsi à leur destin féminin.
Christian Drillaud est un Père austère au possible comme Nathalie Kousnetzoff (La Mère, puis L’Amie). Le Frère (Gaël Baron) voulait bien jouer les protecteurs mais sera bientôt mis à bas aussi. Tous sont appelés à connaître une même fin fatale: Geesche aura ainsi plus d’autonomie. Valérie Dréville, une «anti-héroïne» car elle a une faculté à distribuer mécaniquement la mort, est une marionnette de danse macabre, accompagnée du Malin. Secrète et silencieuse, elle porte la révolte, longuement mûrie de celle qui s’oppose à un environnement social hostile. Pour Yann Lardeau dans son Rainer Maria Fassbinder, la protagoniste est résolue et ne craint pas de se mettre hors-la-loi et tuer pour garder son indépendance. Elle est contre les conventions et préjugés de son époque et elle verra ainsi, en supprimant les obstacles, croître sa fortune.
Les empoisonnements immédiats -ou plus lents à l’arsenic- ont donné à cette femme manipulée puis manipulatrice le goût de la liberté. Radicale, elle ne renonce à aucune des jouissances de la vie et refuse tout sacrifice, prête à paraître devant Dieu et même à la vie… La fresque de Mathieu Lorry-Dupuy sur le mur de lointain avec dessins enfantins est significative. En son centre, trône un Christ en croix, avec autour les figures du Bien et du Mal, la Vierge à l’Enfant… Geesche s’agenouille devant le Christ à maintes reprises et les lumières de Marie-Christine Soma accentuent un détail ou un autre, selon les aléas du récit. La comédienne résiste aux violences que le rôle lui impose, les assimile physiquement pour mieux en retourner l’agressivité contre les autres, voire contre elle-même. Loin d’un portrait féminin romantique convenu…
Un spectacle sans compromis qui montre une liberté féminine à défendre…
Véronique Hotte
Le spectacle s’est joué au Théâtre National de Bretagne/Festival Mettre en Scène, Rennes, du 6 au 9 novembre.
Le Quartz-Scène Nationale de Brest, les 20 et 21 novembre.
Théâtre de Lorient-Centre Dramatique National, les 5 et 6 décembre.
Comédie de Béthune, Centre Dramatique National, du 28 au 31 janvier.
EMC, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne), le 28 février.
Théâtre National de Strasbourg, du 3 au 11 mars. T2G-Centre Dramatique de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis), du 20 au 30 mars.
Théâtre du Gymnase, Marseille, du 2 au 4 avril.