21 rue des Sources, texte et mise en scène de Philippe Minyana

21 rue des Sources, texte et mise en scène de Philippe Minyana

© Eric Didym

© Eric Didym

À cette adresse, une vaste maison et son épicerie attenante. Deux fantômes plutôt joyeux nous invitent à une visite guidée des lieux, désormais en ruines: «La maison abandonnée, comme si elle avait brûlé. » Des caves aux greniers, en passant par la boutique des parents, le pré ou la cuisine, pour finir à l’étage, dans l’intimité des chambres, là où l’on s’aime et où l’on meurt… Un pianiste joue avec eux à retrouver la mémoire de chaque pièce, avec des compositions romantiques, enjouées ou burlesques selon le lieu et un magicien fait surgir des feux-follets ou autres étranges apparitions. On prend plaisir à les suivre et à retourner une fois encore, avec l’auteur, pour un voyage plus apaisé, dans la maison familiale construite en Franche-Comté par ses grands-parents.

«Cette maison hante tout mon travail théâtral, dit Philippe Minyana. C’est l’endroit de tous les drames, de toutes les “farces“ familiales. Mais la mémoire a adouci les choses insupportables.» Nadine Avril, une mère abusive mais abusée par la vie, s’est laissée mourir à petit feu dans sa chambre… L’ami de jeunesse qui l’accompagne, un vrai boute-en-train, a péri brutalement: sa voiture a percuté un platane à cent vingt à l’heure! Ils sont morts mais bien vivants devant nous par la  grâce des comédiens et de la mise en scène. 

Madame Avril, en robe de mariée, nous fait les honneurs des lieux en portant un regard mutin sur un passé douloureux : «On ne parle pas assez du chagrin» mais où  «la joie entrait parfois. » (…) « On rigolait à l’époque.» L’Ami se rappelle de «la véranda»  (en insistant sur la musicalité du mot) et de l’épicerie : «La mère, toi et tes sœurs, les belles épicières. »  Il esquisse quelques pas de danse et  évoque le petit salon : «On danse, on se tripote, on boit du sirop. »

 Sur le plateau nu et sombre, un piano et une guirlande d’ampoules côté cour, Catherine Matisse et Laurent Charpentier ressuscitent les anecdotes du passé en noir et blanc, dans de subtiles variations de lumière. «L’histoire familiale est, comme toutes les histoires familiales, complexe et violente », dit Philippe Minyana. On fait le point: «J’étais une mère chiante et envahissante», dit Madame Avril. «Mon cadet était difficile, je me tenais légèrement à distance mais la main tendue, au cas où; c’est l’ainé qui a trinqué, je l’ai dévoré, une honte. » L’Ami réplique : «C’est monstrueux, cet amour-là » et tout au long, il se montre plus résigné et pince-sans-rire que sa partenaire : «On bosse, on cotise pour la retraite et le cercueil. »

Ces destins ordinaires s’imbriquent dans le contexte global des Trente Glorieuses, aux environs de Montbéliard quand les usines Peugeot fournissaient du travail à toute la région. La petite bourgeoisie accède alors à la consommation, les ouvriers s’enrichissent. La cuisine s’équipe de formica et la bagnole devient reine. Les zones pavillonnaires sont cernées par des H.L.M. Jardins et bosquets deviennent des parkings… Le temps a passé sur cette «maison de Français moyen », encore habitée par « cette absence, une présence des âmes mortes ».

On retrouve avec plaisir la prose si particulière de Philippe Minyana, acérée et précise. Avec ses petites piques et ritournelles, sa joyeuse mélancolie et le regard à la fois détaché et ému qu’il porte sur des personnages dessinés en demi-teinte. Les acteurs, dirigés par l’auteur avec une grande acuité, interprètent le texte comme une partition musicale. Aucune fausse note non plus dans les artifices discrets du magicien Benoît Dattez ni dans la participation active et bon enfant de Nicolas Ducloux, au piano. Au sortir du théâtre, les mots des deux amis résonnent encore en nous, à l’instar de cette dernière réplique: «Les voix humaines, on les entend longtemps. »

Du bel ouvrage ! A ne pas manquer…

Mireille Davidovici

Du 6 novembre au 1er décembre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIIIème). T. : 01 44 95 98 00.

Le 30 et 31 janvier, La Comête, Chalons-en-Champagne (Marne).
Du 4 au 6 février, Comédie de Caen, Caen et le 7 février, Théâtre de Lisieux (Calvados).
Du 4 au 6 mars, Théâtre La Liberté,Toulon (Var).
Le 2 avril, Théâtre Jean Vilar, Saint-Quentin (Aisne).

 

 

 

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