Nickel de Mathilde Delahaye et Pauline Haudepin, mise en scène de Mathilde Delahaye

 

Nickel de Mathilde Delahaye et Pauline Haudepin, mise en scène de  Mathilde Delahaye

f-16a-5d2850768ba3cIl était une fois une ville qui existe encore: Norilsk, capitale du nickel au-delà du cercle polaire et aux confins de la Sibérie. Travaux forcés, pollution irrespirable. Staline rêvait que Norilsk soit aussi belle que Saint-Pétersbourg… Mathilde Delahaye prend la mine à l’état de ruine quand elle perd sa fonction de production et devient alors un lieu marginal, un repli, une cachette.

Au Nickel Bar, on danse, on se tient chaud entre hommes et femmes, au-delà des distinctions de genre. Là, le nickel n’est plus le poison mais l’image de l’éclat, «nickel-chrome». « Le langage des corps : le « voguing » est une culture, plus que la désignation d’un style de danse urbaine, né d’une double exclusion, dit la metteuse en scène, celle de la communauté homosexuelle au sein de la communauté noire, à New York dans les années 80. »

Dans le noir, brillent paillettes et performances, jusqu’à ce que… cette ruine industrielle à nouveau délaissée, refleurisse une décennie plus tard comme un nouveau Tchernobyl, hantée par la végétation et par des scientifiques en combinaison isolante à la recherche du précieux champignon qui pousse seulement dans ces lieux condamnés. Cette épopée mythique sur fond très réel et angoissant, Mathilde Delahaye la raconte avant tout de façon plastique, même si la parole, souvent sous forme de cartons sur écran, a aussi sa poésie et sa force.  Ce« théâtre-paysage » jouant sur la force et la singularité des friches urbaines  comme lieu de représentation et frottement des textes. Et elle a su reconstruire sur le plateau de l’Olympia un authentique paysage avec les traces de son histoire : ruine en plusieurs plans, entre tulles avec projections de textes ou d’images, boîte de nuit clinquante avec sa « tour de contrôle » vitrée, étang noir et invasion progressive du plateau par les plantes. En 3D, elles s’entremêlent, se superposent, formant une jungle souterraine, urbaine, évoquant celles que produisent inlassablement les graffeurs. Le son est tordu pour produire l’avancée du temps : fin de l’usine qui continue à siffler dans les poumons de la population, échos et rares gouttes d’eau évoquant le vide d’un lieu souterrain, chaleur sonore de la boîte de nuit, choc d’une éclosion, étrange silence des herbes qui poussent ou d’un radeau glissant sur l’eau, à la toute fin.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

On peut parler de théâtre total ou de symphonie  avec  différents mouvements, cercles, duos, trios… Les acteurs Daphné Biiga NWanak, Thomas Gonzalez, Julien Moreau, Romain Pageard, les performeurs Keiona Mitchell et Snake Ninja et la communauté silencieuse de bénévoles venus se former à une présence harmonieusement diluée sur le plateau, se relaient dans ce qui n’est pas une utopie à plusieurs visages: ce lieu existe, on n’aura pas envie de dire “bel et bien“, tant il est constitué de laideur et tristesse mais pourtant “bel et bien“ car il abrite des petites communautés successives de résistance et de joie. Dans ce théâtre, il n’y a pas que du: « comment c’est fait » mais un regard dur sur un monde dur, l’angoisse de la destruction de l’homme par la productivité et le profit, la résilience des communautés et aussi une curiosité, une vitalité toujours éveillées.

Voilà du théâtre qui ne ressemble à rien, puisqu’il s’invente comme une œuvre globale. Comment le peintre peut-il dire que le tableau est terminé ? Il le sait, il le sent, voilà tout. L’équipe de Nickel a trouvé l’équilibre exact et nous laisse des images fortes, troubles, mouvantes qui nous accompagneront longtemps.

Christine Friedel

Spectacle créé à l’Olympia, Centre Dramatique National de Tours (Indre-et-Loire).

Du 20 au 22 novembre, Comédie de Reims-Centre Dramatique National (Marne).
Du 3 au 5 décembre : Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (Saône et Loire).
Du 16 janvier au 1er février: Nouveau Théâtre de Montreuil-Centre Dramatique National (Seine-Saint-Denis).
Les 26 et 27 mars : Domaine d’O, Montpellier (Hérault).
Les 1er et 2 avril : Centre Dramatique National Normandie-Rouen (Seine Maritime) et du 27 avril au 7 mai : Théâtre National de Strasbourg (Bas-Rhin).

 

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