Molly S. d’après Molly Sweeny de Brian Friel, mise en scène de Julie Brochen

Copyright : Franck Beloncle

Copyright : Franck Beloncle

 

Molly S. d’après Molly Sweeny de Brian Friel, traduction d’Alain Delahaye, mise en scène et adaptation de Julie Brochen

 Que perçoivent les « non-voyants », que nous ne voyons pas ?  Quelles sensations perdent-ils en recouvrant la vue ? Le cas Molly S.  renvoie à cette question.  « Apprendre à voir, ce n’est pas comme apprendre une nouvelle langue. C’est comme apprendre le langage pour la première fois . » Cette phrase de Denis Diderot résume l’approche de Brian Friel. Le dramaturge irlandais tisse un récit à trois voix, pour raconter la triste histoire d’une jeune aveugle, qui, poussée par son mari, se fait opérer. Opération techniquement réussie, mais le cerveau ne suit pas et Molly perd sa propre “vision“ du monde et sa raison de vivre.

 Julie Brochen, qui interprète le rôle titre, s’est entourée de deux chanteurs d’opéra et d’un pianiste pour retranscrire les monologues enchâssés de Brian Friel en une pièce chorale : « Le choix de reprendre et de développer toutes les occurrences musicales du texte original s’est imposé à nous », dit-elle. Elle privilégie ainsi l’ouïe pour nous renvoyer au monde sonore et tactile de l’héroïne dans la pénombre du plateau. Olivier Dumait (ténor) joue le docteur Rice, célèbre ophtamologue qui rumine son échec à Ballybeg, au cœur de l’Eire. Et Ronan Nédélec (bariton) Frank, son mari, aussi persuasif que le médecin est hésitant avant l’opération, exprime sa déconvenue avec autant de véhémence qu’il se berçait d’espoir. 

 Dans une lumière noire, qui renvoie à la «vision aveugle» de Molly, un décor de pub irlandais : verres et bouteilles, autour d’un piano droit… On s’attendrait à des chansons à boire mais Nicola Takov interprète des airs de Benjamin Britten, Thomas Moore ou Ralph Vaugham Williams sur les textes (en anglais) de William Shakespeare, John Fletcher ou Robert Louis Stevenson. Ces beaux lieds baroques ou romantiques donnent une tonalité particulière à chaque moment du récit. Molly se rappelle le jardin de son père et nous décrit les fleurs de son enfance, qu’elle reconnaît au toucher, à l’odeur ; le chuchotis d’un ruisseau imperceptible pour les autres… toutes sensations qu’elle a perdues après l’opération. La main de Frank, dont elle percevait l’ombre, elle ne la sent plus devant son visage… Mais à présent : «Le monde du toucher s’est retiré. »  La belle complainte de John Stevenson  Oft in the stilly Night (Souvent dans la nuit calme), interprétée dans les aigus par Olivier Dumait sur la musique de Thomas Moore, nous émeut et le nostalgique What shall I do to show how much I love her de Henri Purcell, sur un texte de Thomas Betterton, exprime le chagrin de Frank : (Comment faire pour lui montrer combien je l’aime) . 

Brian Friel s’est inspiré d’un article du fameux neurologue britannique Oliver Sacks : Voir ou ne pas voir, publié dans le New Yorker en 1993 où il évoquait le cas de Virgil, un homme de cinquante-cinq ans. Mais, avec le talent qu’on lui sait, le dramaturge, en féminisant le personnage, entre dans les interactions complexes de ses protagonistes et le monde sensible de Molly. L’adaptation de Julie Brochen nous plonge avec délicatesse dans cet univers en demi-teinte, où Molly, prise entre deux mondes, finit pas ne plus appartenir à aucun. Une expérience sonore et visuelle troublante pour le spectateur. 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 30 novembre, Théâtre Déjazet, 41 boulevard du Temple Paris (III ème). T. 01 48 87 52 57

 

 


Archive pour 13 novembre, 2019

Funny Girl, mise en scène et chorégraphie de Stephen Mear

Funny Girl, mise en scène et chorégraphie de Stephen Mear, (en anglais surtitré en français)

©julien Benhamou

©julien Benhamou

Une comédie musicale tirée de la biographie de Fanny Brice, écrite par le fils de l’actrice et chanteuse américaine, vedette de Ziegfeld Follies de 1910 à 1930. Soit la carrière et l’histoire d’amour sincère de cette comédienne avec Nicky Arnstein, un beau séducteur flambeur. Jouée à Broadway plus de mille fois au début des années soixante, la pièce a été adaptée au cinéma par William Wyler en 1969 avec Barbra Streisand et Omar Sharif.

Commanditée par Jean-Luc Choplin, la réalisation de Stephen Mear et l’interprétation exceptionnelle de Christiana Bianco dans le rôle-titre nous font vite oublier ce film-culte et le destin de Fanny Brice est  passionnant. Avec une équipe artistique d’un rare professionnalisme, le metteur en scène a élaboré une scénographie adaptée au plateau du théâtre Marigny. Ce qui donne une belle fluidité aux changements de tableaux.

Nous découvrons ainsi, la scène et les coulisses d’un théâtre à Broadway, la rue d’un quartier juif de New York, la loge de Fanny Brice, etc. Les décors Arts Déco et les costumes de Peter Mac Kintosh sont de toute beauté. Les chorégraphies composées pour quatre danseurs et neuf danseuses d’une extrême précision égalent celles des productions de Broadway. Dont un numéro de claquettes digne des grandes revues américaines.

Christiana Bianco est sensible, fragile et vraie dans ses répliques, du haut de ses un mètre cinquante: «En piste, petite, petite ! », dit-elle à son amoureux, «Tu m’as fait me sentir presque belle». Fanny Brice fait ici passer sa vie privée avant sa vie professionnelle mais, après une douloureuse séparation, elle reprend vite le chemin des étoiles et chante à la fin du spectacle: «Don’t rain on my parade/ Don’t bring around a cloud/ To rain on my parade».

L’orchestre, sous la direction de James Mc Keon, rythme jusqu’aux saluts cette soirée réussie. En deux heures trente avec entracte, chant, danse et jeu sont en harmonie et on entend d’autres chansons qui ont rendu célèbre Barbra Streisand. Un bon spectacle pour cette période hivernale…

Jean Couturier

Jusqu’au 5 janvier, Théâtre Marigny, Carré Marigny, Paris (VIIIème) T. : 01 76 49 47 12. 

 

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