Vents contraires, texte et mise en scène de Jean-René Lemoine

Vents contraires, texte et mise en scène de Jean-René Lemoine

©Jean-Louis Fernandez.

©Jean-Louis Fernandez.

Deux mondes antithétiques où des personnages plutôt aisés ou vivant même dans le luxe, se  ont des relations intimes houleuses. Ici steward et hôtesse de l’air, mannequins de haute couture et filles de bonne famille… comme sur le papier glacé des magazines chics. Par défaut d’éveil à l’autre, ils n’ont guère de conscience morale et ne s’estiment en rien concernés par la dure réalité subie par les moins favorisés, frappés d’exclusion socio-économique. Ces nantis, pour lesquels la réussite personnelle et financière est une raison de se battre et un motif suffisant de lutte égoïste, au service d’une vie d’apparences, mensonges,  représentations mondaines…

Marie, consciente de son indifférence coupable à la misère planétaire, après une rupture amoureuse concertée, s’exile en Asie et Camille, abandonnée malgré elle par Leïla, la femme qu’elle aime, « se réfugie » dans la folie … Leïla est une signature de la haute-couture ; elle s’est faite toute seule, en fille d’immigrés qui a gravi les degrés de la réussite avec ténacité et rage, malgré les humiliations et en rendant les coups. Après avoir rompu avec Camille, elle tombe amoureuse de la belle Salomé  et bien qu’il ne faille pas avouer à l’autre qu’on l’aime, elle lui dit être «assassinée » : les passions, amour, argent et sexe, s’imposent dans ce monde sans repères…

Mais Marthe, la demi-sœur de Camille, fait le chemin inverse : son père, qui était à la tête d’un empire, est mort brutalement, et elle l’héritière, se voit poursuivie par des financiers qui veulent placer ses avoirs dans les îles Caïmans… Elle regrette de n’avoir pu se réconcilier avec ce père avec qui elle s’était fâchée pour lui avoir annoncé qu’elle se destinait à être hôtesse de l’air – une humiliation : «Je ne supporterai pas, disait-il, que ma fille aille servir du café dans des gobelets en plastique à des prolétaires en goguette, à dix mille mètres d’altitude. » Et Marthe (espiègle et merveilleuse Norah Krief) préfère cependant la fadeur et l’anonymat de sa vie d’avant :« J’aurais tant voulu lui expliquer combien j’étais heureuse de servir du café à des touristes sri-lankais ou des grands crus à des patrons du CAC 40… J’aurais lavé les pieds de tous les prolétaires avec des serviettes rafraîchissantes, si on me l’avait demandé… Mais au moins j’ai vécu quelque chose. J’ai payé un loyer, j’ai fait des courses, j’ai mangé des pizzas, j’ai été triste le soir devant ma télévision, comme tout le monde… »

Quant à Camille, la femme quittée, depuis son appartement confortable elle plonge son regard sur Paris. Elle allume l’écran plat, mange des sashimis et du riz gluant, boit du Coca zéro acheté à La Grande Epicerie et regarde, passive et comme subjuguée, «les typhons, les otages, les corps décharnés, les larmes, les micros tendus vers les bouches des victimes à qui l’on demande sans cesse de livrer leur témoignage… » Voyeuse malgré elle, elle surprend des familles entières de migrants abordant les côtes siciliennes, «la nuit, dans une mer d’encre, filmées d’abord en plans larges pour qu’on voie bien qu’ils sont des centaines, fragiles, titubants, dociles, escortés par des humanitaires, d’où viennent-ils ? Homs, Damas, le Niger ? »

 Il y a ici un écart maximum entre les aspirations au pouvoir et à l’argent et les valeurs de responsabilité collective, d’humanité et de partage. Le sexe joue un rôle non négligeable. Et la chanson Désenchantée de Mylène Farmer égraine ses notes sur le plateau obscur entre portes-psychés qui s’ouvrent et personnages qui sortent : le spectateur, tenu en haleine, ressent les lourdes tensions subies par les protagonistes  qui ont  une urgente nécessité de se dire et de se confier  à soi, à l’autre, au spectateur. Ruptures vives, déchirements: l’expression de la souffrance d’aimer ou de ne plus l’être.

Anne Alvaro, Nathalie Richard, Norah Krief et Marie-Laure Crochant sont de belles actrices, habitées par une parole qu’elles déclament avec fougue et énergie, vivant à l’extrême l’instant présent et entièrement engagées. Salomé (Océane Cairaty) est l’amante du seul homme de la pièce, Rodolphe (Alex Descas), un bel Apollon auquel elle vend ses charmes mais elle est aussi l’amante de l’entrepreneuse Leïla, une beauté rare que la mise en scène dévêt trop souvent. Un spectacle où l’auteur exprime notre temps avec lucidité et pertinence : crispation sur soi, quête de pouvoir, négation aveugle des autres et violence selon les chemins sinueux mais puissants des passions.

 Véronique Hotte

MC93- Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine Bobigny (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 24 novembre. T. : 01 41 60 72 72.

Théâtre National de Strasbourg, du 28 novembre au 7 décembre.
Le Grand T. Nantes, du 11 au 13 décembre.
Maison de la Culture d’Amiens, les 8 et 9 janvier. Centre Dramatique National de Tours-Théâtre Olympia, du 14 au 18 janvier. Maison de la Culture de Bourges, les 22 et 23 janvier. Théâtre de Nîmes, les 29 et 30 janvier.
Théâtre du Gymnase, Marseille, du 6 au 8 février.

Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs


Archive pour 15 novembre, 2019

On s’en va, d’après Sur les valises, d’Hanokh Levin, mise en scène de Krzysztof Warlikowski

©Magda Hueckel

©Magda Hueckel

 

On s’en va, d’après Sur les valises d’Hanokh Levin, adaptation de  Krzysztof Warlikowski et Piotr Gruszcyzyński, mise en scène de Krzysztof Warlikowski

 Pas de discussion: c’est l’un des plus grands metteurs en scène actuels à la hauteur de ceux dont il a été l’assistant, comme Peter Brook, Kristian Lupa, Giorgio Strehler… Maîtrise plastique de l’espace, direction des acteurs qui bougent comme personne, poésie de l’intervention vidéo : le tout aussi précis que créatif, excitant pour les yeux et pour l’esprit.

Après cette Palme d’or, on est bien obligé de constater que pour le spectateur français à Chaillot, On s’en va ne  fonctionne pas. On a certes un étrange plaisir, au début de la pièce, à entendre la langue polonaise sans la comprendre. Mais la superposition des surtitrages, en anglais et en français au-dessus de  l’écran vidéo, appesantit vite cette écoute : cette  gymnastique fatale des spectacles internationaux constitue un trop gros obstacle qui barre l’accès au théâtre…  Donc, on choisit de regarder et on n’a pas à s’en plaindre. La scénographie avec  cette immense salle d’aéroport, vaste espace dégagé, bordé de sièges avec une cafétéria et des toilettes et au fond, des portes en verre, est superbe et permet toutes sortes de circulations et grandes traversées. On est plus dubitatif sur la nécessité de cette boîte de verre montée sur glissière qui fait apparaître et disparaître une salle de bain/toilettes dédiée au sexe et à la mort…

L’ensemble est beau mais ça ne marche pas, du moins durant une trop longue première partie. Comme si cet espace logique -il s’agit bien de départs- était trop vaste pour l’écriture intime d’Hanokh Levin. La pièce, comme éclatée, centrifugée, s’étire, se disperse en brefs sketches brefs, joués avec talent mais qui s’autodétruisent au fur et à mesure de la représentation dans cet émiettement. «L’histoire que raconte Hanokh Levin, c’est d’abord celle d’une communauté qui rapetisse », dit Krzysztof Warlikovski. Le problème, pour nous Français : il n’y a pas de communauté. Seulement des petits bouts de familles ou de fonctions identifiables : la mère qui ne veut pas aller en maison de retraite, la prostituée, une autre mère, récurrente et son fils… Si : on voit bien un peu de communauté, au lointain, derrière les vitres, à l’occasion d’enterrements de plus en plus rapprochés. Mais on est étonné, au salut final, du nombre de comédiens sur scène (une vingtaine), qu’on n’a jamais vu que par trois ou quatre,  ou en silhouettes au lointain.

Ce spectacle, pour autant que l’on puisse en juger, est plus polonais qu’européen. Warlikovski ne s’en va pas: «Faire ce spectacle, pour moi qui travaille beaucoup à l’étranger, c’est justement un retour à la Pologne: en être, être parmi les autres, avec eux dans cette atmosphère crépusculaire qui s’étend.» Ces propos du petit livret donné au public expliquent peut-être le malentendu. Nous ne pouvons pas entendre. Ni le son de la langue (sauf au début), couvert par une couche ininterrompue de diverses musiques ni le sens. Et n’ayant pas accès à la singularité polonaise, nous n’accédons pas non plus à l’universel, les comportements et images se réduisant alors pour nous à leurs stéréotypes. Bref, la rencontre n’a pas eu lieu.

Christine Friedel

Nous avons assisté à la même première représentation que notre amie Christine qui a tout et bien dit à propos de ce spectacle que vous ne verrez sans doute pas, puisqu’il se joue seulement quatre jours! On se demande pourquoi… Des raisons d’y aller voir? Une interprétation d’une haute qualité où chaque acteur, chacun très humble est impeccable et c’est une grande leçon de théâtre pour nous Français, souvent habitués à un jeu… quelque peu approximatif. Une scénographie tout aussi remarquable… et de très belles images dans un ballet incessant d’allées et venues dont on peine à voir la nécessité.

 Et rien à faire, cela ne fonctionne pas et on n’arrive pas à accrocher à cette adaptation ratée du texte original d’Hanokh Levin où le metteur en scène veut aussi parler du climat socio-politique de la Pologne d’aujourd’hui qui vit selon lui « un drôle de moment ». La faute à qui? A Krzysztof Warlikovski lui-même qui a kidnappé le texte à son seul profit et l’a truffé d’images et de citations d’autres auteurs… A part quelques instants, on ne retrouve jamais ici l’humour du grand dramaturge israélien. Et impossible de s’intéresser à ces semblants de personnages qui  défilent sans cesse devant nous sur cet immense plateau. 

Tout se passe en fait comme si le metteur en scène (dit, dans le programme, «d’origine polonaise», alors que le spectacle a été créé en Pologne et que les acteurs sont tous polonais : comprenne qui pourra!) avait voulu se faire plaisir en exorcisant égoïstement ses fantasmes pendant plusieurs heures sans beaucoup tenir compte de l’intérêt du projet. Produire des images, même très raffinées, même avec d’excellents acteurs, ne suffit pas surtout quand on a vite l’impression que Krzysztof Warlikovski se fait plaisir et étire les choses jusqu’à plus soif. Tadeusz Kantor, son immense compatriote qui l’a visiblement influencé, nous l’avait souvent dit : il ne voyait pas l’intérêt de prolonger les choses et ses pièces, d’une redoutable efficacité, dépassaient rarement un peu plus d’une heure. Mais ici, après quelques minutes, on s’ennuie…  Surtout dans une interminable première partie; la seconde est plus rythmée et une succession d’obsèques dans une veine surréaliste pas loin de René Magritte, avec à la fin des dates anticipées de décès, genre : 2027… est de toute beauté. Là enfin, on retrouve toute la sensibilité de Krzysztof Warlikovski.

Oui, mais voilà, c’est trop tard et cela ne suffit pas; le grand metteur en scène «d’origine polonaise» n’a pas ici retrouvé le rythme, l’intelligence et la sensibilité fabuleuse des Français, sa longue mais remarquable adaptation d’A la recherche du temps perdu de  Marcel Proust reprise il y a quelques années. Krzysztof Warlikovski qui semblait nerveux ce soir de première, a bien dû voir que la salle s’est vidée après l’entracte et qu’à la fin, les applaudissements étaient juste polis. Il devrait maintenant se poser quelques questions sur cet ovni. Bref, on oubliera vite ce spectacle très décevant et cela, malgré encore une fois, une distribution exceptionnelle. Dommage: c’est la seule œuvre théâtrale de cette saison à Chaillot !

Philippe du Vignal

Le spectacle s’est joué du 13 au 16 novembre à Chaillot-Théâtre de la danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème).

Folia, chorégraphie de Mourad Merzouki

 

FOLIA 6 Julie Cherki

© julie Cherki

Folia chorégraphie de Mourad Merzouki

Le chorégraphe, fidèle au hip-hop qu’il découvrit dans années 1980, à la M.J.C. de Saint-Priest,  en banlieue lyonnaise, avec son ami Kader Attou, qu’il a retrouvé dernièrement pour Danser Casa *(voir Le Théâtre du blog), fait dialoguer cette danse d’aujourd’hui avec des musiques d’un autre temps. Ce nouveau spectacle est né de la rencontre avec Franck-Emmanuel Comte, chef de file du Concert de l’Hostel-Dieu, orchestre spécialisé dans le répertoire du XVIII ème siècle, avec lequel il avait réalisé 7 steps, en 2014, à partir de tarentelles. Dans ces danses traditionnelles du sud de l’Italie, il retrouve des aspects du hip-hop «dans ces corps qui se meuvent jusqu’à l’épuisement». Et, pour Franck-Emmanuel Comte, il y a une parenté entre «la basse obstinée de la tarentelle et les “loops“ du hip-hop».

Pour construire Folia, le chef d’orchestre a proposé des airs puisant à la fois dans le répertoire savant et les danses populaires. Une fois, les choix établis, «On prend une tarentelle, on échantillonne des partitions baroques pour les réutiliser en boucle, on ajoute des musiques électroniques, on fusionne le tout et on danse.» La folia,  (follia en italien) ou folies d’Espagne, est apparue au XVl ème siècle au Portugal. Son thème, à deux fois huit temps, très répétitif à l’instar des standards actuels, se prête à des variations instrumentales débridées et a séduit plus d’un compositeur: Lully, Sergueï Rachmaninov, Archangelo Corelli, Vangélis Papathanassiou…

 Dans folia, Mourad Merzouki, lui, entend folie, celle des hommes entre eux et vis-à-vis de la planète:  «Ce n’est pas un spectacle écolo, dit-il, mais je veux montrer cette humanité fragile face au monde qui l’entoure.» Sur le plateau, une immense sphère, luminaire géant, d’où émergent danseurs et musiciens, entrant en piste pour une heure. L’orchestre, avec ses instruments baroques, apparaît et disparaît au gré des éclairages et des mouvements de gros ballons : une récréation ludique pour les danseurs, jusqu’à ce que l’un des ballons représentant la terre, éclate. La troupe se réfugie sur une île ronde, sorte de radeau gonflable, auquel une danseuse s’agrippe désespérément.
 Mais les interprètes continuent à sauter, virevolter, tourner… Les  mouvements s’accélèrent, parfois proches de la transe. Le classique flirte avec le hip-hop dans un beau trio : deux violons interprètent Sento in seno d’Antonio Vivaldi, chanté par la soprano Heather Newhouse dont la présence sculpturale et la voix chaude transmettent leur énergie tout au long de la pièce.

Les musiciens se mêlent progressivement aux danseurs. Raides dans leurs costumes rouges d’époque conçus par Pascale Robin  parmi les danseurs en tenue fluide et claire signée Nadine Chabanier. Benjamin Lebreton  a imaginé un espace en mouvement. Sous les lumières d’Yoann Tivoli, dans une circularité permanente les danseurs glissent harmonieusement et évoluent sur pointes ou s’arrachent vigoureusement du sol avec des pirouettes et saltos acrobatiques. Depuis ses débuts, Mourad Merzouki se plait à marier des mondes et des genres a priori opposés, depuis Récital en 1998, où six danseurs de hip-hop se frottaient aux sonorités du violon et du “talk box“, jusqu’à Boxe Boxe (2010), où il assimilait la danse au combat, sur une musique jouée en direct par le Quatuor Debussy,un ensemble lyonnais de cordes… Avec cette même volonté de «créer des dialogues entre ces mondes et ces techniques», Folia, avec ses dix-huit musiciens et danseurs tient ses promesses. Présentée au festival de Fourvière 2018, cette pièce accueillie alors avec enthousiasme, vient rencontrer le public parisien pendant un mois et demi. Les premières représentations ont reçu des applaudissement chaleureux, largement mérités. Une belle sortie à prévoir en cette fin d’année pluvieuse.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 31 décembre, 13e Art, 30 place d’Italie, Paris (XIII ème) T. : 01 53 31 13 13 

 Les 5, 6, 7 et 8 juillet, Opéra Berlioz/Le Corum, 40 ème Festival Montpellier-Danse.

 Un DVD de la bande-son du spectacle est édité par Le Concert de l’Hostel Dieu. Disponible en téléchargement et dans les magasins :https://festival1001notes.com/collection/projet/folia  

* Danser Casa tourne toujours  : 17-22 novembre 2019 Maison des Arts et de la Culture, Créteil; 29 novembre Théâtre Brétigny, Brétigny sur Orge ;  5 décembre Espace MAGH, Bruxelles – Belgique ; 6-11 décembre Les Gémeaux, Sceaux ; 19-21  janvier T.D.G, Grasse ; 27-29  février Amphithéatre Opéra Bastille, Paris

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Le Dragon de Calais, conception et mise en scène de François Delaroziere

Le Dragon de Calais, conception et mise en scène de François Delarozière et la compagnie La Machine

©Jordi Bover

©Jordi Bover

Pari gagné ! Trois jours durant, le théâtre de rue est venu au secours d’un animal légendaire, le dragon échoué accidentellement sur une plage de Calais! Au départ, la nouvelle suscita crainte et méfiance des habitants. Mais petit à petit, l’enchantement a gagné les Calaisiens venus exprès ou  par hasard.  Le dragon, superbe, avança dans la ville: «C’est, dit son créateur François DelaroziEre,  un peu un dragon-lézard. Il peut venir des îles Galapagos ou d’ailleurs mais il a voyagé et son A.D.N. n’est pas d’ici en fait. Et cela me plaisait bien de faire venir un nouvel arrivant qu’on allait rencontrer, qu’on allait peut-être, qui sait? apprivoiser et qui, ensuite, pourrait élire domicile à Calais, terre de passage depuis toujours… Il deviendrait l’ambassadeur de la ville ». Bien vu, , ce choix d’un animal féérique, symbole de courage et de protection, dans le contexte social et économique actuel et délicat de la ville !  

Mais, avant ce « happy-end » voulu par l’artiste et sa compagnie La Machine, le Dragon tout juste sorti de son sommeil, a dû gagner la confiance de la population.  Le premier jour, étendu sur le sable du front de mer et après son réveil, moment inoubliable, l’animal-mécanique, plus vrai que nature, s’engagea dans l’espace urbain, tel un monstre ou un sauveur … Un instant théâtral de toute beauté,  sous un ciel gris bleu et de pluie, traversé par des rais de lumière! De la plage au port, ensuite par la place d’Armes et enfin à la mairie, la bête, franchissant diverses obstacles, est allée à la rencontre de nous les  humains devenus à son échelle, Lilliputiens ! Crainte, étonnement et joie, se lisaient sur les visages : «On a l’impression quand on approche que le dragon est vivant !» Et une petite fille dit en voyant les boules de feu sortir de sa gueule : « Ses cris me font peur et il peut me brûler! » ou encore « C’est tellement vrai mais aussi irréel! »

Calais, peu à peu était comme métamorphosée. Oubliés le quotidien difficile et la crise migratoire… Au rythme du vent ou des instruments à corde, batterie et autres musiques, l’animal gigantesque, au fur et à mesure de son avancée impressionnante, gagnait l’admiration et la sympathie  de la foule. Sa marche conquérante allait à coup sûr, le couronner Dragon de Calais !  Effet de surprise, fête poétique et musicale ! Une véritable mythologie urbaine était née, et gravée à présent dans la mémoire collective. 

Mais que pouvait-il bien se cacher derrière cet animal de légende ? Une réalité plus concrète. Pour raviver son attrait, la ville s’est engagée dans un projet urbain et un développement de ses activités  mais elle a vite pris conscience qu’il fallait joindre l’utile à l’agréable et au rêve. « L’idée, dit Pascal Pestre (adjoint à la Culture,  à  la Mairie de Calais) et qui est à l’origine du projet:, était celle que Calais avait besoin de quelque chose de hors-normes pour changer son image.»

Une pensée loin d’être évidente pour une ville ouvrière de par son histoire, comme la plupart de celle des Hauts-de-France. « Changer son image» d’accord, mais pour tous! Et en priorité pour ses habitants et touristes. La question reste ouverte pour les migrants et leur devenir… La Maire, Natacha Bouchart, eut alors le projet de faire appel à François Delaroziere et à sa compagnie La Machine. Enthousiasmé par cette nouvelle aventure, il n’hésita pas une seconde. Il connaît bien la ville à laquelle il voue un attachement particulier. Et comme le dit un spectateur: « Chaque fois que je viens à Calais, c’est pour voir une grosse bête » ! On se souvient avec plaisir de l’impressionnant Long Ma le dragon-cheval et  Kumo l’araignée, un spectacle de rue créé il y a trois ans avec  la précieuse collaboration du  Channel-Scène Nationale. 

François Delaroziere  refuse ouvertement tout signe politique dans son action artistique et culturelle aux côtés de la Maire  et de son projet urbain. Il se contente à sa façon,  d’aller à la rencontre des hommes et femmes : «Tout ce que je fais résonne avec un territoire et une population.» Le droit pour tous de vivre humainement et dans la dignité, il l’exprime à travers cette démarche artistique et géographique. Le projet à l’échelle de la ville c’ est aussi pour François Delaroziere, une volonté personnelle et essentielle à ses yeux, d’intégrer, à tous les niveaux, l’art et la culture dans la société civile, professionnelle, industrielle et d’avoir ainsi  « la possibilité de peser sur un même plan que les urbanistes, que les architectes. »

Une autre singularité esthétique et humaniste réside dans la fabrication du Dragon et du monde animalier en général, nés des mains de cet artiste. La conception de l’animal-machine est fondée sur la primauté donnée au choix des matériaux : « La matière pour moi, c’est comme le mouvement. J’utilise le mouvement comme langage. L’amplitude d’un mouvement, sa vibration, sa fréquence, tout cela fabrique des émotions, comme un mouvement de paupières, un battement de cils. On appréhende le langage humain: fermeture/ouverture et on le projette sur le dragon. De même avec les matériaux: bois ciselé, acier présents dans son corps, comme les moyens hydrauliques, de la fumée  quand il lâche une flamme ou  qu’il crache de l’eau, sont pour moi une  façon de raconter une deuxième histoire, celle de sa genèse et là c’est plus compliqué, car on sait mal l’analyser… Mais nos constructeurs marquent de leur sensibilité, la matière comme par exemple, une couche de peinture laissant transparaître l’acier ou le bois.»

Pour François Delaroziere : « La matière se charge de ce que l’on en fait et le geste se charge de l’intention et de l’émotion ». Autre point essentiel pour lui, le travail collectif : «C’est un vrai combat que l’on partage ensemble entre artisans et artistes. Notamment, sur la matière, c’est le processus qui m’intéresse avant tout. Car, s’il est bon, le plaisir sera là au moment où on le fait, c’est comme en art et le résultat aussi sera bon. » Si notre monde gangrène notre imaginaire d’horreur et de violence, la création spectaculaire de ces animaux-machines ou/et animaux-urbains ouvre à chacun la porte du rêve et de la joie ! Accessible à tous ! «Le sens de mon acte, dit-il, c’est rendre les gens heureux avant tout et d’éviter qu’ils meurent, qu’ils s’entredéchirent et de faire en sorte qu’il y ait d’autres choses dans la vie. ». La compagnie La Machine et son directeur espèrent en un temps momentané, celui de l’art vivant, graver pour un instant ou plus, une œuvre poétique dans l’esprit des spectateurs. « Un autre monde débarque à Calais ! « , un monde en couleurs, joyeux et mélancolique.

Avec cet événement, la ville transfigurée est devenue pendant ce week-end prolongé, un grand théâtre! Protection civile et sécurité obligent, la gendarmerie, l’armée, la police et les pompiers engagés avec bonheur dans le spectacle ont permis d’offrir en compagnie de cet étrange dragon, une histoire à partager entre tous dans une ambiance bon enfant et un air de liberté.  Comme par magie, la ville et ses hôtes se sont retrouvés, en ce week-end maussade de novembre, face à une autre dimension et face à une autre relation au réel: c’est sans doute là toute la richesse de ce théâtre de rue festif et spectaculaire.

Bienvenue à cet ambassadeur de la ville! Et rendez-vous le 17 décembre, l’histoire urbaine et théâtrale du Dragon de Calais commence seulement !

Elisabeth Naud

Ce spectacle de rue a eu lieu à Calais (Nord)  du 1er au 3 novembre.

Franc-Jeu, Tirage de tarots en public, textes, silhouettes et jeu de Julie Linquette

Franc-Jeu, Tirage de tarots en public, textes, silhouettes et jeu de Julie Linquette, regard extérieur de Bernard Sultan

E8593923-1E2F-46A9-A4C1-2EEFB86C85D8Ce tirage de tarots en public commence avec une distribution de cartes, chaque spectateur en recevant une au hasard parmi les vingt-deux arcanes majeures des Tarots de Marseille. Cette performance fait suite à  Cartes sur tables : Julie Linquette a rencontré depuis 2014 dans sa caravane, l’un après l’autre, plus de 4.000 spectateurs pour des tirages de cartes en tête à tête. Elle présente ici son jeu de Tarots original: soit vingt-deux silhouettes de théâtre d’ombre, mises en lumière et commentées pour révéler de possibles liens et connivences entre les différents personnages des cartes et donc entre les spectateurs. Avec des éléments d’histoire, références artistiques, philosophiques et des exemples concrets « témoignant, dit-elle, de la pertinence toujours actuelle des Tarots. Chacun peut, à partir de la carte qu’il a en main, se situer dans le grand chemin qui mène du Fou (carte n°0) au Monde (carte n°21), construire du sens pour soi, interagir avec les autres, et ainsi s’approprier la grande histoire universelle que raconte, carte après carte, ce jeu façonné par des générations d’êtres humains. « 

Malgré la finesse des personnages projetés sur grand écran et une belle magie plastique, la présentation de la manipulatrice est assez monotone et manque de théâtralité. Notre ignorance des règles du jeu de Tarots en est sans doute aussi la cause mais cette performance ne nous a pas passionné… La compagnie du Bateau des Fous est installée à Charleville-Mézières et cette présentation avait déjà été faite en janvier au bénéfice des bénéficiaires des Restos du Cœur, puis un peu partout en France, notamment auprès de publics scolaires.

Edith Rappoport

Spectacle vu le 7 novembre au Théâtre aux mains nues,  43 rue du Clos  Paris (XX ème). T.: 01 43 72 19 79.

Stellaire de et par Romain Germond et Jean-Baptiste Maillet

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Stellaire de et par Romain Germond et Jean-Baptiste Maillet

Artistes associés au Théâtre de la Ville, ces auteurs y ont travaillé en résidence pour ce nouveau spectacle. Ce n’est pas un film, ni une pièce avec des comédiens. L’un est musicien avec une partition, une bande enregistrée avec des sons très sophistiqués, voire une manipulation d’objets dans une cuve d’eau  pour des bruitages en direct. Pas neuf mais cela marche à tous les coups. L’autre manipule à vue, parfois avec l’aide du premier, de petits objets ou éléments sur une surface vitrée qui sont projetés sur grand écran et ils nous parlent de la naissance de l’univers  mais aussi de sa fin avec la disparition du soleil… Le début, avec un récit remarquablement dit par  Saadia Bentaïeb et des millions d’étoiles finement représentées par des jets de poudre sur la vitre,  fonctionne bien mais ensuite les choses se gâtent et le spectacle part dans tous les sens… Avec notamment une histoire d’amour de jeunes gens dessinés que l’on retrouvera à la fin, toujours en dessin, mais âgés et assis sur un banc. Le jeune public se met à hurler quand ils s’embrassent gentiment. La virtuosité technique est indéniable mais on s’ennuie vite et on se dit comme  soi-disant Kafka  que l’éternité -c’est à dire une heure et quelque- c’est  long surtout sur la fin… Vos enfants ou vos petits-enfants méritent mieux que cela. Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, avenue Gabriel , Paris (VIII ème) jusqu’au 9 novembre. T. : 01 42 74 22 77. Ensuite à Genève, Tours, Aubusson, Cherbourg, Bourges, Gradignan, Boulazac, Angers, Douai, Marseille, Evry, Tarbes.

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