L’Expérience de l’arbre, conception mise en scène et scénographie Simon Gauchet

L’Expérience de l’arbre, conception mise en scène et scénographie de Simon Gauchet, sous le regard d’Éric Didry

© Freddy Rapin

© Freddy Rapin

Il était une fois un jeune metteur en scène français venu chercher à Kyoto, avec respect et révérence, une leçon sur l’art du nô. Que pouvait-il donner en échange ? Revenir, transmettre à son professeur et partenaire, quelque chose du théâtre occidental. Ce qui eut lieu, dix ans plus tard. Simon Gauchet, en résidence  pour trois mois à la Villa Kujoyama et Tatsushige Udaka se sont retrouvés pour ce qui allait devenir L’Expérience de l’arbre .

Il était une fois un arbre : celui qui, à Fukushima, avait résisté au tsunami, seul debout au milieu de soixante-dix mille pins abattus. Il ne vécut pourtant pas longtemps, infiltré d’eau salée contaminée. Mais les habitants décidèrent d’en faire le totem de leur propre résilience. Coupé en neuf morceaux, injecté de résine, redressé, il reste l’Arbre du Miracle.

Cette histoire est liée au théâtre nô: Tatsushige Udaka nous rappelle qu’un arbre figure toujours dans le décor du nô et c’est à lui que l’acteur s’adresse, même s’il est dans son dos  et que chaque personnage porte l’âme d’un arbre, cerisier, pin… L’arbre –comme le théâtre, bien qu’il ne nous l’ait pas dit- établissant un lien entre la terre et le ciel, entre le pays des morts et la lumière.

Dans une scénographie simple –l’évocation d’un toit en pagode, un écran où se projettent des ombres de branches-, l’échange entre les partenaires garde quelque chose d’un plaisir enfantin : comme le Ôoooo grave, prolongé et puissant du théâtre nô a de la peine à sortir d’un gorge européenne! Comme les Rrr arraché aux éructations d’Antonin Artaud (enregistrées sur disque plein de craquements) ont du mal à passer la gorge d’un acteur japonais ! D’une tradition, l’autre : le Breton va chercher du côté de la reconstitution du jeu et de la diction baroques (Le Chêne et le Roseau, façon XVII ème) quelque chose qui serait une tradition (Benjamin Lazar lui a donné un coup de main), tout en sachant qu’il n’y a pas de symétrie possible entre théâtre occidental et théâtre japonais.

D’un côté, danse de l’éventail, vieille de sept cents ans, et de l’autre: incarnation d’un rôle et d’une adresse: les efforts patauds des deux apprentis, chacun de son côté, font rire.  Mais se pose aussi, de façon plus grave, la question de la transmission. Pas sûr que le Nô, dans le Japon d’aujourd’hui, soit éternel, peut-être est-il éternisé artificiellement, comme l’arbre- symbole. Une inquiétude pèse sur cette époque de mutations mondiales. Mais il y a de la joie à travailler quand même sur les héritages. Dans la musique à la fois ultra-contemporaine et presque baroque et religieuse de Joaquim Pavy, Simon Gaucher peut reconstruire son arbre démembré et danser avec lui, longuement, tandis que revient à petits pas Tatsushige Udaka, dans son costume de cérémonie…

Le spectacle, créé à Rennes au théâtre de la Paillette (festival du Théâtre National de Bretagne) le 6 novembre dernier, ne pouvait pas être mieux à sa place qu’à la Maison de la Culture du Japon à Paris, tant il joue sur l’appétit et le plaisir des échanges entre deux cultures. On le retrouvera au printemps au théâtre de Lorient-Centre Dramatique National, où Simon Gauchet est artiste associé, et au Théâtre de l’Union-Centre Dramatique National du Limousin. En attendant, notre voyageur développe son E.P.I. (école parallèle imaginaire) hors des chemins battus et parfois sur des voies navigables, et bâtit à Bécherel, le village du livre (Ile-et-Vilaine) un “tiers lieu“ en milieu rural. Ancré dans une tradition peut-être oubliée, le nouveau théâtre se réinvente, au-delà des rituels de la représentation.  Après cette Expérience de l’arbre, on a hâte d’en découvrir les jeunes pousses forestières…

Christine Friedel

Spectacle vu à la Maison de la Culture du Japon, 101 bis Quai Branly Paris (XVème) le 16 novembre.

 


Archive pour 18 novembre, 2019

Linda Vista de Tracy Letts, mise en scène de Dominique Pitoiset

Linda Vista de Tracy Letts, texte français de Daniel Loayza, mise en scène de Dominique Pitoiset

© Cosimo Magliocca

© Cosimo Magliocca

L’auteur est célèbre aux Etats-Unis avec, notamment Un été à Osage County (la pièce, dit-on, la plus récompensée de l’histoire du théâtre américain) que Dominique Pitoiset avait aussi montée. Linda Vista, un quartier de San Diego, une ville de plus de trois millions d’habitants sur la Côte Ouest, près de la frontière mexicaine… On a droit en guise de préambule à  des images stéréotypées de villes et de plages où voitures et gens sont filmés en accéléré sur la musique bien connue de California Dreamin’.

Sur le grand plateau, une belle cuisine vide : Wheeler (Jan Hammenecker), un cinquantenaire mal dans sa peau et désabusé, a entamé un divorce depuis deux ans et emménage dans un nouvel appartement son ami (Jean-Luc Couchard) qui  essaye de l’aider…Wheeler aurait bien voulu devenir un artiste de renom mais il n’est que réparateur d’appareils photo dans une boutique où il doit subir la mauvaise humeur permanente de son patron. Il picole pas mal pour essayer -mais en vain- d’évacuer son mal-être. Un couple d’amis veut l’aider à retrouver une compagne mais Wheeler rencontre Jule une  belle jeune femme qui donne des cours de développement personnel… Très vite ils vont faire l’amour et vivre ensemble malgré la différence d’âge dont Wheeler se plaint sans arrêt. Minnie, une jeune voisine (Daphné Huynh) qui a rompu avec le futur père de son enfant et qui vit d’expédients, débarque à l’impromptu et lui demande de l’héberger. Et si, si c’est vrai… vous ne le croirez jamais, elle réussira à le séduire. Jusqu’au moment où Minnie partira rejoindre son ex. Wheeler essayera mais en vain bien entendu, de l’en dissuader et essaye de renouer avec son ancien amour qui l’enverra balader sans aucun état d’âme. Aussi inédit qu’incroyable non?

« C’est un homme, blanc, qui a fait des études, dit Dominique Pitoiset, il n’a pas vraiment vécu les Sixties, mais il en garde un souvenir idéalisé. Il s’en sert pour juger les temps actuels, souvent pour les condamner. Il a l’air de se trouver cool. Mais il n’a sans doute pas vu bouger certaines lignes. Et parmi elles, une ligne majeure : celle qui définit la place des femmes dans notre société. Celle, donc, qui fixe ou qui devrait fixer les rapports entre genres. Une ligne que Wheeler, à sa manière, franchit plus souvent qu’à son tour. »

Pourquoi pas? Mais Dominique Pitoiset est bien généreux avec cette pièce bavarde  aux nombreuses séquences souvent très conventionnelles, même si on sourit à quelques  répliques cinglantes et caustiques à la Sacha Guitry. Cette petite intrigue a un air de téléphoné et, à chaque fois, erreur évidente de mise en scène, les accessoiristes arrivent avec de nouveaux éléments de décor ou changent les parois de côté pour créer l’appartement de Wheeler, le magasin d’appareils photo, le bureau de Jule,  une salle de sport, un bar-karaoké… E cet incessant déménagement qui donne le tournis casse le rythme de dialogues déjà médiocres! Encore plus que ceux de Plus belle la vie

On a connu Dominique Pitoiset mieux inspiré et on se demande bien pourquoi il est allé chercher cette pièce de nouveau boulevard: deux heures et demi sans entracte pour dire quoi ? Pas grand-chose! Vieux procédé et cerise sur ce gros pudding, la scène finale se situe, comme la première, dans la boutique. Wheeler prend la défense d’une jeune collègue que son patron drague et il finira par se faire virer… Tout se passe comme si l’auteur ne savait pas trop comment finir sa piécette. Il s’en sort péniblement en essayant de coller à l’actualité des innombrables procès à la suite de l’affaire Weinstein…

Enfin seule consolation, la direction d’acteurs est, comme toujours chez Dominique Pitoiset,  absolument impeccable. Jan Hammenecker en permanence sur le plateau semble parfois loin de son personnage (et on le comprend !) mais mention spéciale à Daphné Huynh,  Sandrine Blancke et Nadia Fabrizio (Margaret, l’épouse du couple de vieux amis).  Et les nombreux éléments techniques : son, lumière, vidéo sont tous aussi très bien maîtrisés. Mais cela suffit-il à vous donner envie d’aller faire un tour à Sceaux ? Non, ma mère… Et vous avez sans doute vite compris que cette longue ballade nocturne à San Diego via Les Gémeaux, n’a rien de prioritaire…

Philippe du Vignal

Les Gémeaux/ Scène Nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine), jusqu’au 1er décembre.

Théâtre de Liège (Belgique), du 4 au 12 décembre. MC2 : Grenoble (Isère), les 11 et 12  décembre. Espace des Arts/Scène nationale de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), les 19 et 20 décembre.

Théâtre Dijon-Bourgogne ( Côte-d’Or) du 8 au 11 janvier.

MAC de Créteil (Val-de-Marne), les 4 et 5 février. Anthéa Antipolis, Théâtre d’Antibes (Alpes-Maritimes), les 13 et 14 février.

Nous pour un moment d’Arne Lygre, mise en scène de Stéphane Braunschweig

Nous pour un moment d’Arne Lygre, traduction du norvégien de Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, mise en scène  de Stéphane Braunschweig

©Elizabeth Carecchio.

©Elizabeth Carecchio.

Une écriture minimale et musicale comme dans les autres pièces aux petits mondes autonomes de l’écrivain norvégien dont Stéphane Braunschweig avait déjà monté Je disparais (2011), Tage Unter (2012) et Rien de moi (2013). Ses personnages s’expriment à deux degrés linguistiques: l’un conventionnel et l’autre aux hyper-répliques à travers lesquelles les personnages se regardent de l’extérieur, en restant des «personnages». Une mise à distance, une dissociation de soi à soi qui passe par les «je dis» ou les «je pense». Soit une mise en abyme de la forme et la signification de la parole quand on passe d’un personnage à l’autre et d’une scène à l’autre. Ici se croisent, en six séquences de plus en plus réduites, une vingtaine de personnages qui se révèlent à travers leurs relations, amis, connaissances, inconnus ou ennemis. L’ennemi, entre aversion et éloignement ou l’ami, une connaissance, une liaison, une rencontre qui apporte un réconfort et « qui a toujours un monde achevé à donner. » Comme l’écrit Balzac dans Madame de la Chanterie : « L’une de ces personnes qui ne sont ni amies ni indifférentes et avec lesquelles nous avons des relations de loin en loin, ce qu’on nomme enfin, une connaissance.» Par habitude, intérêt ou à cause du travail.

L’autre, dit Stéphane Braunschweig, est toujours perçu à la fois comme le besoin d’échapper à la solitude mais aussi comme la menace de perdre son autonomie. Arne Lygre explore ludiquement l’instabilité des relations et des identités dans le monde actuel, en convoquant un espace poétique… Une façon troublante d’avancer pas à pas dans l’inconnu, de faire naître la fiction, d’inventer des rencontres et de les dissiper dans l’incertitude précaire de toute vie. Eprouver l’urgence de communiquer et nouer un lien avec l’autre mais entre peur, désir, ou rêve ou effroi, cauchemar …

Stéphane Braunschweig, qui a aussi créé la scénographie, prend au pied de la lettre ces relations instables qui s’esquissent puis s’arrêtent, d’un moment à l’autre, fuyantes, évanescentes dans l’éphémère d’une inscription aléatoire. Dans un monde caractérisé par le sociologue Zygmund Bauman de «société liquide». Stéphane Braunschweig a ainsi mis en scène des acteurs qui marchent dans l’eau, sont assis sur des chaises de jardin ou allongés sur un lit blanc. Et le plateau tourne à la façon d’une ronde où parfois, de deux parois blanches en angle, un espace privé s’élève lentement. Surgit alors un volume plus ample où sont épinglées des figures miniaturisées, comme perdues, sous les reflets chatoyants de l’eau: de belles lumières signées Marion Hewlett. Une vision silencieuse et somptueuse, du plus petit au plus grand : on pense à la condition des migrants sur leur embarcation précaire.

Arne Lygre parle aussi des séparations avec des proches, suicides, maladies, accidents, agressions… Bref, toutes les misères du monde. Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Glenn Marausse, Pierric Plathier, Chloé Réjon et Jean-Philippe Vidal incarnent avec conviction leur personnage, passant tous de l’ami à l’ennemi, avec une belle «intranquillité» existentielle…

Véronique Hotte

Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

Théâtre National de Strasbourg, du 22 au 30 janvier.

Le texte est publié chez L’Arche Editeur.

 

 

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