Mort prématurée d’un chanteur populaire d’Arthur H. et Wajdi Mouawad

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Mort prématurée d’un chanteur populaire d’Arthur H. et Wajdi Mouawad

 

Le Théâtre de la Colline nous offre deux objets : l’un, énorme, hors gabarit, le spectacle, l’autre tout petit et très intime pour chacun, le livret d’accompagnement à deux faces et deux voix. En le lisant,  le spectateur peut rêver sur l’aventure (incommunicable) de chacun des artistes qui ont conçu ensemble ce spectacle et peut-être en chercher les traces dans ce qui se passe sur le plateau. Ça commence par une fin: côté derrière la scène, nous assistons aux dernières notes et aux bis d’un concert,  puis au retour dans sa loge du «chanteur populaire dans la force de l’âge» mais épuisé. Fatigue, fébrilité, harcèlement réciproque de la vedette (Arthur H.) et de son agent dite Diesel (Isabelle Lafon), pour sa constance à rouler pour lui sans panne depuis les lustres.

Elle vient de perdre un enfant à naître mais la mécanique du « show must go on » ignore ce genre de réalité. Alice, le chanteur -Alice pour Sapritch, répétera-t-il à tout un chacun avant d’expliquer cette dédicace- n’en peut plus. Chanter le «fait chier», poser pour un photographe (inévitablement caricaturé, puisque joué par l’acteur protéiforme Jocelyn Lagarrigue, contraint à chaque rôle de faire oublier ses autres figures. Mais il est irréprochable et ce n’est pas une métaphore. Arrive son ancien producteur, punk pur et dur habillé en petit-bourgeois sans concession (Patrick Le Mauff), qui lui propose, pour revenir aux origines et rompre avec le dégoût,  une fausse mort. On devine le potentiel comique et dramatique de la chose.

Wajdi Mouawad parle de “tragi-comédie“ : on est plutôt du côté du drame hugolien, moins la langue et la poésie, hélas. «Moi qui aime à ce point le pathos et l’emphase, dit-il, comment faire pour écrire dans une langue si quotidienne, qui me donnait des sensations gluantes de télévision ? »  Rien n’est perdu, heureusement,  du mélodrame : musique, sentimentalisme, et « alexandrins cachés » : on peut se rassurer sur l’emphase. Il a voulu que son alter ego musicien trouve sa place sur un plateau du théâtre qui ne lui est pas familier, il a déstabilisé toute la distribution, ainsi à égalité de risques. Il a réuni pour les bousculer familles et codes de jeu différents, ce qui donne au spectacle un côté patchwork, hétéroclite. Intenses, sincères, puis pantins de leurs personnages,  les acteurs tiennent le cap.

Le spectacle traite de l’inévitable crise du milieu de vie de l’artiste. Comment rester vivant, insolent, quand le succès vous enveloppe, vous câline et vous étouffe ? Il faut mourir à soi-même, pour rester vivant. Facile à dire. Les concepteurs du spectacle se sont sans doute réellement posé la question. Sont-ils sortis de leur « zone de confort » pour autant ? Et le critique, tiens, puisqu’il y en a un dans la pièce  (joué par Gilles David, de la Comédie-Française) ? Sort-il de sa propre zone ? Le personnage étrille vigoureusement sa star, le privant même de la Une de son magazine au profit d’un plus jeune, sous prétexte d’amour.

Et c’est peut-être vrai : supportons-nous d’être déçus par ceux que nous admirons ? « Qu’est-ce qu’on attend de l’artiste, sinon qu’il meure », en apothéose et apocalypse ? Celui-là, Alice comme Sapritch, reviendra de chez les morts, aveugle pour mieux voir sa propre renaissance, redevenu un être humain moyen, débarrassé de la gangue du show.

Il y a beaucoup à boire et à manger dans ce spectacle : de très beaux moments de chanson, de voix et d’échos –« c’est beau, un théâtre vide »-, avec le poème obsédant de Baudelaire : Sois sage, ô ma douleur, des réminiscences d’autres spectacles –la jeune photographe palestinienne (Sara Llorca) concevant une œuvre pour un mémorial juif new yorkais- aurait pu se trouver dans Tous des oiseaux. Des considérations sur les ridicules et les bienfaits de l’action culturelle. De la bonne musique (Pascal Humbert), de la farce avec beaucoup de : «dans ton cul », une vraie-fausse cérémonie chamanique frisant le halloween.  La visite revigorante d’une comédienne québécoise chère à Wajdi Mouawad (en alternance : Marie-Josée Bastien ou Linda Laplante), une fan qui  apporte avec elle un paquet d’amour…

Le tout tient d’une série télévisée peu soucieuse de vraisemblance. On rit, on est ému parfois, étonné et patient. Car c’est très long et la durée n’est pas toujours remplie, surtout dans la seconde partie. Alors ? Le spectacle, sorte de «poutine » (frites, plus sauce brune, plus fromage, plus tout ce qu’on aura envie d’ajouter) pour estomacs solides, est surtout un beau terrain de jeu accidenté et plein d’obstacles pour Arthur H, qui les affronte loyalement. Si l’aventure le décape pour un retour encore plus aventureux en concert, on le suivra !

 Christine Friedel

Théâtre National de la Colline, 13 rue Malte-Brun (Paris XX ème) jusqu’au 29 décembre.

Les 3 et 4 mars, L’Équinoxe, Châteauroux (Indre). Les 17 et 18 mars, Théâtre Firmin Gémier-la Piscine (à l’Opéra de Massy, Essone). Du 26 mars au 5 avril, Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).
Les 9 et 10 avril, Anthéa, Antipolis-Théâtre d’Antibes (Alpes-Maritimes).

 

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