Oleanna de David Mamet,mise en scène de John P. Kelly

 ©Erika  Bascomb

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Oleanna  de David Mamet,mise en scène de John P. Kelly

Créée en 1993 au Royal Court Thetare de Londre alors dirigé par Harold Pinter, cette pièce de l’auteur américain David Mamet a été un événement scénique d’une grande importance. Malgré son ambivalence irritante, il annonce déjà les conflits inspirés par les mouvements actuels Balance ton porc en Europe et Metoo en Amérique du Nord.  On pourrait même parler d’une œuvre visionnaire où était inscrite rage, haine et soif de vengeance qui ont détruit des réputations masculines vingt ans plus tard, en conférant aux femmes le pouvoir de se libérer grâce à une dénonciation… pas toujours fondée.

Le producteur Harvey Weinstein qui a exploité honteusement des femmes dans le milieu du cinéma aux Etats-Unis, est à l’arrière-plan de cette mise en scène. Et en 2013, un certain D.S.K. nous avait aussi  horrifiés quand les révélations sur le comportement sexuel de cet homme politique de premier plan étaient apparues dans la presse française et américaine. Un phénomène qui s’est étendu au monde entier… Et même si David Mamet est difficile à suivre, il souligne l’ambiguïté des situations entre les hommes et les femmes…

Dans cette mise en scène de John P. Kelly, une étudiante  et un jeune professeur vont surtout tester notre perception de la résolution d’un conflit. Ici aucune  vraisemblance ni réalisme psychologique mais un dialogue mordant et rapide dans un bureau où ces personnages étouffent  parmi les dossiers, livres et papiers.  Obligés de faire semblant  d’écouter l’autre pour qu’avance un dialogue… féroce et dont le rythme saccadé devient porteur de sens… L’étudiante ne comprend pas les définitions abstraites de son professeur, préoccupé par un conflit avec sa femme qui lui téléphone pour lui parler de l’achat d’une maison.Mais à l’acte II on apprend que Carol a porté plainte contre John auprès du comité de titularisation de l’université pour comportement sexiste et pornographique. Il a mis sa main sur son épaule, ce qui équivaut pour elle à un harcèlement sexuel… La situation est donc très grave pour John qui risque de perdre son poste. Carol reconnait à peine qu’elle s’est peut-être laissée entraîner par son « groupe d’étudiants» mais exaspérée par les coups de téléphone, elle va quitter le bureau. Les appels de l’épouse de John interrompent sans cesse le dialogue, énervent l’étudiante et attisent son agressivité. Carol lui révèlera par la suite que les accusations portées contre lui constituent désormais une tentative de viol. Et elle lui propose de laisser tomber ses accusations, s’il accepte que la liste de livres de son groupe soit retirée de l’Université, y compris la sienne.
Elle pense qu’il la manipule, en faisant semblant de l’écouter et souffre de cette confusion. La frustration, avec cette troisième voix au téléphone, envenime une rencontre qui préfigure l’horreur fasciste : l’interdiction des  livres; suivie d’une explosion de rage qui aurait vite mené à un meurtre si, 
entre temps, la pièce n’avait pas pris fin rapidement. Le public tétanisé par la montée inattendue de cette violence voit qu’un conflit idéologique peut mener à une perte de contrôle: comme David Mamet veut  le montrer avec cette montée d’un féminisme radical qui lui fait peur.  

Mais il nous livre une analyse très fine de la manière dont le pouvoir s’introduit dans une communauté à travers le langage. Oleanna aurait pu seulement être un échange intéressant entre une étudiante et son  professeur mais devient un rituel où les protagonistes se transforment  en archétypes de destruction mutuelle… Les personnages incarnent des pulsions de mort qui les mènent à leur perte. La confusion et la rapide escalade des  réponses criminalisent le professeur mais empoisonnent aussi cette étudiante incapable d’entendre l’autre.  Et le tragique devient alors  inévitable…

Le metteur en scène évite tout naturalisme et saisit très bien le mouvement de l’ensemble de la pièce et  il  nous renvoie aux idées de son auteur qui craint de voir arriver une confrontation  idéologique sans aucun raisonnement où seraient libérées les pulsions les plus primaires de l’être humain. La conclusion de David Mamet était prévisible… La pièce a beaucoup énervé le public qui ne pouvait accepter cette fin où a failli être démontrée la culpabilité du professeur. Montrer les passions extrêmes pour arriver enfin à un équilibre comportemental: David Mamet s’en remet à Aristote et nous renvoie à sa fameuse catharsis. Il nous montre qu’il faut savoir gérer ces passions extrêmes… 

Le metteur en scène a bien saisi le rythme saccadé des échanges et a respecté la pièce. Et, même si on ne partage pas ses opinions, David Mamet avait senti les conséquences possibles d’une forme de théâtre idéologique et a vu l’utilité d’une véritable catharsis quotidienne pour prévenir la violence fasciste dans le monde. Et il nous offre ici une étrange cérémonie !

Alvina Ruprecht

Gladstone Theatre, Ottawa  (Canada) jusqu’au 26 novembre.

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