« Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus… adaptation d’Andromaque de Racine, par le collectif La Palmera

Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector …qui est mort , adaptation d’Andromaque de Racine par le collectif La Palmera

2afc6588c732340de28ebb9f205d0d62Oreste-aime-750x410Un pari ambitieux qui était loin d’être gagné: créer un spectacle exigeant peu d’investissements, transportable et accessible à un large public. Mais quelle pièce choisir? Andromaque sera l’heureuse élue! Avec cette tragédie en cinq actes et en vers, écrite en 1667 et créée la même année, Racine devient un auteur reconnu.

Après la chute de Troie, Pyrrhus a obtenu pour butin, Andromaque et son fils Astyanax. De retour en Epire, il reçoit dans son palais, Hermione, la fille de Ménélas, roi de Sparte, et d’Hélène, qu’il doit bientôt épouser. Mais il est  amoureux d’Andromaque sa captive, la veuve d’Hector…. Arrive à la cour de Pyrrhus, Oreste qui aime Hermione ! En fait, bien souvent, l‘argument est résumé en une phrase :«Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime encore le souvenir de son mari, Hector, tué à la guerre de Troie.

Cette phrase, à peu de chose près donnera le titre à cette adaptation d’Andromaque, créée en 2012 et qui n’a cessé d’évoluer  et toujours avec pertinence. 

Néry a signé la mise en scène en étroite collaboration avec les comédiens Paul Nguyen et Nelson Rafaell-Madel. Mais il a fait appel à plusieurs collaborations pour la lumière, les costumes, la chorégraphie, etc.. « À l’origine, dit le collectif La Palmera,  ce spectacle est né d’un désir artistique et pédagogique : «Donner l’envie de découvrir ou de redécouvrir cet univers de la tragédie !» La création a subi plusieurs contraintes, notamment, faute de moyens, celle de réduire le nombre d’acteurs. Pas simple quand il y a huit personnages! Qu’à cela ne tienne, Paul Nguyen et Nelson Rafaell-Madel joueront tous les rôles! Nous savons  toute la difficulté  à proférer avec justesse et dans toute sa musicalité, la langue versifiée de Racine. Mais ils passent d’un personnage à l’autre avec aisance et réussissent à habiter chacun avec densité, qu’ils soient féminins ou masculins, et à faire ressentir leur destinée tragique. 

Le spectacle trouve ainsi une juste cadence et une dimension chorégraphique. Même si, vers la fin, on apprécierait plus de sobriété dans la gestuelle et la voix. Cependant progressivement -c’est un des points forts de cette adaptation- nous entendons les vers de Racine tel un chant cristallin. Écrite par les interprètes à la suite d’improvisations, elle rend cette tragédie accessible à tous et même aux plus réticents (souvenirs scolaires, pas des plus merveilleux?). Le texte résonne dans sa beauté poétique et rythmique, au début seulement par fragments et pour cause. En effet,  la première partie s’inscrit dans l’espace de la fête et du débat, et la deuxième, dans la représentation fidèle de l’œuvre… Et cela fonctionne admirablement grâce à la méthode judicieuse pensée par les interprètes : «Remplacer, disent-ils, les deux premiers actes, par l’écriture d’un texte issu d’improvisations, nous permet de mettre en route un début où nous parlons aux gens, comme si nous étions là naturellement et qu’on essayait de transmettre, de converser… ensemble. En fait, tout le travail était de voir jusqu’à quel point, nous pouvions étirer les limites de la tragédie… et nous en écarter pour arriver au stade où cela n’était plus possible. Nous savions qu’à un moment donné, on ne garderait que les vers. Et quand la tragédie serait nouée, qu’on ne s’en écarterait plus… Dans cette seconde partie, il n’y a plus du tout de noms propres mais juste les sentiments de ces quatre personnages qui perdent la raison. »

Ici, le passage s’opère petit à petit et la scénographie se modifie en fonction de la progression dramatique: ludique, originale, lyrique,voire burlesque mais aussi superbement classique. Les héros sont d’abord représentés par des ballons gonflables de couleur différente. Par exemple pour Astyanax: blanche,  symbolisant ainsi la pureté, l’innocence enfantine et la paix… Cette trouvaille astucieuse répond à l’objectif des auteurs de cette création: «rendre accessible la tragédie, aujourd’hui !»

Les éléments scénographiques vont peu à peu disparaître et laisser l’espace presque vide aux comédiens. Bande-son et lumières accompagnent ce cheminement vers le texte original, ici réduit aux trois derniers actes. Belle pureté dans la profération des vers  au deuxième moment du spectacle! Andromaque rayonne alors et nous procure une véritable émotion. Ce parti pris esthétique nous permet de saisir au plus près et avec sensibilité, la poétique et la dramaturgie. Une prouesse : ne pas nous éloigner du texte original, capter notre conscience et nous offrir du plaisir. Une façon judicieuse et ludique de remettre au goût du jour et surtout auprès d’un jeune public -mais pas seulement- une forme théâtrale majeure. 

Avec la tragédie, prend en effet naissance en Occident, le théâtre comme art. La difficulté étant pour ce collectif, de garder une envolée poétique sans tomber dans une explication dogmatique. Et avec cette mise en scène inattendue, la magie opère. Plus la représentation avance, plus nous nous glissons dans ce monde de guerre et de passions : abstrait mais tellement vrai et si proche de nous, femmes et hommes du XXI ème siècle. Malgré le temps qui passe, la société qui change et les utopies disparues, le public reçoit dans toute sa quintessence cette pièce classique. Et sans l’ennui tant redouté !

 Elisabeth Naud

 Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon, Paris (XVIII ème) jusqu’au 24 novembre. T. :  01 46 06 08 05.

 

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