La Dispute de Mohamed El Khatib
La Dispute texte et mise en scène de Mohamed El Khatib
D’abord surpris par la commande par le Théâtre de la Ville d’une pièce pour la jeunesse, l’auteur en a détourné le projet et s’est adressé aux enfants. Pendant de longs mois, il est allé à la rencontre de filles et de garçons de huit ans : un âge charnière qui marque la sortie d’une enfance fusionnelle avec les parents pour les faire entrer dans l’univers du réel, celui de l’école, des copains ou de la famille. Ils peuvent ainsi parler de leurs préoccupations quotidiennes et de leur entourage. Sur une trentaine d’entretiens, la séparation des parents est apparue comme une préoccupation centrale, qu’elle soit déjà effective ou qu’ils la redoutent. Témoins privilégiés, si l’on peut dire, ils ont leur propre ressenti et parlent assez crûment des avantages et inconvénients de la rupture.
Mohamed El Khatib, qui aime ce qui naît de rencontres a priori sans objet préconçu, a ainsi terminé chacun de ces échanges par une question ouverte : «Aujourd’hui quelle question aimerais-tu poser à tes parents ?» Ce long processus lui a permis de créer un climat de confiance, gage d’une parole authentique, loin des regards parentaux et donc libre des normes inculquées par les adultes. Ont alors commencé des ateliers de théâtre avec un petit groupe d’enfants volontaires. Tous ne sont pas sur scène et certains apparaissent à l’écran. Leurs visages s’adressent directement à nous, puissants témoignages recueillis dans l’intimité de leur chambre ou dans une salle de classe vide.
Dans un décor de Lego géants, huit enfants qui ont maintenant neuf ans prennent la parole tour à tour, dans une vraie/fausse spontanéité qui n’empêche en rien le naturel de s’exprimer. La fraîcheur des propos recueillis trouve, dans leurs bouches, la sincérité d’une re-création : comme s’ils jouaient à la marchande ou à l’école, ils s’incarnent totalement dans leurs paroles et leurs jeux. Avec, cependant un regard en coin, la petite distance de ceux à qui il ne faut plus en conter… Ils sont les premiers témoins des déchirements parentaux et leurs antennes les alertent parfois avant même les intéressés : quand il n’y a plus d’amour, ils le savent d’instinct. Ils attendent ce qui va se passer et espèrent, pour certains, que la rupture, enfin admise, nettoiera les nuages accumulés à la maison.
La plupart veulent croire que rien n’est perdu. On est surpris par leur lucidité et par les stratégies qu’ils déploient pour ne pas être de simples objets transitionnels : une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. Après tout, il y a des avantages : anniversaires et Noël des deux côtés. Et rien ne les fait plus rigoler que les séances chez le psychothérapeute : «Cela vous rassurait qu’on fasse des dessins ? »
La réussite de cet acte artistique tient en particulier à la position assignée aux spectateurs : « Il y a des parents dans la salle ? » Aucun quatrième mur ne vient les protéger de ces petites personnes. A la fin, une longue adresse directe au public met tout un chacun dans le bain de ses propres expériences, présentes ou passées. Ce moment est le miroir de nos errances amoureuses. Nous renions hardiment les engagements que nous prenons : « Qui d’entre vous a tenu ses promesses? » et pleins d’une indulgence sarcastique, ils nous balancent : «Vous avez fait pour le mieux et si c’était à refaire… vous ne feriez pas mieux ! » La conclusion s’impose d’elle-même : « Est-on obligé de vous prendre comme modèles ? ».
Le talent de Mohamed El Khatib est présent à chaque instant, transcendant avec humour l’ingénuité et parfois la souffrance de chacun. Il a su faire de ces enfants, non pas les juges des adultes mais des jeunes personnes en pleine puissance d’être et de pensée qui considèrent leurs parents comme des animaux étranges dont il faut parfois se méfier et dont on ne peut pas (encore) se passer.
Marie-Agnès Sevestre
Jusqu’au 1er décembre, Théâtre de la Ville-Espace Cardin,1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème).
Le 6 décembre, Théâtre du Beauvaisis, 40 rue Vinot-Préfontaine, Beauvais (Oise).
Le 12 janvier, Théâtre Paul Eluard, 4 avenue de Villeneuve-Saint-Georges, Choisy-le-Roi (Val-de-Marne).
Du 23 au 25 janvier, Tandem-Scène Nationale d’Arras (Pas-de-Calais)