Zizanie dans le métro, textes de l’Oulipo, Paul Fournel, Jacques Jouet, Pablo Martín Sánchez, Olivier Salon et Christian Germain, conception, adaptation et mise en scène de Jehanne Carillon et Christian Germain, musique d’Arthur Lavandier (à partir de sept ans)
C’est aussi un spectacle d’inspiration, disons oulipienne. Comme dans le fameux Exercices de style de Raymond Queneau le co-fondateur de ce groupe d’écrivains: l’Ouvroir de Littérature Potentielle comme Italo Calvino, Georges Perec et des scientifiques et poètes comme Jacques Roubaud et Olivier Salon. L’histoire va être ici racontée d’une quinzaine de manières différentes. «Zizanie dans le métro, dit Jehanne Carillon, est né de mon désir de faire un spectacle jeune public autour de l’œuvre de Raymond Queneau, tout en souhaitant continuer à travailler avec des auteurs vivants ! Ceux de l’Oulipo avec qui j’ai eu la chance de travailler à plusieurs reprises comme dans Chant’oulipo et Oulipolisson ! » (…) « Nous avons voulu explorer des formes essentiellement théâtrales (dialogue, adresse, personnage), mais aussi musicales (chansons, comédie musicale, jingles, annonces) et chorégraphiques. » (…) « Ce qui m’intéresse dans l’Oulipo, c’est le travail sur la langue, la forme, les jeux de langage, les permutations et les variations. »
Cela se passe sur le quai de la station de métro Solférino. Il y a un monsieur tout à fait comme il faut, enfin presque, en costume/cravate avec une serviette en cuir très années cinquante, une jeune personne en jupe tissu écossais, un gros chien, etc…Un gros homme barbu tous les trois assis des sièges en plastique moulé orange devant une aire d’affichage encore vierge. C’est un récit avec un exercice de style quinze fois repris autour de la mauvaise tenue d’un chien dans un wagon, d’un possible crime. Vers sept heures du soir, une jeune fille monte à la station Solférino avec un chien. Elle s’assoit et sort un livre de son sac. Mais le chien va renifler les chaussettes d’un homme en costume-cravate avec, à la main, une serviette en cuir. Agacé, il repousse le chien puis descend à la station suivante: Rue du Bac. Le lendemain, l’homme va chez le boucher… Et il aura aussi une scène au commissariat de police concernant un crime éventuel…
Le tout joué, dansé et chanté par Jehanne Carillon, Gilles Nicolas et Alexandre Soulié mais aussi disons «sonorisé» avec les bruits du métro qui fascinent les enfants: celui de la fermeture des portes, des roues sur les rails, ou même ténu mais bien là, du fameux passe Navigo et il y a aussi de vraies/fausses annonces avec des voix d’enfants. Et pour les chansons, la musique d’Arthur Lavandier, avec, entre autres un travail sur le pastiche d’une comédie musicale dans le style Michel Legrand et un rap façon Joey Star, tout à fait réjouissants… C’est un spectacle, disons tout public, avec sans doute des niveaux de lecture différents mais d’une rare intelligence scénique, où on se perd parfois mais avec délices…
Même rigueur que dans ses réalisations précédentes, même sens de l’espace, même humour parfois teinté de nostalgie: Jehanne Carillon ne triche pas et pense à juste raison que les enfants peuvent être émus ou rire de bon cœur quand ils écoutent la parole des poètes. Pari gagné. Il nous souvient d’avoir vu des petites filles de cinq ans riant aux éclats aux jeux savoureux sur les mots du grand Gherasim Luca…
Jehanne Carillon dirige toujours avec exigence ses acteurs. Et Zizanie dans le métro a des très bonnes qualités de jeu et bénéficie d’une musique, d’un son et de lumières de grande qualité.. que ses réalisations précédentes. Il y a parfois encore quelques longueurs et des à-coups: au soir de cette troisième représentation, c’est normal: le spectacle a encore besoin d’être rodé. Mais sinon il est d’une intelligence et d’une fraîcheur incomparable et cela fait du bien, surtout après une semaine de choses approximatives et avant un redoutable Macbeth vu le même soir et décliné au féminin dont nous vous parlerons.
Le spectacle vient d’être créé à la salle René Cassin de la Graineterie de la graineterie de notre enfance dans la rue autrefois principale de Houilles. Le département de Seine-et-Oise porte le nom des Yvelines, le commerce de fruits et légumes est devenu un restaurant chinois, la boucherie, une agence immobilière mais, coincée entre les deux, la petite boutique du Parti Communiste Français est restée… la petite boutique du Parti Communiste Français. Et la boulangerie, la deuxième boucherie et la boutique de fleurs sont toujours au même endroit. Et un siècle après la mercerie n’est plus une mercerie mais a gardé intacte sa vitrine… Comme le disait Philippe Meyer, nous vivons une époque moderne.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 24 novembre, à la Graineterie, 27 rue Gabriel Péri, Houilles (Yvelines). T. : 01 39 15 92 10.
Le 2 août, Festival Pirouésie, salle Claude Massu, Pirou-Plage (Manche).
Oulipolisson, du 14 au 18 mars, Médiathèque Michel Crépeau, La Rochelle (Charente-Maritime). Les 31 mars et 1er avril, Espace Jean Vilar, Arcueil (94).
Le 3 avril, Centre culturel La Gare, Méricourt (Yvelines).