Je ne me souviens pas de Mathieu Lindon, adaptation et mise en scène de Christophe Dellocque et Sylvain Maurice
Je ne me souviens pas de Mathieu Lindon, adaptation et mise en scène de Christophe Dellocque et Sylvain Maurice
Prendre à contre-pied Georges Perec et son fameux Je me souviens (1978), c’était l’intention de Mathieu Lindon : «J’ai essayé de faire l’inverse de Perec. Ne pas me souvenir de choses très publiques et collectives qui peuvent avoir un écho chez tout le monde.» Seul en scène, Christophe Dellocque relève le défi d’incarner cet auteur qui, sous couvert d’amnésie, se livre à une confession. Les premiers mots du texte donnent le ton et instaurent d’emblée une proximité avec le public : «Je ne me souviens pas du vase de Soissons. » Puis, petit à petit, le narrateur remonte le fil de ses souvenirs, à la recherche d’un temps perdu, celui de l’enfance et des premières fois.
Premiers émois, premières hontes mais aussi petits riens : «Je ne me souviens pas de la première fois où j’ai payé une friandise et rassasié ma gourmandise de mon propre chef. » Petites misères, aussi : «Je ne me souviens pas de ma première indigestion ni de ma première grippe ni de mon premier rêve ni de mon premier cauchemar. » Mais des grands chagrins, il s’en souvient : « Je me demande si je fais bien de me rappeler de tout ça. » Loin de la nostalgie de Georges Perec, avec humour et autodérision, l’acteur relaie les mots de l’auteur avec une précision de métronome. Pas un temps mort dans son jeu mais une exploration de l’intime sans pathos ni concession, avec même parfois une certaine sécheresse… Christophe Delloque nous emmène en terrain connu, celui de nos propres interrogations: de quoi, nous souvenons-nous au juste ?
Les non-souvenirs de Mathieu Lindon, portés en scène avec sobriété, nous touchent d’une autre manière que le Je me souviens, monté par Samy Frey en 1988 qui l’a repris plusieurs fois depuis. Comme un portrait en creux d’un homme de notre temps et, sans être narcissiques, ils font écho à nos angoisses existentielles, plus qu’à une mémoire collective. Peur de la vieillesse, de la mort… On guette ses premières rides, on pleure ses premiers amis, emportés dans la fleur de l’âge par le mal qui, dans les années quatre-vingt, a joué les trouble-fête. En réalité, l’auteur a bonne mémoire : «Les voix des êtres disparus, je m’en souviens, mais je ne les entends plus.» Créé en février et repris ici pour quelques dates, ce spectacle de cinquante minutes parlera à tout un chacun.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 30 novembre, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (I er). T. 01 42 36 00 50.
Je ne me souviens pas (2016) et les autres livres de Mathieu Lindon sont publiés aux Éditions P.O.L.