L’Entrée en résistance de et par Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson et Christophe Dejours
L’Entrée en résistance de et par Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson et Christophe Dejours
Avec Très nombreux chacun seul (voir Le Théâtre du Blog), la compagnie La Mouline avait amorcé une première collaboration avec ce psychiatre*, professeur titulaire de la chaire de psychanalyse Santé-Travail au Conservatoire National des Arts et Métiers. Christophe Dejours est l’un des premiers scientifiques à avoir mis sur le tapis, la souffrance au travail due aux nouvelles pratiques managériales. Mais ici le trio Bodin-Brisson-Dejours va plus loin et met à jour des formes de résistance possibles…
Nous sommes accueillis par des chants d’oiseaux. Des arbres se profilent, projetés sur de grands écrans mobiles. Le maître des lieux, un forestier, nous parle avec passion de ces êtres vivants que sont les chênes, les hêtres et les buissons… Que faire, face aux menaces qui pèsent sur les bois et ses hôtes? La direction de l’Office National des Forêts veut abattre toujours plus d’arbres et planter des pins Douglas, plus vite rentables, alors qu’il faut plusieurs générations pour amener à maturité les autres espèces… On lui dit concurrence et mondialisation : «Il faut multiplier les cubages». Quid de l’engagement et de la mission d’un agent assermenté : entretenir, préserver les essences locales et la diversité de l’écosystème? Quand ses camarades s’exécutent sans protester, lui, se sent isolé, pris en étau entre désobéir et se voir mis à l’écart, ou obtempérer pour assurer promotion et salaire. Quelques collègues sont allés jusqu’à se suicider sur leur lieu de travail…
Quid, du serment d’Hippocrate du chirurgien, quand l’administration hôspitalière l’enjoint de faire du chiffre, aux dépens des patients ? Et du juge, noté au nombre de dossiers traités? Où est la liberté de l’ouvrier, du travailleur ou du fonctionnaire quand il ne peut plus exercer pleinement son métier ? Comment accepter de «massacrer une forêt»? Christophe Dejours, caché derrière l’écran, joue au piano puis entre en scène et analyse cette situation car, en psycho-dynamique du travail, on croise bien des drames: «La clinique du travail est cruelle ! » Depuis plus de quarante ans, il rencontre ce genre de dilemme et a observé, face au diktat de logiques comptables, trois formes de réaction : soit, on obéit en arrêtant de penser, soit, sous l’emprise du discours managérial et bercé par le langage des communicants, on fait du zèle, ou soit, on entre alors en résistance.
Partant du constat de Christophe Dejours, que «Les forces de la domination néolibérales ont triomphé dans le monde entier» et « les formes classiques d’action sociale et politique sont défaites et dépassées», L’Entrée en résistance ouvre une petite fenêtre d’espoir. «Il me semble, dit le chercheur, que peut-être seulement dans l’art, des réponses à cette question peuvent être cherchées et élaborées.» Il trouve au théâtre une nouvelle tribune, avec le metteur en scène Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson qui a élaboré le texte à partir de paroles recueillies auprès d’agents forestiers et a réalisé les vidéos.
La pièce, acte de résistance, débouche sur une réflexion plus globale. «Je crois, dit Christophe Dejours, que la jonction entre théâtre et ce qui reste de la recherche critique, constitue un pôle essentiel de développement d’une pensée sur la résistance et au-delà, sur l’émancipation individuelle et collective.» Après chaque représentation, les débats vont bon train. Le théâtre engagé a donc encore sa place…
Mireille Davidovici
Jusqu’au 5 janvier, Théâtre de la Reine blanche, 2 bis passage Ruelle Paris (XVIII ème). T. 01 42 05 47 31.
*Christophe Dejours : Souffrance en France (La banalisation de l’injustice sociale) éditions du Seuil (1998). Travail Vivant, (tome I: Sexualité et travail, (tome II : Travail et émancipation, Payot (2009). La Panne, Bayard (2012). Le Choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité, Bayard (2015).