Dom Juan, de Molière, mise en scène d’Olivier Maurin
Dom Juan de Molière, mise en scène d’Olivier Maurin
À la fin, qui est ce Dom Juan, généralisé en Don Juan et donjuanisme? La pièce, elle, voit le jour dans un moment d’urgence pour Molière. Il s’agissait pour lui de vite trouver un succès pour faire vivre la troupe après l’interdiction de Tartuffe. Mais il fallait bien aussi que Molière pût « débonder son cœur », en bon Sganarelle, et dire ce qu’il avait à dire, interdiction ou non, sur la tartufferie et la cabale des dévots. Héritage hispano-italien et sans doute sicilien, -il est dit que «la scène est en Sicile»- et peut-être même du célèbre théâtre de marionnettes de Palerme mais là-dessus, tous les doutes sont permis…
Mise tambour battant au goût du jour, en 1665, la pièce reste composite et bizarre, ce qui a donné lieu à de multiples interprétations. Pièce sociale? Comédie métaphysique? Farce? Satire? Drame? On a tout essayé mais une des lectures les plus fortes est celle de Patrice Chéreau en 1969, à la lumière sombre de la lutte des classes et des paysans décrits par La Bruyère. Mais Olivier Maurin n’a pas voulu s’encombrer de cette tradition qui consiste à tirer Dom Juan de tel ou tel côté et à finalement faire le travail d’une lecture d’aujourd’hui, à la place du spectateur. Habitué aux écritures contemporaines, il a décidé de prendre le texte à la lettre et d’en confier l’énergie aux acteurs.
Cela donne un Sganarelle (Mickaël Pinelli-Ancelin), d’abord assez sobre mais qui «monte dans les tours» à l’entrée de Dom Juan (Arthur Fourcade). L’un, tout en avancées et reculs, tiré comme un élastique entre la morale et la crainte et l’autre glissant entre les doigts, échappant toujours, sans forcément bouger. Et ce duo, colonne vertébrale de la pièce, fonctionne. On ne découvre pas le génie de Molière -poser une situation, allumer un conflit, souligner une contradiction- on le savoure. Entre Dom Juan et Elvire, on voit se jouer de la même façon, un autre duo: chez Dom Juan, explications embarrassées et chez elle, des points d’exclamation… Lui regardant ailleurs et elle, toute à la «colère d’une femme offensée». Et l’on commence alors à voir en Dom Juan, le prince de la dérobade.
Mais ce n’est pas si simple… Et le metteur en scène croit le texte sur parole. Ainsi, à l’acte II, il faut entendre la défense de Charlotte pour ce qu’elle est, sincère et solide: «J’ai l’honneur en recommandation» et «Attendez que je soyons mariés». Ici, pas de scénographie mirifique, sinon l’indication d’un spectacle en répétition: des chaises en demi-cercle, un portant avec quelques costumes et un cyclorama mal tendu figurant un ciel. («Sganarelle, le Ciel ! -Nous nous moquons bien de cela, nous autres! ) Il y a même un gramophone pour ce qu’il faut de nostalgie mais des B.P.M. électroniques (battements par minute, ceux du cœur) viennent nous rappeler qu’il s’agit de choses peut-être un peu plus graves…
Pas de problème non plus avec les apparitions, spectres et machines : pour Olivier Maurin, la richesse du théâtre, ce sont les comédiens qui meurent et se relèvent avec l’obstination des spectres. Enfin, nul besoin de mécanismes spectaculaires pour figurer la mort de Dom Juan : il suffit de la fatigue de cet infatigable, de l’écœurement de celui qui a goûté à tout, jusqu’à s’en rendre malade. Et Sganarelle, réclamant ses gages, n’ose pas vraiment lui faire les poches !
On ne racontera pas tout de cette fable connue, jouée de façon aussi directe que possible par une troupe habile et souple, autour du triangle fondateur: Don Juan, Sganarelle, Elvire. Et la pièce garde sa richesse paradoxale, drôle, un peu inquiétante, claire et énigmatique à la fois.
Christine Friedel
Théâtre National Populaire, Place Lazare Goujon, Villeurbanne (Rhône) jusqu’au 7 décembre. T. : 04 78 03 00.