Festival BRUIT : La Chute de la maison de Samuel Achache et Jeanne Candel

 Festival BRUIT

La Chute de la maison de Samuel Achache et Jeanne Candel

 

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Ce spectacle qu’ils avaient conçu et mis en scène en  2017, ouvre le nouveau festival BRUIT qu’ont créé les deux auteurs-metteurs en scène. Ils ont succédé à François Rancillac à la tête du Théâtre de l’Aquarium et prônent  la constitution d’un répertoire ce qui ouvre à la reprise de leurs créations antérieures et permet d’entretenir une troupe ou du moins, un groupe d’acteurs apparentés à leur univers. Inspiré de la célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe, La Chute de la maison Usher (1839), ce spectacle n’est pas une variante contemporaine : il se situe à la fin du XIX ème siècle, ni une forme musicale.  Samuel Achache et Jeanne Candel donnent simplement aux acteurs la possibilité d’inventer pour leur personnage, une sorte de partition propre, s’ajoutant à des moments de récitals purs (instruments et voix).

Une scène à haut potentiel comique ouvre le spectacle : dans un établissement hospitalier, un ouvrier discute avec une religieuse d’un nouveau moyen de parler à quelqu’un qui n’est pas là : le téléphone ! Alors qu’elle voudrait déjeuner tranquillement et que la directrice tourne autour d’eux, impatiente de révéler ce qu’elle a découvert, la jeune sœur Gerbaud fait part de son doute, appuyée sur son bon sens. Au comique, succède l’indicible : une jeune morte, ressuscitée, a réapparu dans le service psychiatrique et sème la terreur parmi les médecins, les religieux et les autres malades… Apparaissent alors les fantômes de Poe ou plutôt un des thèmes de la nouvelle: la limite incertaine entre la vie et la mort.  Mais là où Edgar Poe laissait toute sa place aux signes du fantastique (brouillard, maison lézardée…), les metteurs en scène parient sur les réactions concrètes, fondamentales de chaque personnage, selon son statut et sa logique. A chacun ses croyances, à chacun sa pantomime…

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Pour ne pas troubler la jeune femme qui, par ailleurs, chante divinement, on lui fait croire qu’elle est au Royaume des morts. La sarabande des faux-semblants, menée par le curé et la bonne sœur, au mépris de toute pieuse réserve, ouvre sur un imaginaire digne du célèbre Rétable d’Issenheim : animaux fantasmagoriques, poissons volants, diables  fourchus… Leur petit théâtre n’est que langage et imaginaire et l’inconscient sexuel, transgressif, n’arrive tout de même pas à la bacchanale, un temps prévue.

Tout au long du spectacle, les morts, les vivants, le désir, le refoulement, s’expriment par des lieds mélancoliques : «Nous, les esprits de l’air, nous te célébrons en murmurant joyeusement : Adieu.» Ou sombres : « Que signifient ces horreurs ? Les chasseurs courent dans la forêt, résonne le cor… Nous nous enfonçons dans la matière noire…» Sans aucun effet illustratif, ces moments de lyrisme nous font ressentir une intériorité et une distanciation avec l’action.

 Et lorsque la jeune ressuscitée se met à vaticiner, c’est pour parler au nom du bébé encore dans le ventre de l’infirmière. Elle est sa voix, son angoisse de naître. Angoisse qui fait écho à la première phrase de la directrice : « Goûtez ce moment où vous ne savez pas encore ! »…

Située à la fin du XIXème siècle, la mise en scène fait droit aux enjeux vitaux et contradictoires de cette société : primauté de la science, confiance dans le progrès, puissance du spiritisme, refoulement sexuel… sans jamais donner de sens moral ou historique au projet artistique. Avec cet univers frappé de dérèglement, aux prises avec le monde brut de l’expérience, on entre de plain-pied dans la philosophie et l’esthétique que Samuel Achache et Jeanne Candel développent depuis  qu’ils ont créé leur compagnie la vie brève en 2013 : marier les arts du théâtre et de la musique grâce à des artistes qui sont aussi à la fois auteurs et interprètes. Assurément, la confiance accordée à leur puissance créatrice donne au spectacle un fort potentiel poétique.

 Marie-Agnès Sevestre

* chef-d’œuvre du peintre  Matthias Grünevald (1512), Musée Unterlinden à Colmar.

Spectacle vu le 6 décembre, dans le cadre du Festival d’Automne

Du 11 au 15 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne) et du 18 au 21 décembre, Théâtre Garonne, Toulouse (Haute-Garonne).


Archive pour 7 décembre, 2019

Khady Demba de Marie NDiaye, adaptation et voix de Corine Miret,

Khady Demba de Marie NDiaye, adaptation et voix de Corine Miret, musique d’Isabelle Duthoit, installation de Johnny Le Bigot

Crédit photo : Johnny Le Bigot.

Crédit photo : Johnny Le Bigot.

Danseuse, comédienne et performeuse, Corine Miret de La  Revue Eclair a lu Trois Femmes puissantes de Marie Ndiaye (prix Goncourt 2009) et est resté gravé en elle, le souvenir de Khady Demba, la dernière de ces femmes. Quand son mari meurt brutalement, restée veuve sans enfant malgré son très grand désir de maternité, la voilà humiliée, niée puis exclue du cocon de sa belle-famille. « Elle avait ignoré quelle forme prendrait leur volonté de se débarrasser d’elle mais, que le jour viendrait où on lui ordonnerait de s’en aller, elle l’avait su ou compris ou ressenti (c’est-à-dire que la compréhension silencieuse et les sentiments jamais dévoilés avaient fondé peu à peu savoir et certitude) dès les premiers mois de son installation dans la famille de son mari, après la mort de celui-ci. »

Pour viatique, un petit rouleau  de billets caché que lui a donné sa belle-mère et un lent éveil à la conscience de sa propre réalité à laquelle elle n’accédait pas. Khady Demba migre alors, loin de sa terre d’origine et échouera au pied d’un haut grillage, une barrière symbolique qu’il aurait fallu franchir pour atteindre à la «liberté» occidentale Peines de cœur et blessure physique mais aussi, rencontre avec un jeune homme qui va s’occuper d’elle à sa manière, une présence affective. Quand le camion s’ébranle avec des hommes, femmes et enfants prêts à tout, pour quitter leur pays désenchanté, Lamine dit de tenir bon à cette compagne au mollet blessé. Il avait des yeux «pareils à ces yeux de chien emplis d’une terreur innocente qui avaient croisé le regard de Khady et avaient alors atteint son cœur refroidi, engourdi, un instant l’avaient fait vibrer de sympathie et de honte ».

Pourtant, elle devait se rappeler plus tard, sans amertume mais avec tristesse et regrets, les attentions que Lamine avait eues à son égard. Dans l’enfer des migrants qui essayent de sortir de la misère, elle prend alors conscience de sa propre vie, jusqu’à sa métamorphose. Révélation existentielle mais aussi attention à la nature, au ciel et aux oiseaux voyageurs. Ce voyage vers l’inconnu révèle chez Khady Demba une force mentale insoupçonnée: honneur et dignité mais elle sent aussi que son corps s’affaiblit. Ici,  dire ou écouter ce récit de la narratrice exige qu’on se laisse embarquer par le style au trajet mystérieux de Marie NDiaye, avec suspensions et parenthèses, qui nous fait entrer physiquement sur le chemin à la fois réel et imaginaire parcouru par ses personnages.

Avec répétitions, retours, incises, changements de temps, la parole de Khady Demba, qu’elle soit  narrative ou au style indirect libre, traduit la sensibilité d’une femme présente au monde jusqu’au bout de sa solitude. Et la voix de Corine Miret coule, cristalline et vive dans ce monologue intérieur où l’auteure explore le sentiment passionnant d’être en vie. La clarinettiste et vocaliste Isabelle Duthoit saisit les sons et les recrée avec une présence éloquente et tranchante, jouant avec cet instrument qu’est le souffle étouffé et cassé, ou bien strident et perçant.

Chuchotements et clapotis, celui de la clarinette est profondément humain, dispensant la matière même des souffrances et les instants fugitifs d’éclats lumineux d’un temps à partager. Une partition autonome… Et nous avons la liberté de suivre les cheminements entre le texte, la musique et l’installation de Johnny Lebigot qui fait la part belle à la nature, avec des formes légères et circulaires, horizontales et verticales de rotin travaillé. Suspendues, à côté de treillages et tissages de roses trémières, comme ces mobiles à contempler, morceaux végétaux et fragments de notre terre. Se balance ainsi en l’air, une coque ovale de maripa de Guyane… telle une barque minuscule protégeant des graines, des pluies équatoriales. Un rappel métaphorique de l’embarcation de Khady Demba…

Véronique Hotte

Scène Thélème, 18 rue Troyon, Paris (XVII ème), jusqu’au 14 décembre. T. : 01 77 37 60 99.

Atelier du Plateau, 5 rue du Plateau, Paris (XIX ème), les 29, 30 et 31 janvier.

 

 

 

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