Danses d’Okinawa/kumiodori et ryûkyû buyô, par le National Theatre Okinawa

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Yukichi Agarie et Satoru Arakaki dans La Cloche des désirs © national theatre okinawa

 

Danses d’Okinawa /kumiodori et ryûkyû buyô,  par le National Theatre Okinawa

A près avoir vécu dans la sphère chinoise, l’archipel d’Okinawa, ancien royaume de Ryûkyûru rattaché tardivement en 1879 au Japon, a gardé sa langue et conservé une culture riche d’influences chinoises, japonaises et polynésiennes. Ce programme nous offre un aperçu de son théâtre chanté et dansé il y a près de trois cents ans à la Cour de Shuri, l’ancienne capitale, située sur l’île principale, aujourd’hui dans la banlieue de Naha.

A l’origine, ces pièces devaient distraire les émissaires de l’empereur de Chine, en visite en terre vassale. La troupe du National Theatre Okinawa, dirigée par Michihiko Kakazu, a pour mission de préserver et revivifier cet art ancestral que a inscrite  par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Au menu de la soirée, trois courtes pièces dansées dans le style ryûkyû buyô, suivies, après l’entracte, d’une comédie musicale typique du kumiodori.

Un chœur instrumental et vocal, omniprésent dans les deux parties du spectacle, assure l’illustration sonore et le récit dramatique. La ligne mélodique assez monotone, sans notes intercalées entre les tons comme au Japon, se distingue de la partition chantée. Les voix, souvent sur un registre aigu, épousent des variations micro-tonales à la métrique binaire. Aux côtés des trois sanshin, un petit luth à trois cordes pincées très populaire dans l’île et qui s’invite souvent sur la scène pop, une flûte, un koto (grand luth horizontal) et des percussions, dont un tambour taïko.   

Dans toutes le pièces, on est d’abord frappé par la gestuelle fine et précise des interprètes qui dans toutes les pièces tiennent les rôles à la fois masculins et féminins. Dans Takadera Manzaï, le premier solo, Nobuaki Ohama, vêtu en voyageur coiffé d’un large chapeau, entreprend une danse fluide et vive, avant de passer à l’attaque d’un ennemi imaginaire. Avec des mouvements empruntés au karaté, art martial originaire d’Okinawa. Cette rupture de langage scénique est marquée par une modification du costume et du rythme musical.

Dans Shudun, Yoshikazu Sanabe interprète une femme éplorée. Regard mobile et expressif, visage impassible, gestuelle d’une lenteur mesurée… Ses pieds glissent au sol et son corps, dans un kimono aux couleurs douces, s’affaisse puis se relève, comme les vagues de l’océan. Un chant plaintif accompagne cette créature en mal d’amour.

Par contraste, arrive un  couple d’amants : sur une musique populaire enlevée et quelques notes sifflotées par l’un des musiciens, ils échangent des rubans rouges, batifolent et quittent la scène bien émoustillés. On retrouvera les danseurs Shigeo Miyagi et Michihiko Kakazu en moines très coquins de la prochaine œuvre.

 La Cloche des désirs (Shûshin Kaneiri)

Les codes gestuels et vestimentaires de cette comédie kumiodori s’apparentent à ceux des pièces précédentes mais, au récitatif des musiciens, s’ajoutent des dialogues entre personnages, caractérisés par une lenteur et une tonalité monocorde, en rupture avec les chants de l’orchestre, plus mélodieux et poétiques. La mise en scène stylisée de Noho Miyagi donne une grande lisibilité et une tournure cocasse à l’intrigue  : un jeune lettré, en route pour servir au Palais de Shuri, s’égare à la nuit tombée. Il frappe à la porte d’une maison pour demander l’hospitalité. Une fille lui répond mais refuse de lui ouvrir  parce qu’elle est seule. Puis, voyant qu’il s’agit de l’homme dont elle est secrètement amoureuse, elle lui déclare sa flamme. Le jeune homme prend alors la fuite mais elle le poursuit. Des moines le cachent sous une grande cloche. Arrivée au monastère, la fille ne le trouve pas, et de rage, se transforme en diablesse au masque grimaçant et cornu… Les religieux, tremblant de peur, la vaincront à force de prières. C’est drôle.

Ce programme a une vocation patrimoniale mais selon Michihiko Kakazu: «Le National Theatre Okanawa ne se contente pas de programmer les classiques mais accueille aussi des spectacles locaux, des kabuki ou des œuvres narratives créées après l’ère Meiji. Des pièces de Kumiodori anciennes et  nouvelles pour contribuer au développement de cet art okinawien.» Danseur  et metteur en scène lui-même, le directeur du théâtre a été initié à l’âge de quatre ans au ryûkyû, puis a étudié le kumiodori à l’Université. Comme les autres artistes de la troupe, il crée de nouveaux spectacles en adaptant les techniques anciennes. Il s’adresse notamment au jeune public pour lui transmettre cette discipline particulière. «Le théâtre d’Okinawa a été influencé par les arts du Japon et de la Chine, dit-il. Mais nos ancêtres, loin de les imiter, se les sont appropriés. Ils n’ont pas joué leurs pièces en chinois pour flatter leurs visiteurs mais ont gardé leur langue par fierté et pour sa beauté.» Les Japonais actuels ne la comprennent pas mais, comme leurs prédécesseurs, les artistes la conservent encore.

Pour le spectateur étranger, les costumes, coiffures et accessoires renvoient à des codes qu’il a du mal à décrypter. A l’exception des bonzes tondus, vêtus de noir et blanc, les personnages ont des costumes colorés, en fonction de leur appartenance sociale et de leur état d’âme. Mais nous apprécions la sobriété esthétique et le raffinement de cet art qui ne laisse aucun détail au hasard et qui, dans sa particularité, rejoint l’universel.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 7 décembre à la Maison de la Culture du Japon, 1 bis quai Branly, Paris  (XV ème). T. : 01 44 37 95 01.


Archive pour 8 décembre, 2019

Danses d’Okinawa/kumiodori et ryûkyû buyô, par le National Theatre Okinawa

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Yukichi Agarie et Satoru Arakaki dans La Cloche des désirs © national theatre okinawa

 

Danses d’Okinawa /kumiodori et ryûkyû buyô,  par le National Theatre Okinawa

A près avoir vécu dans la sphère chinoise, l’archipel d’Okinawa, ancien royaume de Ryûkyûru rattaché tardivement en 1879 au Japon, a gardé sa langue et conservé une culture riche d’influences chinoises, japonaises et polynésiennes. Ce programme nous offre un aperçu de son théâtre chanté et dansé il y a près de trois cents ans à la Cour de Shuri, l’ancienne capitale, située sur l’île principale, aujourd’hui dans la banlieue de Naha.

A l’origine, ces pièces devaient distraire les émissaires de l’empereur de Chine, en visite en terre vassale. La troupe du National Theatre Okinawa, dirigée par Michihiko Kakazu, a pour mission de préserver et revivifier cet art ancestral que a inscrite  par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Au menu de la soirée, trois courtes pièces dansées dans le style ryûkyû buyô, suivies, après l’entracte, d’une comédie musicale typique du kumiodori.

Un chœur instrumental et vocal, omniprésent dans les deux parties du spectacle, assure l’illustration sonore et le récit dramatique. La ligne mélodique assez monotone, sans notes intercalées entre les tons comme au Japon, se distingue de la partition chantée. Les voix, souvent sur un registre aigu, épousent des variations micro-tonales à la métrique binaire. Aux côtés des trois sanshin, un petit luth à trois cordes pincées très populaire dans l’île et qui s’invite souvent sur la scène pop, une flûte, un koto (grand luth horizontal) et des percussions, dont un tambour taïko.   

Dans toutes le pièces, on est d’abord frappé par la gestuelle fine et précise des interprètes qui dans toutes les pièces tiennent les rôles à la fois masculins et féminins. Dans Takadera Manzaï, le premier solo, Nobuaki Ohama, vêtu en voyageur coiffé d’un large chapeau, entreprend une danse fluide et vive, avant de passer à l’attaque d’un ennemi imaginaire. Avec des mouvements empruntés au karaté, art martial originaire d’Okinawa. Cette rupture de langage scénique est marquée par une modification du costume et du rythme musical.

Dans Shudun, Yoshikazu Sanabe interprète une femme éplorée. Regard mobile et expressif, visage impassible, gestuelle d’une lenteur mesurée… Ses pieds glissent au sol et son corps, dans un kimono aux couleurs douces, s’affaisse puis se relève, comme les vagues de l’océan. Un chant plaintif accompagne cette créature en mal d’amour.

Par contraste, arrive un  couple d’amants : sur une musique populaire enlevée et quelques notes sifflotées par l’un des musiciens, ils échangent des rubans rouges, batifolent et quittent la scène bien émoustillés. On retrouvera les danseurs Shigeo Miyagi et Michihiko Kakazu en moines très coquins de la prochaine œuvre.

 La Cloche des désirs (Shûshin Kaneiri)

Les codes gestuels et vestimentaires de cette comédie kumiodori s’apparentent à ceux des pièces précédentes mais, au récitatif des musiciens, s’ajoutent des dialogues entre personnages, caractérisés par une lenteur et une tonalité monocorde, en rupture avec les chants de l’orchestre, plus mélodieux et poétiques. La mise en scène stylisée de Noho Miyagi donne une grande lisibilité et une tournure cocasse à l’intrigue  : un jeune lettré, en route pour servir au Palais de Shuri, s’égare à la nuit tombée. Il frappe à la porte d’une maison pour demander l’hospitalité. Une fille lui répond mais refuse de lui ouvrir  parce qu’elle est seule. Puis, voyant qu’il s’agit de l’homme dont elle est secrètement amoureuse, elle lui déclare sa flamme. Le jeune homme prend alors la fuite mais elle le poursuit. Des moines le cachent sous une grande cloche. Arrivée au monastère, la fille ne le trouve pas, et de rage, se transforme en diablesse au masque grimaçant et cornu… Les religieux, tremblant de peur, la vaincront à force de prières. C’est drôle.

Ce programme a une vocation patrimoniale mais selon Michihiko Kakazu: «Le National Theatre Okanawa ne se contente pas de programmer les classiques mais accueille aussi des spectacles locaux, des kabuki ou des œuvres narratives créées après l’ère Meiji. Des pièces de Kumiodori anciennes et  nouvelles pour contribuer au développement de cet art okinawien.» Danseur  et metteur en scène lui-même, le directeur du théâtre a été initié à l’âge de quatre ans au ryûkyû, puis a étudié le kumiodori à l’Université. Comme les autres artistes de la troupe, il crée de nouveaux spectacles en adaptant les techniques anciennes. Il s’adresse notamment au jeune public pour lui transmettre cette discipline particulière. «Le théâtre d’Okinawa a été influencé par les arts du Japon et de la Chine, dit-il. Mais nos ancêtres, loin de les imiter, se les sont appropriés. Ils n’ont pas joué leurs pièces en chinois pour flatter leurs visiteurs mais ont gardé leur langue par fierté et pour sa beauté.» Les Japonais actuels ne la comprennent pas mais, comme leurs prédécesseurs, les artistes la conservent encore.

Pour le spectateur étranger, les costumes, coiffures et accessoires renvoient à des codes qu’il a du mal à décrypter. A l’exception des bonzes tondus, vêtus de noir et blanc, les personnages ont des costumes colorés, en fonction de leur appartenance sociale et de leur état d’âme. Mais nous apprécions la sobriété esthétique et le raffinement de cet art qui ne laisse aucun détail au hasard et qui, dans sa particularité, rejoint l’universel.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 7 décembre à la Maison de la Culture du Japon, 1 bis quai Branly, Paris  (XV ème). T. : 01 44 37 95 01.

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