Les Dimanches de Monsieur Dézert de Lionel Dray, d’après Jean de la Ville de Mirmont

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Festival BRUIT

Les Dimanches de Monsieur Dézert de Lionel Dray, d’après la nouvelle de Jean de la Ville de Mirmont

 

Qui peut dire la place qu’aurait tenue, dans la littérature du XX ème siècle,  ce jeune fonctionnaire bordelais, ami de François Mauriac ? Nous ne le saurons jamais… A vingt-huit ans, il fut tué au Chemin des Dames en novembre 1914, juste après avoir écrit cette première nouvelle.

Compagnon de route de Sylvain Creuzevault, Lionel Dray a répété et créé ce spectacle  l’an passé  aux anciens abattoirs d’Eymoutiers ( Corrèze) que le metteur en scène a investis l’an dernier. L’acteur nous embarque dans une adaptation qui n’en est pas une : il s’est inspiré de la trame de cette nouvelle pour s’envoler vers les horizons de son imaginaire…

Monsieur Dézert est, seul,  le dimanche, dans sa cuisine exigüe au papier peint défraîchi.  L’acteur installe un petit monde pour un solo dont il assume tous les personnages. Comment mettre en jeu ce qui semble traverser le texte d’origine, à savoir : l’ennui de la vie de province, l’absurdité de l’administration et  le désenchantement de soi-même ? Avec beaucoup d’à-propos, l’acteur ne respecte ni le lieu, ni le temps, ni le thème du texte mais dynamite le   »quatrième mur » et installe un rapport loufoque au public, tout en allées et venues, apostrophes et jeux divers. Pour autant mélancolie et désenchantement originels sourdent à chaque instant, en particulier lorsque les mots :  psychopompe, apocalypse, hyène  laissent planer le carnaval macabre et l’hécatombe de la Grande Guerre.

 Une certaine ironie désespérée peut être le moteur d’un scénario débridé  et Monsieur Dézert se lance dans la mise en orbite d’un «Grand jeu-concours, soutenu par le Conseil régional et parrainé par le journal local ». Le lauréat pourra réaliser pour le cinéma  une adaptation des Dimanches de Monsieur Dézert !

Défilent alors les candidats devant un jury de cailloux posés sur une table. Avec un fil tendu en travers de la bouche, le visage fracturé d’une grave blessure, le premier  balade son désenchantement de Gueule cassée.  Puis apparaît Jean-Luc Godard. Incarnation débridée, accent suisse compris,  du cinéaste philosophe, Dézert se lance dans le récit d’une bataille homérique entre spinozistes et hégéliens : on se croirait à l’ENS rue d’Ulm en 1970… Aucun  sujet ne lui fait peur, pourvu que ne s’arrêtent jamais les rebondissements dont sa cuisine est le théâtre. Et d’ailleurs :« « Qu’est-ce qui est pire que d’être achevé ? »…

Invisible au monde avec, pour seuls témoins, les objets qu’il fait parler au besoin, comme les enfants et les fous, l’imagination sarcastique de Désert saute à sa propre gueule… On ne saura jamais qui a gagné le concours : le spectacle se termine par une porte dérobée : jolie métaphore d’un être resté jusqu’au bout méconnu de ses semblables, disparu par la trappe de l’Histoire. Mirmont/Dézert : même destin ? Clown triste, désastreux et philosophe, Monsieur Dézert habite comme personne le dimanche, jour de vacuité, mais aussi de liberté personnelle. Peuvent surgir alors les signes grimaçants de la mort, même au détour de jeux inutiles. Lionel Dray réussit ce petit miracle, sur un fil, au-dessus du vide et de l’horreur…

 Marie-Agnès Sevestre

Spectacle vu au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne).  Métro : Château de Vincennes.
Le festival Bruit se poursuit jusqu’au 25 janvier.

 En tournée :

Du 17 au 22 février 2020
A l’Empreinte – scène nationale Brive-Tulle (Corrèze)
Du 4 au 12 mars, Théâtre Garonne, Toulouse (Haute-Garonne)
Le 12 mai, La Fonderie au Mans (Sarthe)

 

 

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