Fortunio d’André Messager, mise en scène de Denis Podalydès

© Stefan Brion

© Stefan Brion

 

Fortunio, musique d’André Messager, livret de Gaston Arman de Caillavet et Robert de Flers d’après Le Chandelier d’Alfred de Musset, mise en scène de Denis Podalydès, direction musicale de Louis Langrée

Jouée à l’Opéra-Comique il y a dix ans dans cette même mise en scène, cette comédie lyrique en quatre actes recueille toujours un beau succès public et cela, depuis sa création ici en 1907. Une musique remarquable, en particulier au III ème acte accompagne les très belles voix d’Anne Catherine Gillet (Jacqueline) et de Cyrille Dubois (Fortunio). Ils se retrouvent ici après Le Domino Noir, présenté ici pour notre plus grand plaisir en 2018 (voir Le Théâtre du Blog), premier opéra dirigé par Louis Langrée à l’Opéra de Lyon, il y a trente ans, qui parle d’une «élégance mélodique, associée à une grande souplesse harmonique».

Le chœur les Eléments accompagne l’orchestre des Champs-Elysées qui interprète la musique d’André Messager, un chef d’orchestre devenu à cinquante-quatre ans directeur de l’Opéra de Paris quand a été créé Fortunio. Ce compositeur, un des les plus connus de l’école française d’opérette classique, crée une musique légère fluide et harmonieuse, « agréable à l’oreille »  pour un large public qui la garde facilement en mémoire. Son œuvre la plus connue est Véronique (1898).

La scénographie réaliste nous emporte d’une place d’une petite ville de province, à la chambre de Jacqueline, au jardin de l’étude notariale. Et la mise en scène, très cinématographique -mais sans projections vidéo- rend l’œuvre tout à fait accessible. Les élégants costumes de Christian Lacroix, les décors où domine le bois qui ont été conçus par Eric Ruf, le sublime cadre de scène de l’Opéra-Comique nous transportent aisément à la fin du XIX ème siècle.  Un véritable voyage dans le temps : les calèches attendraient à la sortie du théâtre et les robes à faux cul ou à crinoline des spectatrices pourraient ressembler à celles des artistes. Et dehors, tomberait la neige qui accompagne ici les premier et dernier actes…

Un jeune clerc de notaire, considéré par les autres personnages comme «un enfant », est trahi par Jacqueline, la femme de Maître André, un notaire (Franck Leguérinel). Elle l’utilise comme paravent pour vivre une liaison avec le militaire Clavaroche, chanté avec fougue par Jean-Sébastien Bou: «Le plaisir toujours vif pour un militaire de cocufier un notaire, claironne-t-il.» (…) «Nos belles coquettes ne goûtent que l’épaulette! » Pour Denis Podalydès, Fortunio, est «l’amoureux courtois, désintéressé, innocent et pur, qui donne sa vie à la dame de ses pensées, sans rien attendre en retour. » Il dit à Jacqueline : «Je mourrais de bon cœur pour vous rendre service. » La Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique avec des enfants de la sixième à la terminale, participe à cette création. Les deux heures quinze de ce spectacle avec entracte, coulent avec bonheur et enchantent le public…

Jean Couturier

Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris (II ème), jusqu’au 22 décembre. T. : 01.70.23.01.31.

 


Archive pour 15 décembre, 2019

Britney’s Dream, tragi-comédie fantastique (en franglais), de et avec Alexandra Flandrin.

Britney’s Dream, tragi-comédie fantastique (en franglais), de et avec Alexandra Flandrin.

 

Crédit photo : Marie Charbonnier

Crédit photo : Marie Charbonnier

Cette actrice bilingue, franco-américaine a entrepris, après mûre réflexion et beaucoup de travail, un voyage identitaire au pays des illusions: formule stéréotypée qu’elle fait sienne après l’avoir bien analysée.Après avoir vu un documentaire sur Britney Spears, la pop star au masque idéal, elle transforme le pseudo-conte de cette chanteuse, image sublimée de l’Amérique actuelle et la situe à l’extrême opposé du pays décrit par Donald Trump. Facétieuse, elle cite David Lynch avec pertinence: «Le monde contemporain n’est peut-être pas exactement l’endroit le plus brillant où l’on puisse rêver de vivre. C’est une espèce d’étrange carnaval. Où il y a pas mal de douleur mais qui peut-être assez drôle aussi. »

Sur scène, un rideau léger de strass doré sépare le plateau des coulisses, avec, sur un portant, les atours sexy que la comédienne va revêtir. Au centre, une chapelle miniature en bois du culte évangéliste rappelant celle de la ville de Louisiane. Quand la mère de Britney Spears projetait ses fantasmes de réussite sociale, alors que la fillette, trop jeune, acquiesçait à tout. Elle devient animatrice au Mickey Mouse Club avec  fans bruyants, rires enregistrés et vagues d’applaudissements quand elle porte les oreilles de Minnie Mouse. Puis, les drugstores d’Hollywood Boulevard, jusqu’à  des séjours dans un hôpital psychiatrique, avant que Britney Spears ne préside  la  Britney Depression Fondation Organisation. L’«american way of life»? D’abord, le culte de l’individualisme et, en guise de bonheur, l’obligation d’être en bonne santé, performante, belle … et drôle. Mais on le sait, cette recherche vaine et obsessionnelle de perfection génère angoisse toxique, faux-semblants et sentiment de non-appartenance à l’existence…

Une icône tendue entre sublime et grotesque… Une ambivalence politique, éthique et esthétique dont se saisit Alexandra Flandrin pour composer un masque théâtral équivoque, une enveloppe vide, froissée à plaisir pour que puisse se révéler enfin l’identité perdue de l’héroïne. Ce qui l’a conduit à la dépression, aux drogues prises par le monde médiatique et pour finir, à la folie. La fiancée américaine idéale, adulée outre-Atlantique, ne parvient pas à se reconstruire ou du moins  à se trouver… Devenue un monstre à facettes fabriqué et manipulé,  sans aucune authenticité.

La Lolita du Mickey Mouse Club,  est devenue superwoman à la tête rasée, rompant avec l’image d’une princesse à la chevelure blonde stéréotypée. Une tragi-comédie musicale fantastique. De la jeune fille innocente, mince, blanche et souriante, elle passe à l’incarnation d’un monstre: le reflet d’une société en crise, fragile, complexe et très malade où nul ne peut contrôler ses propres dérives. L’interprète explore deux cultures, à travers les langues française et américaine, en les rapprochant. Entre rêve et réalité, Las Vegas ou Paris, entre grotesque et sublime, sentiment de puissance et dépression :« Tout le monde thought que j’étais heureuse to be Britney sauf moi. Me. If there was one person on earth who hated me the most, c’était bien moi. C’était bien moi, si il y avait une personne sur terre qui me haïssait, it was me…But, les années ont passé, et le more j’étais célèbre, the happier she was, et the more je me détestais. Jusqu’au one day, when I was in my twenties, je ne sais pas pourquoi, I became ok with it (…)

La comédienne sexy s’amuse et amuse le public, distante et ironique: « Bon, okay, je sais qu’on n’est pas à Las Vegas, capitale du divertissement ! Mais je suis quand même une fucking intertainer ! » Une performance audacieuse où elle n’hésite pas à bousculer les codes avec dérision, dans ce divertissement à l’américaine avec danses équivoques et évocations de super-héros comme James Bond, Wonder Woman, Minnie Mouse, Barbarella… Avec des perruques en cheveux synthétiques, des jouets et revolvers en plastique, et des poupées Barbie … Gaieté des adresses au public et résonance des chansons, danses provocantes, vidéos/karaoké : Alexandra Flandrin fait tout pour que nous soyons un peu bousculés, loin de nos convictions intimes. Comme cette manipulation de la femme à des seules fins commerciales…

Alexandra Flandrin, facétieuse et bien consciente des travers de son temps, creuse avec méthode, le thème de la fragilité. Celle d’une femme perdue dans le rêve américain… pour elle devenu un cauchemar. Performeuse convaincante et sincère, elle fait ici le portrait contrasté d’une figure emblématique du divertissement aux Etats-Unis, avec un bel humour et une passion ludique des changements de costume à vue.

 Véronique Hotte

La Flèche Théâtre, 75 rue de Charonne Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40.

Alexandra Flandrin pour les paroles et David Georgelin pour la musique, ont réalisé Army of Britney’s , un album de chansons pop

 

 

 

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