Un Américain à Paris, musique et lyriques de George et Ira Gershwin,mise en scène et chorégraphie de Christopher Wheeldon
Un Américain à Paris, musique et lyriques de George et Ira Gershwin, livret de Craig Lucas, mise en scène et chorégraphie de Christopher Wheeldon
Cette comédie musicale est revenue à la maison… Après cinq ans de triomphe dans le monde entier, six cent représentations à Broadway et quatre Tony Awards, elle retrouve le Châtelet qui l’a vue naître. Pari gagné pour Jean-Luc Choplin, allié à la production Broadway Asia. On imagine ce que représente le montage d’une telle affaire: onze comédiens, danseurs et chanteurs excellents dans ces trois disciplines mais aussi vingt-cinq danseurs, autant de musiciens et encore autant de techniciens et régisseurs. Sans compter les arrangeurs et les librettistes, les chorégraphes, costumiers, assistants… Avec les producteurs et les organisateurs de la tournée, l’entreprise a pris une taille industrielle.
On dira que le public s’en fiche mais cela donne la mesure et la démesure de ce grand spectacle. Ses concepteurs ont repris la «rhapsodie ballet» de 1928 -l’époque du Paris est une fête d’Ernest Hemingway- et le film de Vincente Minelli (1951) et ils ont placé l’intrigue au sortir de la seconde guerre mondiale. Le G.I. Jerry Mulligan retournera-t-il au pays ou restera-t-il mener la vie de bohème des peintres parisiens ? Cela commence fort avec l’arrachage d’un immense drapeau nazi remplacé par un aussi immense drapeau tricolore. Et le prologue voit juste : la France est du côté des vainqueurs mais elle est défaite et on assiste à un court ballet de la faim : une jeune femme s’évanouit avec grâce…
Mais la guerre est vite oubliée et les trois amis cherchent chacun à percer dans son art -le public profite de la démonstration- et ils tombent amoureux d’une jolie vendeuse qui se révèle être une danseuse promise au succès et… au fils des bourgeois qui l’ont cachée pendant la guerre. Mais elle préfère Jerry malgré les obstacles, même si une riche héritière tente de le séduire en lui ouvrant les portes des collectionneurs et mécènes… Happy end, évidemment : ni l’argent ni les services rendus ne peuvent acheter l’amour, tout le monde est d’accord là-dessus. Rideau.
À vrai dire, le spectacle nous accroche avec ces hésitations et péripéties amoureuses et artistiques mais… parfois longuettes. Et grâce à une haute performance technique : tout ici est réglé au millimètre et au dixième de seconde près. On a envie de dire, c’est de la dentelle mais c’est aussi une mécanique de grande précision. Les décors apparaissent et disparaissent -éléments gigantesques sur roulettes silencieuses, projections sur tulle des toits et des rues de Paris- au rythme exact de ballets ininterrompus, avec les changements de décor et de nouvelles chorégraphies, entre duos et solos. On pourra chipoter : les voix des chanteuses, parfaitement justes et bien placées, ont quelque chose d’un peu métallique. Et le GI Jerry de ce soir-là (ils sont deux en alternance) est plus convaincant en danseur (grands jetés puissants et envolés, déboulés à ôter le souffle), qu’en comédien mais la troupe est parfaite.
La frustration viendrait plutôt du côté de la musique. Impossible, dans une fosse, d’avoir la richesse d’un orchestre symphonique. Malgré leur vaillance en seconde partie, les cuivres manquent d’ampleur et de brillant. Il faut se dire que la musique est ici au service du spectacle et que la battue du chef répond à l’exactitude du plateau. Donc, ne chipotons pas et battons intérieurement notre propre pulsation jazzy, les minuscules contretemps qui nous enchanteraient et qui nous manquent.
Enfin, une bonne nouvelle pour les moins de vingt-six ans et les plus de soixante-cinq ans.. Un quart d’heure avant le début du spectacle, on peut trouver d’excellentes places à vingt euros… Sinon, ce sera de treize euros (au ras du plafond et les genoux écrasés) à quelque cent vingt euros au parterre… Le prix des places semble presque aussi variable que celui des billets d’avion, mais cela vaut la peine d’essayer : le Théâtre est desservi par la ligne 1, automatique, qui roule pendant la grève.
Christine Friedel
Théâtre du Châtelet, Place du Châtelet, Paris (Ier) jusqu’au 1er janvier. (Aucune réservation par téléphone).