La Mémoire du Temps d’Alain Choquette
La Mémoire du Temps d’Alain Choquette
Pour nous faire patienter, deux écrans LED diffusent le parcours du célèbre illusionniste depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Alain Choquette a commencé à la télévision canadienne de 89 à 95 comme chroniqueur dans Ad Lib et a créé son premier spectacle de magie Première apparition en 1993 au Théâtre Saint-Denis à Montréal.
En 1994, il se lance à la conquête des Etats-Unis avec Grand Illusions ’94 -An Evening of Magic and wonder à Atlantic City pour cent cinquante représentations. La même année, il est invité à participer à l’émission mythique World’s Greatest Magic, enregistrée à Las Vegas et diffusée par la chaîne américaine NBC. En 1995, il s’installe au Forum de Montréal avec Fascination, un nouveau spectacle en compagnie de vingt-deux artistes de l’École nationale de cirque… L’année suivante, Alain Choquette retourne aux États-Unis et devient le premier artiste francophone à obtenir une résidence à Las Vegas. Il obtient une reconnaissance mondiale avec un numéro original La Disparition des douze où douze spectateurs disparaissent sur une plateforme. David Copperfield, lui-même, lui demandera l’autorisation de présenter cette illusion dans l’un de ses réalisations. En 1997, Alain Choquette crée Jeux de vilain à Montréal, pour ensuite aller en tournée à travers le Canada… Et en 2011, il lance un spectacle éponyme, en français et en anglais, avec lequel il parcourt de nouveau le Canada. Deux ans plus tard, il arrive en France pour la série de spectacles du Comedy Majik Cho d’Arturo Brachetti et en 2014 il présente Drôlement magique au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse avec plus de six cents représentations! Cette année il crée son dernier grand spectacle La Mémoire du temps au Québec, et le présente à Paris. Il entre en scène avec le tour final : la production de papillons en papier. La représentation est soi-disant terminée et ses assistants arrivent pour nettoyer la scène et charger le matériel dans des caisses. Le plateau est alors plongé dans le noir et une lumière de chantier s’allume et projette l’ombre de l’illusionniste sur un grand écran blanc, et il parle au public de ses débuts. Une caisse s’ouvre toute seule et apparait la première mallette de magie d’Alain Choquette. Son ombre se transforme alors en silhouette d’enfant qui joue avec lui et la lumière de l’ampoule, dans un va-et-vient de l’écran au réverbère. Les souvenirs refont surface et ils exécutent ensemble une routine classique, celle des anneaux chinois entre le virtuel et le réel. Un premier tableau pas très convaincant où sont repris tous les stéréotypes de l’artiste qui remonte le temps et se souvent de ses jeunes années quand il découvrait la magie… Un modèle anglo-saxon usé jusqu’à la corde. Les traits de l’enfant sont grossiers et l’interaction avec l’adulte se fait mal. Bref, un début maladroit…
Puis les spectateurs qui ont tous reçu une enveloppe à l’entrée sont invités à l’ouvrir ; ils y découvrent quatre photos du magicien à des époques différentes. Alain adolescent avec son premier livre de magie, sa première photo comme professionnel, une de lui aujourd’hui et une autre encore où il est âgé…Ces moments d’une vie vont se mélanger sous les ordres de l’illusionniste qui demande au public de faire exactement les mêmes gestes que lui. Les photos sont d’abord mélangées face en l’air, puis face en bas. Puis le paquet est alors déchiré en deux. Les morceaux de nouveau mélangés dessus dessous sont alors jetés en l’air plusieurs fois de suite. Un morceau est gardé par chaque spectateur qui le met sous ses cuisses. Les opérations sont répétées encore et encore jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une moitié déchirée face en bas. Le magicien demande à chacun de rassembler ses deux morceaux et les bouts correspondent parfaitement ! Le passé, le présent et le futur se sont mélangés un instant mais tout rentre dans l’ordre au final et l’intégrité du magicien est sauve. Une magnifique adaptation de Before You Read Any Further…How To Find Your Other Half créé par Woody Aragon en 2011… Un grand moment de communion avec la salle entière autour d’Alain Chouquette…
La représentation est lancée dans les hautes sphères du mystère et l’illusionniste ne lâchera plus le lien qui l’unit désormais à tous jusqu’à la fin. Onze spectateurs vont participer activement aux prochaines expériences sur scène et dans la salle. Grâce à des gros ballons de plage numérotés qui vont se balader et s’arrêter au stop du magicien sur des volontaires choisis au hasard. Puis les six premiers numéros sont appelés sur scène et les spectateurs pour prendre place sur des chaises numérotées et disposées en arc de cercle autour d’une table à «expériences sensorielles». Une première personne est invitée à une expérience olfactive en choisissant une boîte fermée parmi six, suivant le forçage PATEO. L’objet que la dernière boîte renferme secrètement est deviné par le spectateur à l’odeur… Un fruit.
Un deuxième spectateur est invité à mélanger quatre liquides différents (café, lait, eau, jus de pomme) et boire une gorgée de celle qu’il choisit à l’abri du regard du magicien qui propose de révéler la boisson bue à distance par le goût. La première révélation échoue. Le spectateur refait son mélange et boit une nouvelle gorgée d’un autre liquide. Cette fois-ci, le magicien devine le bon liquide et demande ensuite au spectateur d’en boire deux l’un après l’autre et il les devine aussi…
Un troisième est invité à mélanger six cartes avec un numéro de 1 à 6 pour redistribuer les emplacements des volontaires. Une fois assis à leur nouvelle place, les six spectateurs retournent leurs chaises respectives et découvrent un nouveau numéro derrière. Une fois toutes les chaises retournées, le public peut lire une série de numéros qui signifie le cycle d’une année 365 /7/4/12 (jour de l’année/jours de la semaine/nombre de semaines dans un mois/nombre de mois dans l’année). La dernière chaise restante est retournée : on peut lire le prénom de l’illusionniste.
Les spectateurs n° 7 et n° 8 entourent le magicien qui propose une expérience de mentalisme avec un jeu de cartes. Après l’avoir mémorisé face en l’air, une première carte est choisie librement par un spectateur et replacée face en bas dans un jeu mélangé par ses soins. Le mentaliste étale les cartes face en l’air et retire celle choisie qui n’est plus à la même place qu’au début. Opération répétée et réussie avec cette fois, trois cartes choisies et replacées dans le jeu. Les personnes avec les ballons numérotés de 9 à 11 prennent place debout sur un côté de la salle. Alain Choquette demande à une d’elles de choisir entre les hommes et les femmes de la salle. Une autre personne désignée choisit les plus ou les moins de cinquante ans. Une troisième choisit entre les gens portant des lunettes ou non. Enfin, quelqu’un désigne d’«éliminer» une partie du public pour n’en garder qu’une moitié. Le spectateur avec le ballon n° 11 le lance sur le public de la moitié de salle. Le n° 10 et le n° 9 en font de même. La personne qui a le ballon avec la croix est LE CHOIX final.
L’illusionniste rappelle toutes les étapes de ce choix totalement libre et hasardeux. Il révèle alors une prédiction d’une enveloppe, visible début le début du spectacle en avant-scène dans une vitrine, qui s’avère être la photo de la personne choisie ! Une séquence très puissante et la révélation finale laisse le public bouche bée: apparemment libres, des gens n’ont aucune maîtrise dans leurs choix
Le magicien présente deux vases à pied disposés sur des guéridons. Le premier est rempli d’un foulard blanc et recouvert d’un foulard rouge. Du néant, Alain Choquette tire du sable et le fait couler de son poing dans le deuxième vase vide qui se remplit pendant que l’illusionniste dit un très beau texte sur le temps qui passe. Quelques grains de sable sont envoyés plusieurs fois en direction de l’autre vase recouvert et à la fin, le foulard blanc s’est transformé en sable qui est déversé dans l’autre vase.
Un coffre suspendu descend des cintres, isolé de tout et bien visible par l’ensemble du public. L’illusionniste demande quel est le couple avec le plus d’années de mariage et le fait monter sur scène. Ce couple d’un certain âge s’assoie sur un banc de parc public, près d’un réverbère pour planter le décor d’une première rencontre amoureuse. Sur un grand tableau noir, Alain Choquette va noter successivement toutes les réponses de la dame à ces questions sur les conditions et les circonstances de la rencontre et des habitudes du couple.
Une fois, le tableau rempli, il fait descendre le coffre et en retire une lettre contenue dans un tube en plastique transparent : celle-là même que le mari a écrit à sa femme avec les mêmes mots. Un banal tour de mentalisme réalisé par bon nombre de magiciens avec toujours la même trame semi-dramatique. Mais Alain Choquette a la grande intelligence de raconter une histoire bouleversante, celle d’un parcours où des époux se retournent sur leur passé et voient combien ils sont attachés l’un à l’autre. Ce soir-là, le mari à l’annonce de « sa lettre écrite» était très ému et a fait pleurer la salle entière. Un formidable tour de force! Alain Choquette nous touche en plein cœur, comme rarement un illusionniste sait et peut le faire !
Puis, un plateau surélevé est disposé au centre de la scène par des assistants. L’illusionniste insiste sur le fait que cette structure est bien isolée du sol. Pour en contrôler tous les angles, il demande à quatre spectateurs de se positionner autour du plateau devant, derrière et sur les côtés supérieurs. Puis il sort ensuite de la salle pour rejoindre le hall d’entrée, accompagné d’un caméraman qui le filme. Nous le voyons et nous l’entendons qui s’adresse à la salle et qui donne des instructions aux deux spectateurs sur la plateforme. Il les invite à soulever un grand rideau de velours noir et à le secouer. A ce moment précis, la vidéo s’arrête brutalement et le magicien apparait derrière le rideau sur la plateforme !
Personne n’a vu venir cette formidable transposition-éclair stupéfiante qui clôt la représentation en apothéose. L’illusionniste a construit son coup comme un orfèvre avec un maximum de subtilités qui rendent possible un tel effet. Pour dissiper toute utilisation d’un double, il a emprunté une écharpe à une spectatrice, avant de sortir sous prétexte qu’il fait froid dans le hall. Pour donner l’illusion de continuité par l’image, il insinue que le caméraman est novice et qu’il ne sait pas très bien se servir d’une caméra ! Il y a donc des coupures inopinées et rapides de l’image… Nous avons donc cette illusion de continuité, alors que le temps s’est déjà arrêté et Alain Choquette est déjà dans les coulisses. La téléportation, un vieux fantasme de l’humanité…
Un très grand moment du spectacle de cet artiste espiègle et charismatique. Construits sur une trame temporelle, tous ses numéros se répondent entre eux, avec des va-et-vient passionnants entre passé, présent et futur mais sans jamais tomber dans le stéréotype. Le but est atteint : se jouer de l’effet du temps en « conjuguant l’avenir, au présent». L’illusionniste a l’intelligence de scénariser la moindre de ses actions et de choisir un répertoire magique classique mais parfaitement adapté à son propos. La grande force d’Alain Choquette? Utiliser un matériel et des techniques simples et les transfigurer pour arriver à créer une forte émotion. Une grande leçon de dramaturgie… Et cette magie directe frappe juste et fort à chaque fois. Il sait mettre le public au centre de la représentation pour qu’il apporte sa synergie aux histoires intimes et universelles qu’il fait partager du début à la fin, et même dans toutes les mémoires que le temps façonne. «L’Histoire, disait déjà le grand historien grec Thucydide, est un éternel recommencement. »
Sébastien Bazou
Spectacle vu au Palace, 8 rue du Faubourg-Montmartre, Paris (IX ème) le 17 novembre. Jusqu’au 11 janvier. T. : 01 48 74 03 65.