Théâtre Ouvert à la Cité Véron : dernier focus…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Théâtre Ouvert à la Cité Véron : dernier focus…

On va laisser de côté la nostalgie pour cet endroit charmant et poétique, une trouvaille de Lucien et Micheline Attoun, ses premiers directeurs, où tout près dans des maisons voisines du Passage, planent les ailes de Jacques Prévert et de Boris Vian. La coupole qui vit naître et grandir Théâtre Ouvert/Centre National des Dramaturgies Contemporaines, va entrer dans la panoplie des divertissements du prospère Moulin Rouge, propriétaire des lieux. Mais on va soigner le souvenir, en particulier de ce dernier focus. Nous n’avons pas assisté à tout (voir Le Théâtre du Blog) et nous ne donnerons pas la liste des auteurs présents: les fidèles, les historiques,  les nouveaux… Donc, nous avons picoré.

De Noëlle Renaude dont l’écriture est liée de façon presque organique à Théâtre Ouvert, nous avons écouté un moment des Abattus, roman en trois parties : Les Vivants, Les Morts, Les Fantômes, à paraître aux éditions Rivages Noir en février prochain, lu par ses fidèles alliés: on ne va pas dire complices  (où est le crime, sinon d’écriture vivante?) Christophe Brault et Nicolas Maury. On a hâte de l’avoir en main, ce livre si parlé, si riche de traversées des corps et de la ville.  De Guillermo Pisani, Je suis perdu-Pièce N°1 a été lu par Caroline Arrouas, Boutaïna El Fekkak et Arthur Igual et nous nous a mis dans le même état d’impatience : comment peut-on faire rire avec les grandes questions de l’identité, de l’accueil des étrangers ? Comme ils le font… en étant incisifs et vrais, avec peu de mots mais justes.

Pas de regrets inutiles : les beaux textes qu’on n’a pas entendus, on les lira dans les livres et tapuscrits, édités par Théâtre Ouvert. Nous serons bien obligés d’attendre la publication et le retour sur scène d’Une Pierre de Frédéric Vossier. Où un homme écrit à son frère, sans recevoir jamais de réponse. Il lui parle de son désarroi de vieil orphelin à la mort de leur mère, de sa place difficile dans la maison où il a laissé s’imposer un intrus opaque et violent. Et il essaie de ne pas se plaindre mais la détresse passe entre ces lignes si retenues.

Les souvenirs remuent pas mal de brutalités, le monde est présent, de loin, de biais. L’Afrique, les Noirs, la guerre et les hurlements du grand-père, la grand-mère violée et mariée… « Maman détestait beaucoup de gens, j’étais un cancre, je te battais… » De lettre en lettre, la place des souvenirs d’enfance grandit, se précise puis recule, avec toujours le même ton d’excuses et l’expression de la même fragilité, de la même solitude, avec toujours cet appel à une réponse qui ne vient pas et à la douceur. « J’ai peur je perds l’équilibre parfois je crie dans les bois j’ai peur mais les arbres me rendent forts. » Mais la peur revient. Dormir, rêver peut-être ? «Ça m’a fait plaisir de t‘écrire», jusqu’à une fin tragique, suspendue.

Ce pourrait être aussi un roman par lettres. Stanislas Nordey les dit à sa juste place : ni auteur, ni destinataire de ces lettres -jetées comme un appel, une bouteille à la mer, on ne saura jamais si elles sont parvenues-  celle d’un homme qui prend connaissance du texte. Mais vraiment et sans crainte d’aller au cœur des mots et de ce qui les a incité à les dire. L’émotion ne vient pas d’un signe extérieur d’empathie mais située entre les lignes et dans son articulation ferme et soucieuse de respect.

L’acteur s’adresse au public mais en quelque sorte au-dessus de nous, à ces êtres fragiles, marginalisés qui ont inspiré l’écrivain. Voilà une forme rare de fraternité entre un auteur, un comédien, un public et le monde qui leur arrive par ce biais. Une Pierre est née d’une phrase du Journal de deuil de Roland Barthes (en date du 24 novembre 1978) : « le chagrin comme une pierre… (à mon cou, au fond de moi ». Eh ! Bien, voilà, cette pierre, Frédéric Vossier et Stanislas Nordey l’ont déposée avec tendresse devant nous. Cela fait des souvenirs qui résonnent longtemps et de l’attente. Alors, Théâtre Ouvert pourra déménager et emmènera avec lui ses auteurs et autrices (l’ordre alphabétique règle cet ordre des entrées…), ses textes, fantômes et boîtes à outils, c’est selon. Et sa riche mémoire.

Christine Friedel

Frédéric Vossier dirige la revue Parages du Théâtre National de Strasbourg. Ses textes sont publiés aux éditions Quartett  et aux Solitaires intempestifs  (six volumes dont : Stanislas Nordey,  Locataire de la Parole).  Et C’est ma maison, Rêve de jardin et Ciel ouvert à Gettysburg sont édités en tapuscrits  au Centre National des Dramaturgies Contemporaines.

 

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