Black Village de Lutz Bassmann, par l’ensemble L’Instant donné , mise en scène de Frédéric Sonntag, musique d’Aurélien Dumont
Black Village de Lutz Bassmann, avec l’ensemble L’Instant donné, musique d’Aurélien Dumont, mise en scène de Frédéric Sonntag,
Quelle est la nécessité de porter à la scène un texte littéraire? Nombre de projets se heurtent à l’absence d’oralité et la verticalité de l’œuvre reste alors «couchée» entre les pages… Un projet musical, conçu sur ces bases, risque de tomber dans l’illustration ou inversement, le texte n’étant plus alors qu’un prétexte. Mais ici, les musiciens, chacun avec sa personnalité, jouent une partition jamais redondante, écrin tout aussi mystérieux et sombre que l’histoire écrite par Lutz Bassmann (un des pseudonymes du romancier Antoine Volodine).
Il crée un univers qu’il veut non de pure science-fiction, mais qu’il qualifie de «post-exotisme» autrement dit « une littérature de l’ailleurs qui va vers l’ailleurs ». Un peu de maniérisme dans cette définition… Mais cela ouvre le jeu à toutes les libertés qu’on peut prendre avec le temps et l’espace. Ici, trois personnages cheminent dans l’obscurité, peut-être dans une nuit après la mort. Pour apprendre à marcher ensemble dans le noir, dans les bizarreries du temps qui passe -ou ne passe pas- sur une route monotone, quoi de mieux que la parole qu’ils offrent, chacun à son tour…
Contes fantastiques et cruels, histoires à dormir debout, missions criminelles : l’imagination tient les personnages éveillés. On ne saura pas dans quelle faille du temps ils marchent, ni vers quel horizon. Ni la part de vérité ou d’affabulation que chacun propose aux deux autres. Tassili, Goodmann et Myriam, trois âmes solitaires, entretiennent leur petit «théâtre de la cruauté» qui ne manque pas d’humour – noir.
La partition musicale fait léviter ces paroles entendues dans la nuit et crée un univers halluciné et cependant concret : les instrumentistes jouent à vue, en demi-cercle en fond de scène et expriment nombre d’émotions, comme autant de personnages invisibles peuplant cette nuit, particulièrement dans les solos. Mayu Sato-Brémaud, spécialiste des flûtes japonaises, Saori Furukawa, violon, Maxime Echardour aux percussions, Caroline Cren, piano, Nicolas Carpentier, violoncelle et Elsa Balas, alto, composent un monde mystérieux, parfois grinçant, parfois mélodique.
Le compositeur Aurélien Dumont hésite cependant entre l’affirmation d’une œuvre autonome et un délicat raccord au texte. Ce difficile équilibre surprend le spectateur. Mais il finit par se nouer un contrat invisible entre mots, sons et voix. Entre l’univers littéraire de Lutz Bassmann et la partition d’Aurélien Dumont, le fléau de la balance s’appelle Hélène Alexandridis. L’actrice s’empare du plateau avec autorité et précision. Grâce à elle, chaque narrateur est inscrit dans une série de fuites, effacements, réapparitions, orchestrés avec finesse par le metteur en scène Frédéric Sonntag. Bien calée dans les tempos, Hélène Alexandridis réussit à porter ces histoires invraisemblables et grâce à elle, à la direction d’acteurs et aux éclairages très subtils de Manuel Desfeux, ce moment musical et littéraire devient un objet scénique non conventionnel tout à fait séduisant.
Ce spectacle était donné en clôture du festival Mesure pour Mesure, au Nouveau Théâtre de Montreuil dirigé depuis 2011 par Mathieu Bauer, musicien, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie Sentimental Bourreau. Et dont la ligne artistique est orientée vers un décloisonnement entre théâtre, musique et autres disciplines…
Marie-Agnès Sevestre
En tournée :
Les 21 et 22 janvier, Grand Théâtre de Lorient (Morbihan).
Le 16 mai, Friche de la Belle de Mai, 108 rue de la Belle de Mai, Marseille (Bouches-du-Rhône).