Livres et revues
Pina Bausch de Rosita Boisseau et Laurent Philippe
Un beau livre, signé de la critique du Monde et du photographe de danse, consacré à l’œuvre de la célèbre chorégraphe (1940-2009). Pour parer au risque de monotonie inhérent à toute monographie, ont été intercalées des pages lyriques entre les descriptions des pièces. Pour le lecteur peu au fait du Tanztheater, Pina Bausch a été une figure importante de la danse contemporaine mais non la seule et il y aurait pu y avoir dans l’introduction plus d’informations précises pour la situer dans le contexte artistique à la fin des années soixante. On pense à l’influence du dramaturge et cinéaste Rainer Werner Fassbinder avec son «antiteater» et au rôle de «cousines» comme les chorégraphes Reinhild Hoffmann et Susan Linke.
Dans le chapitre Les bras d’abord, Rosita Boisseau rapproche le port de bras de la « danse d’expression » chez Pina Bausch de celle du ballet classique auquelle elle fut formée, y compris lors de son passage chez Kurt Jooss, le grand chorégraphe allemand. Elle cite son apparition funambulesque dans son Café Müller mais ne dit rien de sa remarquable interprétation en 1967 de la Vieille Femme dans La Table verte créée en 1932 par le même Kurt Voss. Mais on aurait aimé qu’elle parle du rôle de Thomas Erdos son agent en France, de Gérard Violette (1937-2014) le directeur du Théâtre de la Ville (1937-2014) qui l’accueillit si souvent, de Rudolf Rach, à la tête de l’Arche Editions qui publia ses textes…
On a l’impression que, pour une fois, le texte illustre l’image: les splendides photos en couleur de Laurent Philippe occupent les deux tiers du livre et animent l’ordre chronologique. Elles ont été prises vingt ans après la bataille, quand les créateurs d’origine avaient déjà imposé la marque de fabrique bauschienne mais valent bien les archives grisâtres des années soixante-dix ou de longs exposés. La scénographie était restée inchangée, les costumes, au départ chinés aux puces ou dans les boutiques de seconde main, avaient été confiés aux soins de la styliste attitrée, Marion Cito. Quant aux danseurs du Tanstheater, ils ont vieilli ou ne sont plus tout à fait les mêmes.
Mais chaque photo donne une idée fidèle des spectacles. Une scène de la dernière pièce de Pina Bausch, Como el musguito en la piedra, ay si, si, si…, une composition oblique aux teintes complémentaires, collage mi-écologiste, mi-surréaliste, avec la jeune danseuse Clémentine Deluy en robe du soir écarlate, portant un arbuste dans Rucksack, fait la couverture de l’ouvrage. Des dizaines d’autres photos suivent, en demi ou pleine, voire double page, tantôt en paysage, tantôt en portrait mais certaines accrochent plus le regard par leur côté « glamour » comme celle (2001) de Regina Advento dans Água ou celle du couple Julie Shanahan-Jan Minarik dans Kontakthof (1996).
D’autres, valorisent le costume de la même Julie Shanahan, en 2012, dans un tableau hyperréaliste tiré de 1980-Une pièce de Pina Bausch ou bien le duo spectaculaire formé par Julie-Anne Stanzak et Lutz Förster (1982) dans Nelken (Les Oeillets). Les textes sont d’une belle clarté et, comme les visuels, admirablement mis en page.
Nicolas Villodre
Le livre est paru aux Nouvelles éditions Scala, 192 pages, 180 photos. 35 €.
Danse et art contemporain de Rosita Boisseau avec Christian Gattinoni et Laurent Philippe, Nouvelles éditions Scala, collection Sentiers d’art, 2011.
Un tramway long comme la vie et autres récits de Vladimir Maramzine, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Bottom
Avec cet auteur russe vivant depuis longtemps en France mais écrivant en Russe, la littérature sort de ses gonds. Et il nous parle à l’oreille pour nous dire des vérités inavouables comme le monde, comme la vie. Léonide Heller, dans sa préface, y entend justement un écho des «skaz» (en français: contes oraux) comme ceux de Nicolaï Leskov (1831-1895) avec un jeu permanent sur le langage… Soit une oralité qui, seule, peut sauver la littérature des pièges de l’écriture, un déminage que seul Céline a su tirer de notre langue, dans un autre combat avec une rhétorique remontant chez nous à Rabelais. En russe, la partie était peut-être plus difficile à jouer a cause du poids de ce qu’on appelle «la littérature majeure», une pépinière du conformisme et du didactisme.
Dans ce combat perpétuel entre le vrai et le faux, il est parfois difficile d’y voir clair. Et si Vladimir Maramzine a réussi à faire vibrer des cordes, que tant d’autres et des meilleurs, n’ont jamais songé à toucher, c’est à cause de son magnifique isolement de sa superbe intransigeance. On peut certes déplorer, comme Léonide Heller, que cet écrivain n’ait pas sa place dans le panthéon littéraire mais on devrait plutôt s’en réjouir. Paradoxalement, il a trouvé quand il a émigré en France en 1974, l’éclosion de «mots louches» et il a fait de sa douleur d’exilé, la source d’une jubilation créatrice. Il nous rend des nourritures terrestres qui peuvent faire penser à celles d’André Gide à l’orée de notre modernité quand il se voulait «nu sur la terre vierge devant le ciel à repeupler». Et ce qui chez Gide était une pose, est devenu chez Vladimir Maramzine, la chair même de sa langue mais il n’a jamais songé à «repeupler le ciel». Il a trop bien connu ceux qui ont pris au mot cette ambition démiurgique…
Les meilleurs écrivains nous donnent souvent l’impression d’endosser un rôle; en cédant au vertige du succès, il leur faut continuer à donner leur pâture aux lecteurs et aux critiques. Quand il a pris pour thème l’émigration qui est un entre-deux et en quelque sorte, un non-être, Vladimir Maramzine aurait pu renoncer à signer ses œuvres, les abandonner à leur vie autonome d’épaves échouées sur les récifs du temps qui coule. Léonide Heller, dans la préface, relève à juste titre la veine autobiographique en demi-teinte de ses livres. Ce qui sous-tend des confidences ironiques ou désespérées mais leur auteur a su échapper à l’égotisme, non en se travestissant mais en s’immolant sur le mystère de l’existence qui affleure parce qu’il n’est jamais le thème d’une histoire, d’un portrait, d’un paysage… Il reste incognito, caché sous la trame de la narration.
Depuis le Nouveau Roman, nous sommes saturés par l’esprit critique qui démontre au lieu d’incarner. Le mystère de l’existence n’est pas soluble dans la communication. Seul «un gracieux barbare» pouvait sentir le toc de l’adhésion à une cause, à une idée, à des représentations qui nous font croire à des mirages, à des fantômes. En acceptant une situation qu’il n’avait pas voulue, loin de son pays, de sa langue, de son passé, il semble que Vladimir Maramzine ait trouvé la vraie vie dans un néant provisoire qui fait la nique aux idoles préfabriquées du sens de l’histoire.
Gérard Conio
Le livre est publié aux éditions Noir sur Blanc, Lausanne.
Jeu revue de théâtre n° 173
La revue québécoise offre un remarquable Dossier musique à une époque où en Europe comme au Canada, les formes hybrides se multiplient. Sous diverses formes comme le remarque Raymond Bertin, son rédacteur en chef, qu’il s’agisse de théâtre où intervient un solide accompagnement musical, d’opéra proprement dit, ou de spectacle où le chant, voire la danse interviennent et cela de plus en plus souvent…
Comme le remarque aussi Raymond Bertin et Gilbert Turp, il n’y pas que la musique mais souvent aussi tout un univers sonore.
Jouer en chantant ou chanter en jouant se demande Patrice Bonneau dans Derrière le personnage où il s’entretient avec quatre interprètes québécois qui ont tous affaires avec un théâtre que l’on pourrait appeler : musical, ce qui requiert une bivalence peu répandue en France. Il faut jouer à la fois un personnage et en même temps assumer une partition vocale… Et par ailleurs Kathleen Fortin constate que la chanson reste un acte individuel, comme presque un autre métier…
Une autre étude intéressante: Le Plaisir du collectif de Mario Cloutier qui analyse avec pertinence le travail des compositrices et compositeurs qui doivent collaborer avec l’ensemble de ceux qui réalisent un spectacle. « Humilité, générosité, complicité. Les musiciens de théâtre sont des caméléons scéniques qui s’adaptent aux besoins du spectacle dit avec juste raison Mario Cloutier. »
Et il y a un article de Marie Labrecque consacré avec As Comadres un spectacle musical brésilien d’après la célèbre pièce Belles-Sœurs qu’on avait pu voir il y a une dizaine d’années au Théâtre du Rond-Point à Paris. Metteuse en scène: la grande Ariane Mnouchkine qui a suivi l’adaptation musicale de René Richard Cyr. Et le spectacle a tenu deux mois à Rio de janeiro et cinq semaines à Sao Paulo.
On ne peut tout détailler de ce riche numéro mais signalons le papier d’Hélène Beauchamp sur le Théâtre musical au Canada en particulier à Toronto et Charlottetown, un théâtre où selon le metteur en scène Robert Mac Queen, « la musique, le texte, les chansons et la danse jouent un rôle intégral et intégré. » Et Il semble qu’au Canada, en dehors de la comédie musicale et de l’opéra, un théâtre musical avec de solides scénarios et servi des équipes pluridisciplinaires très rodées trouve un public de plus en plus important.
L’iconographie de ce dossier est très soignée ce qui permet d’avoir déjà une première approche de spectacles que nous avons malheureusement peu d’espoir de voir chez nous…
Philippe du Vignal
Jeu est en vente dans les librairies théâtrales en France ou par correspondance.
Chroniques d’un indocile (1945-81) d’Yves Lorelle
L’auteur a touché à tout ou presque: il a été journaliste, mime, photographe et pédagogue. En cinquante billets et le récit de quarante rencontres avec des gens remarquables, de Paul-Émile Victor à Raymond Depardon, en passant par Le Corbusier, Boris Vian, Peter Brook, Jean-Luc Godard, Katherine Dunham, Man Ray, Pierre Schaeffer, Jean Rouch, Marc’O, Marcel Marceau, etc. il retrace le portrait de son époque et fait aussi le point, au soir de sa vie.
Des chroniques indociles par leur forme comme par leur contenu. Elles oscillent, nous dit l’auteur, «entre les planches d’un vaisseau nommé théâtre et le marbre des journaux prêts à imprimer. » Au temps où les reporters devaient se mettre en quête d’une cabine téléphonique à onze heures du soir, pour dicter leur papier composé oralement comme un solo de jazz. Des occasions ratées comme ce fut le cas avec une interview de Boris Vian dont Yves Lorelle n’obtint que des informations d’ordre technique sur la fabrication des disques vinyle et l’avenir du microsillon. Au lieu d’échanges plus profonds sur l’art ou la littérature mais l’auteur de Je voudrais pas crever -qui n’allait pourtant pas tarder à le faire!- officiait alors comme directeur artistique chez Philips…
Cette interview, jamais publiée, est l’occasion pour l’auteur d’évoquer le Saint-Germain-des-Prés d’après-guerre et les lieux qu’il fréquenta : L’Écluse, La Rose rouge, La Fontaine des Quat’ saisons, Chez Agnès Capri, cabaret-théâtre où il fait la connaissance des membres du fameux Groupe Octobre. Il se souvient des numéros des marionnettes d’Yves Joly et d’Henri Cordreaux, des chansons des Quatre Barbus et des spectacles de la compagnie Grenier-Hussenot.
Dans un des encadrés rythmant les chroniques, l’auteur raconte les débuts des Comédiens-mimes, une compagnie fondée avec son épouse Nina Vidrovitch, qui fut officiellement invitée à Moscou. Quelques trous de mémoire émaillent le récit. Marcel Azzola est présenté comme le guitariste d’Yves Montand… au lieu d’Henri Crolla. Et le premier mari de Brigitte Bardot est Roger Vadim et non Jacques Charrier, l’électrophone Teppaz est rebaptisé Teepaz et Jean Genet voit, comme souvent, son nom coiffé d’un accent circonflexe …
Mais le livre très vivant et bourré d’anecdotes, est complété par un cahier de photos en noir et blanc de l’auteur, les unes influencées par Pierre Verger (le crépuscule et les portraits d’enfants captés en Guyane à différentes époques, le tout jeune Chico Buarque), les autres par Caron et Depardon (les violences de la rue Gay-Lussac en mai 68 ou les manifestations anti-Giscard au milieu des années soixante-dix). Et on apprend, au détour d’une page, qu’Yves Lorelle, devenu l’attaché de presse du metteur en scène Marc’O et de Maurice Girodias, inventa le concept, au sens publicitaire du terme, de « café-théâtre »…
Nicolas Villodre
Le livre est publié aux éditions Villeneuve.
Vacances à Tataouine, onze historiettes musicales livret et dessins d’Agathe Lemaire Thalazac, musique de Paolo Furlani
Ce CD veut être en une heure et quelque une sorte d »introduction à l’opéra pour vilains garnements ». Ces Enfants de la Cité des songes, cela se passe dans le Manoir des sources, avec des personnages assez loufoques comme Narcisse le jardinier au pied bot, le chat moucheté à pattes de tigre Bachaga, Cyclamen, la souris améthyste, Jojo le crapaud brise-copeaux, Satyros, Bathazar le chameau sarrazin, la reine de Saba en chocolat… On se perd un peu dans cette histoire compliquée en onze petits chapitres, heureusement très bien dite par le récitant Pierre Hancisse et mieux vaut oublier les moments où des enfants se mettent à ânonner leur texte de façon pitoyable: là on est en plein amateurisme et cela plombe les dialogues!
Cela dit, il y a une bonne interprétation au piano de Delphine Armand et des chanteurs solides comme Maxime Saïu, baryton basse, Jean-Paul Drudi-Fourès baryton léger, Jeanne Lefort soprano. Et il y a par moments les belles voix du chœur préparatoire de la maîtrise de Notre-Dame. Mais bon, le compte n’y est pas tout à fait…
Ph. du V.
Chanteloup musique. 15 €.