Youkizoum mise en scène de Madeleine Raykov

Youkizoum mise en scène de Madeleine Raykov (spectacle jeune tout public)

FD0E76A4-6B10-42C2-A467-A16F6AC29007Autour d’un piano blanc surdimensionné, ils sont cinq acteurs à chanter, danser et  jouer mais aussi à s’amuser des petits et grands bonheurs, de ceux qui se sont enfuis, de ceux qui ne sont pas partis, de ceux dont on a pu rêver… « Pourquoi, dit la metteuse en scène genevoise, partage-t-on plus facilement ses petits malheurs que ses petits bonheurs ? Pourquoi écoute-t-on plus volontiers les uns que les autres ? Les amis, les gens, la télévision, le journal: pourquoi cette impression que tous n’ont que le malheur à la bouche? Qu’est le plus contagieux, le malheur ou le bonheur ? Et le plus intéressant ? Peut-on rire du bonheur des autres, comme on rit de leur malheur ? (…) Et si le bonheur (…)  naissait d’une chanson ? Et si, à l’école, on apprenait aux enfants à reconnaître ce qui les rend heureux ? »

Ici, le bonheur pour le public, c’est des chansons pop, des musiques électro et classiques. En-dessous du très grand piano,  quatre autres du grand au modèle miniature. Une actrice monte s’installer sur les touches du grand, une autre sur le tabouret, les pieds en l’air. Puis tout le monde danse en rythme, et chante: «Cela ronfle, mais ça se révolte. On s’habille, on se déshabille, il faut lâcher prise. » 

Les artistes galopent autour du grand piano et il y a un coup de fil de la police. Puis une grosse actrice tente d’entraîner un homme. « Pour moi, le bonheur est de chanter en chœur! » Ils frappent tous dans leurs mains en dansant ensemble. Madeleine Raykov a imaginé et mis en scène avec efficacité sept séquences insolites et très rythmées qui déchaînent l’enthousiasme du jeune public.

Edith Rappoport

Théâtre 71, 3 place du 11 novembre, Malakoff (Hauts-de Seine), jusqu’au 20 décembre. T. : 01 55 48 91 00.


Archive pour décembre, 2019

Xenos, par l’Akram Khan Company

Xenos, par l’Akram Khan Company

f-0af-5d2f223425075Le danseur présente son dernier solo, accompagné de cinq musiciens-chanteurs, (contrebasse, percussions, saxophone, violon, et konnacol, une technique de percussion vocale des consonnes en Inde du Sud).  A l’heure où le gouvernement français met en cause le départ à la retraite à quarante-deux ans des danseurs de l’Opéra de Paris, Akram Khan -il en a quarante-cinq- a voulu montrer qu’il était encore capable de danser. La pièce a été créée au festival Montpellier-Danse 2018 (voir Le Théâtre du Blog), une commande de l’organisation 14-18 Now pour le centenaire de la première guerre mondiale.  Rendant  hommage au million quatre cents mille soldats indiens, les Sepoys, venus se battre en Europe auprès de l’armée britannique.

Livrant une bataille contre son corps, Akram Khan incarne ici un jeune danseur enrôlé dans cette guerre. Au pied d’un plan incliné qui peut figurer une tranchée, emprisonné par des cordes (des câbles reliaient les soldats entre eux), il est couvert de terre essayant de lutter contre un éboulement. Nous retrouvons tout ce qui caractérise son style, du kathak indien, aux danses contemporaines, entre autres, le hip hop. Après avoir un des interprètes d’Anne Teresa De Keersmaeker, il a nourri ses chorégraphies de différentes rencontres : entre autres, Sidi Larbi Cherkaoui, Sylvie Guillem, Israel Galvan. Avec des rotations sur lui-même impressionnantes. Sa manière de déployer ses mains, de frapper le sol avec le pied en font un danseur exceptionnel…

De très beaux moments ponctuent ces soixante-dix minutes. Dans une scénographie proche de celles conçues pour les films de Federico Fellini, avec une balançoire, une guirlande de lumière, un tapis enroulé, des chaises de bistrot… Un musicien et un chanteur interprètent des musiques traditionnelles, et au moment où le soldat s’engage pour la guerre, tous ces accessoires, attachés à des cordes, glissent et disparaissent derrière la tranchée qui va se recouvrir peu à peu de terre.

Vers la fin, le danseur  bouge de façon animale sur un extrait du Requiem en D mineur K.626 de Wolfgang Amadeus Mozart, un moment d’intense beauté. Akram Khan se retrouve souvent ici dans un état de stupeur, totalement impliqué à la fois sur les plans physique et psychique: «Pour entrer dans cet état du corps très particulier, dit-il, j’ai travaillé sur le “choc de l’obus“. Un trouble qui a atteint les soldats dans les tranchées mais dont personne à l’époque ne devait parler. Xenos : étranger, en grec. Avec cette création, le danseur-chorégraphe réussit à donner corps et voix à ces Indiens oubliés de l’Histoire.
Au début de la pièce, nous entendons au lointain : «Ce n’est pas la guerre, c’est la fin du monde». Une prophétie dans l’esprit de son Outwitting the Devil présenté au dernier festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog). Akram Khan, avec ces spectacles très réussis, aura marqué fortement cette saison de son empreinte.

 Jean Couturier

Jusqu’au 22 décembre, dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville hors-les-murs,   Grande Halle de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès (Paris XIX ème). T. 01 40 03 75.

Théâtre Ouvert à la Cité Véron : dernier focus…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Théâtre Ouvert à la Cité Véron : dernier focus…

On va laisser de côté la nostalgie pour cet endroit charmant et poétique, une trouvaille de Lucien et Micheline Attoun, ses premiers directeurs, où tout près dans des maisons voisines du Passage, planent les ailes de Jacques Prévert et de Boris Vian. La coupole qui vit naître et grandir Théâtre Ouvert/Centre National des Dramaturgies Contemporaines, va entrer dans la panoplie des divertissements du prospère Moulin Rouge, propriétaire des lieux. Mais on va soigner le souvenir, en particulier de ce dernier focus. Nous n’avons pas assisté à tout (voir Le Théâtre du Blog) et nous ne donnerons pas la liste des auteurs présents: les fidèles, les historiques,  les nouveaux… Donc, nous avons picoré.

De Noëlle Renaude dont l’écriture est liée de façon presque organique à Théâtre Ouvert, nous avons écouté un moment des Abattus, roman en trois parties : Les Vivants, Les Morts, Les Fantômes, à paraître aux éditions Rivages Noir en février prochain, lu par ses fidèles alliés: on ne va pas dire complices  (où est le crime, sinon d’écriture vivante?) Christophe Brault et Nicolas Maury. On a hâte de l’avoir en main, ce livre si parlé, si riche de traversées des corps et de la ville.  De Guillermo Pisani, Je suis perdu-Pièce N°1 a été lu par Caroline Arrouas, Boutaïna El Fekkak et Arthur Igual et nous nous a mis dans le même état d’impatience : comment peut-on faire rire avec les grandes questions de l’identité, de l’accueil des étrangers ? Comme ils le font… en étant incisifs et vrais, avec peu de mots mais justes.

Pas de regrets inutiles : les beaux textes qu’on n’a pas entendus, on les lira dans les livres et tapuscrits, édités par Théâtre Ouvert. Nous serons bien obligés d’attendre la publication et le retour sur scène d’Une Pierre de Frédéric Vossier. Où un homme écrit à son frère, sans recevoir jamais de réponse. Il lui parle de son désarroi de vieil orphelin à la mort de leur mère, de sa place difficile dans la maison où il a laissé s’imposer un intrus opaque et violent. Et il essaie de ne pas se plaindre mais la détresse passe entre ces lignes si retenues.

Les souvenirs remuent pas mal de brutalités, le monde est présent, de loin, de biais. L’Afrique, les Noirs, la guerre et les hurlements du grand-père, la grand-mère violée et mariée… « Maman détestait beaucoup de gens, j’étais un cancre, je te battais… » De lettre en lettre, la place des souvenirs d’enfance grandit, se précise puis recule, avec toujours le même ton d’excuses et l’expression de la même fragilité, de la même solitude, avec toujours cet appel à une réponse qui ne vient pas et à la douceur. « J’ai peur je perds l’équilibre parfois je crie dans les bois j’ai peur mais les arbres me rendent forts. » Mais la peur revient. Dormir, rêver peut-être ? «Ça m’a fait plaisir de t‘écrire», jusqu’à une fin tragique, suspendue.

Ce pourrait être aussi un roman par lettres. Stanislas Nordey les dit à sa juste place : ni auteur, ni destinataire de ces lettres -jetées comme un appel, une bouteille à la mer, on ne saura jamais si elles sont parvenues-  celle d’un homme qui prend connaissance du texte. Mais vraiment et sans crainte d’aller au cœur des mots et de ce qui les a incité à les dire. L’émotion ne vient pas d’un signe extérieur d’empathie mais située entre les lignes et dans son articulation ferme et soucieuse de respect.

L’acteur s’adresse au public mais en quelque sorte au-dessus de nous, à ces êtres fragiles, marginalisés qui ont inspiré l’écrivain. Voilà une forme rare de fraternité entre un auteur, un comédien, un public et le monde qui leur arrive par ce biais. Une Pierre est née d’une phrase du Journal de deuil de Roland Barthes (en date du 24 novembre 1978) : « le chagrin comme une pierre… (à mon cou, au fond de moi ». Eh ! Bien, voilà, cette pierre, Frédéric Vossier et Stanislas Nordey l’ont déposée avec tendresse devant nous. Cela fait des souvenirs qui résonnent longtemps et de l’attente. Alors, Théâtre Ouvert pourra déménager et emmènera avec lui ses auteurs et autrices (l’ordre alphabétique règle cet ordre des entrées…), ses textes, fantômes et boîtes à outils, c’est selon. Et sa riche mémoire.

Christine Friedel

Frédéric Vossier dirige la revue Parages du Théâtre National de Strasbourg. Ses textes sont publiés aux éditions Quartett  et aux Solitaires intempestifs  (six volumes dont : Stanislas Nordey,  Locataire de la Parole).  Et C’est ma maison, Rêve de jardin et Ciel ouvert à Gettysburg sont édités en tapuscrits  au Centre National des Dramaturgies Contemporaines.

Livres et revues

Livres et revues

Pina Bausch de Rosita Boisseau et Laurent Philippe

Pina-BauschUn beau livre, signé de la  critique du Monde et du photographe de danse, consacré à l’œuvre de la célèbre chorégraphe (1940-2009). Pour parer au risque de monotonie inhérent à toute monographie, ont été intercalées des pages lyriques entre les descriptions des pièces. Pour le lecteur peu au fait du Tanztheater, Pina Bausch a été une figure importante de la danse contemporaine mais non la seule et il y aurait pu y avoir dans l’introduction plus d’informations précises pour la situer dans le contexte artistique à la fin des années soixante. On pense à l’influence du dramaturge et cinéaste Rainer Werner Fassbinder avec son «antiteater» et au rôle de «cousines» comme les chorégraphes Reinhild Hoffmann et Susan Linke.

Dans le chapitre Les bras d’abord, Rosita Boisseau rapproche le port de bras de la « danse d’expression » chez Pina Bausch de celle du ballet classique auquelle elle fut formée, y compris lors de son passage chez Kurt Jooss, le grand chorégraphe allemand. Elle cite son apparition funambulesque dans son Café Müller mais ne dit rien de sa remarquable interprétation en 1967 de la Vieille Femme dans La Table verte créée en 1932 par le même Kurt Voss. Mais on aurait aimé qu’elle parle du rôle de Thomas Erdos son agent en France, de Gérard Violette (1937-2014) le directeur du Théâtre de la Ville (1937-2014) qui l’accueillit si souvent, de Rudolf Rach, à la tête de l’Arche Editions qui publia ses textes…

 On a l’impression que, pour une fois, le texte illustre l’image: les splendides photos en couleur de Laurent Philippe occupent les deux tiers du livre et animent l’ordre chronologique. Elles ont été prises vingt ans après la bataille, quand les créateurs d’origine avaient déjà imposé la marque de fabrique bauschienne mais valent bien les archives grisâtres des années soixante-dix ou de longs  exposés. La scénographie était restée inchangée, les costumes, au départ chinés aux puces ou dans les boutiques de seconde main, avaient été confiés aux soins de la styliste attitrée, Marion Cito. Quant aux  danseurs du Tanstheater, ils ont vieilli ou ne sont plus tout à fait les mêmes.

Mais chaque photo donne une idée fidèle des spectacles. Une scène de la dernière pièce de Pina Bausch, Como el musguito en la piedra, ay si, si, si…, une composition oblique aux teintes complémentaires, collage mi-écologiste, mi-surréaliste,  avec la jeune danseuse Clémentine Deluy  en robe du soir écarlate, portant un arbuste dans Rucksack, fait la couverture de l’ouvrage. Des dizaines d’autres photos suivent, en demi ou pleine, voire double page, tantôt en paysage, tantôt en portrait  mais certaines accrochent plus le regard par leur  côté « glamour » comme celle (2001) de Regina Advento dans Água ou celle du couple Julie Shanahan-Jan Minarik dans Kontakthof (1996).

D’autres, valorisent le costume de la même Julie Shanahan, en 2012, dans un tableau hyperréaliste tiré de 1980-Une pièce de Pina Bausch ou bien le duo spectaculaire formé par Julie-Anne Stanzak et Lutz Förster (1982) dans Nelken (Les Oeillets). Les textes sont d’une belle clarté et, comme les visuels, admirablement mis en page.

 Nicolas Villodre

Le livre est paru aux Nouvelles éditions Scala, 192 pages, 180 photos. 35 €.

Danse et art contemporain de Rosita Boisseau avec Christian Gattinoni et Laurent Philippe, Nouvelles éditions Scala, collection Sentiers d’art, 2011.

 

Un  tramway long comme la vie et autres récits de Vladimir Maramzine, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Bottom

Un-tramway-long-comme-la-vieAvec cet auteur russe vivant depuis longtemps en France mais écrivant en Russe, la littérature sort de ses gonds. Et il nous parle à l’oreille pour nous dire des vérités inavouables comme le monde, comme la vie. Léonide Heller, dans sa préface, y entend justement un écho des «skaz» (en français: contes oraux) comme ceux  de Nicolaï Leskov (1831-1895)  avec  un jeu permanent sur le langageSoit une oralité qui, seule, peut sauver la littérature des pièges de l’écriture, un déminage que seul Céline a su tirer de notre langue, dans un autre combat avec une rhétorique remontant chez nous à Rabelais. En russe, la partie était peut-être plus difficile à jouer a cause du poids de ce qu’on appelle «la littérature majeure», une pépinière du conformisme et du didactisme.

Dans ce combat perpétuel entre le vrai et le faux, il est parfois difficile d’y voir clair. Et si Vladimir Maramzine a réussi à faire vibrer des cordes, que tant d’autres et des meilleurs, n’ont jamais songé à  toucher, c’est à cause de son magnifique isolement de sa superbe intransigeance. On peut certes déplorer, comme Léonide Heller, que cet écrivain n’ait pas sa place dans le panthéon littéraire mais on devrait plutôt s’en réjouir. Paradoxalement, il a trouvé quand il a émigré en France en 1974, l’éclosion de «mots louches» et il a fait de sa douleur d’exilé, la source d’une jubilation créatrice. Il nous rend des nourritures terrestres qui peuvent faire penser à celles d’André Gide à l’orée de notre modernité quand il se voulait «nu sur la terre vierge devant le ciel à repeupler». Et ce qui chez Gide était une pose, est devenu chez Vladimir Maramzine, la chair même de sa langue mais il n’a jamais songé à «repeupler le ciel». Il a trop bien connu ceux qui ont pris au mot cette ambition démiurgique…

Les meilleurs écrivains nous donnent souvent l’impression d’endosser un rôle; en cédant au vertige du succès, il leur faut continuer à donner leur pâture aux lecteurs et aux critiques.  Quand il a pris pour  thème l’émigration qui est un entre-deux et en quelque sorte, un non-être, Vladimir Maramzine aurait pu renoncer à signer ses œuvres, les abandonner à leur vie autonome d’épaves échouées sur les récifs du temps qui coule. Léonide Heller, dans la préface, relève à juste titre la veine autobiographique en demi-teinte de ses livres. Ce qui sous-tend des confidences ironiques ou désespérées mais leur auteur a su échapper à l’égotisme, non en se travestissant mais en s’immolant sur le mystère de l’existence qui affleure parce qu’il n’est jamais le  thème d’une histoire, d’un portrait, d’un paysage… Il reste incognito, caché sous la trame de la narration.

Depuis le Nouveau Roman, nous sommes saturés par l’esprit critique qui démontre au lieu d’incarner. Le mystère de l’existence n’est pas soluble dans la communication. Seul «un gracieux barbare» pouvait sentir le toc de l’adhésion à une cause, à une idée, à des représentations qui nous font croire à des mirages, à des fantômes. En acceptant une situation qu’il n’avait pas voulue,  loin de son pays, de sa langue, de son passé, il semble que Vladimir Maramzine ait trouvé la vraie vie dans un néant provisoire qui fait la nique aux idoles préfabriquées du sens de l’histoire.

Gérard Conio

Le livre est publié aux éditions Noir sur Blanc, Lausanne. 

Jeu revue de théâtre n° 173

jeu172_c1print72dpi-235x300La revue québécoise offre un remarquable Dossier musique à une époque où en Europe comme au Canada, les formes hybrides se multiplient. Sous diverses formes comme le remarque Raymond Bertin, son rédacteur en chef, qu’il s’agisse de théâtre où intervient un solide accompagnement musical, d’opéra proprement dit, ou de  spectacle où le chant, voire la danse interviennent et cela de plus en plus souvent…
Comme le remarque aussi Raymond Bertin et Gilbert Turp, il n’y pas que la musique mais souvent aussi tout un univers sonore.
Jouer en chantant ou chanter en jouant se demande Patrice Bonneau dans Derrière le personnage où il  s’entretient avec quatre interprètes québécois  qui ont tous affaires avec un théâtre que l’on pourrait appeler : musical, ce qui requiert une bivalence peu répandue en France.  Il faut jouer à la fois un personnage et en même temps assumer une partition vocale… Et par ailleurs Kathleen Fortin constate que la chanson reste un acte individuel, comme presque un autre métier…

Une autre étude intéressante: Le Plaisir du collectif de Mario Cloutier qui analyse avec pertinence le travail des compositrices et compositeurs  qui doivent collaborer avec l’ensemble de ceux qui réalisent un spectacle. « Humilité, générosité, complicité. Les musiciens de théâtre sont des caméléons scéniques qui s’adaptent aux besoins du spectacle dit avec juste raison Mario Cloutier. »
Et il y a un article de Marie Labrecque consacré avec As Comadres un spectacle musical brésilien d’après la célèbre pièce Belles-Sœurs qu’on avait pu voir il  y a une dizaine d’années au Théâtre du Rond-Point à Paris. Metteuse en scène: la grande Ariane Mnouchkine qui a suivi  l’adaptation musicale de René Richard Cyr.  Et le spectacle a tenu deux mois à Rio de janeiro et cinq semaines à Sao Paulo.

On ne peut tout détailler de ce riche numéro mais signalons le papier d’Hélène Beauchamp sur le Théâtre musical au Canada en particulier à Toronto et Charlottetown, un théâtre où selon le metteur en scène Robert Mac Queen, « la musique, le texte, les chansons et la danse jouent un rôle intégral et intégré. » Et Il semble  qu’au Canada, en dehors de la comédie musicale et de l’opéra, un théâtre musical avec de solides scénarios et servi des équipes pluridisciplinaires très rodées trouve un public de plus en plus important.
L’iconographie de ce dossier est  très soignée ce qui permet d’avoir déjà une première approche de spectacles que nous avons malheureusement peu d’espoir de voir chez nous…

Philippe du Vignal

Jeu est en vente dans les librairies théâtrales en France ou par correspondance.

 

Chroniques d’un indocile (1945-81) d’Yves Lorelle

 Lorelle_Couv2L’auteur a touché à tout ou presque: il a été journaliste, mime, photographe et pédagogue. En cinquante billets et le récit de quarante rencontres avec des gens remarquables, de Paul-Émile Victor à Raymond Depardon, en passant par Le Corbusier, Boris Vian, Peter Brook, Jean-Luc Godard, Katherine Dunham, Man Ray, Pierre Schaeffer, Jean Rouch, Marc’O, Marcel Marceau, etc. il retrace le portrait de son époque et fait aussi le point, au soir de sa vie.

Des chroniques indociles par leur forme comme par leur contenu. Elles oscillent, nous dit l’auteur, «entre les planches d’un vaisseau nommé théâtre et le marbre des journaux prêts à imprimer. » Au temps où les reporters devaient se mettre en quête d’une cabine téléphonique à onze heures du soir, pour dicter leur papier composé oralement comme un solo de jazz. Des occasions ratées comme ce fut le cas avec une interview de Boris Vian dont Yves Lorelle n’obtint que des informations d’ordre technique sur la fabrication des disques vinyle et l’avenir du microsillon. Au lieu d’échanges plus profonds sur l’art ou la littérature mais l’auteur de Je voudrais pas crever -qui n’allait pourtant pas tarder à le faire!- officiait alors comme directeur artistique chez Philips…

Cette interview, jamais publiée, est l’occasion pour l’auteur d’évoquer le Saint-Germain-des-Prés d’après-guerre et les lieux qu’il fréquenta : L’Écluse, La Rose rouge, La Fontaine des Quat’ saisons, Chez Agnès Capri, cabaret-théâtre où il fait la connaissance des membres du fameux Groupe Octobre. Il se souvient des numéros des marionnettes d’Yves Joly et d’Henri Cordreaux, des chansons des Quatre Barbus et des spectacles de la compagnie Grenier-Hussenot.

Dans un des encadrés rythmant les chroniques, l’auteur raconte les débuts des Comédiens-mimes, une compagnie fondée avec son épouse Nina Vidrovitch, qui fut officiellement invitée à Moscou. Quelques trous de mémoire émaillent le récit. Marcel Azzola est présenté comme le guitariste d’Yves Montand…  au lieu d’Henri Crolla. Et le premier mari de Brigitte Bardot est Roger Vadim et non Jacques Charrier, l’électrophone Teppaz est rebaptisé Teepaz et Jean Genet voit, comme souvent, son nom coiffé d’un accent circonflexe …

Mais le livre très vivant et bourré d’anecdotes, est complété par un cahier de photos en noir et blanc de l’auteur, les unes influencées par Pierre Verger (le crépuscule et les portraits d’enfants captés en Guyane à différentes époques, le tout jeune Chico Buarque), les autres par Caron et Depardon (les violences de la rue Gay-Lussac en mai 68 ou les manifestations anti-Giscard au milieu des années soixante-dix). Et on apprend, au détour d’une page, qu’Yves Lorelle, devenu l’attaché de presse du metteur en scène Marc’O et de Maurice Girodias, inventa le concept, au sens publicitaire du terme, de « café-théâtre »…

Nicolas Villodre

Le livre est publié aux éditions Villeneuve.

Vacances à Tataouine, onze historiettes musicales livret et dessins d’Agathe Lemaire Thalazac, musique de Paolo Furlani

Vacances-a-tataouine-11-historiettes-musicalesCe CD  veut être en une heure et quelque une sorte d »introduction à l’opéra  pour vilains garnements ». Ces Enfants de la Cité des songes, cela se passe dans le Manoir des sources,  avec des personnages assez loufoques comme Narcisse le jardinier au pied bot, le chat moucheté à pattes de tigre Bachaga, Cyclamen, la souris améthyste, Jojo le crapaud brise-copeaux, Satyros, Bathazar le chameau sarrazin, la reine de Saba en chocolat… On se perd un peu dans cette histoire compliquée en onze petits chapitres, heureusement  très bien dite par le récitant Pierre Hancisse et mieux vaut oublier les moments où des enfants se mettent à ânonner leur texte de façon pitoyable: là on est en plein amateurisme et cela plombe les dialogues!
Cela dit, il y a une bonne interprétation au piano de Delphine Armand et des  chanteurs solides comme Maxime Saïu, baryton basse, Jean-Paul Drudi-Fourès baryton léger, Jeanne Lefort soprano. Et il y a par moments les belles voix du chœur préparatoire de la maîtrise de Notre-Dame. Mais bon, le compte n’y est pas tout à fait…

Ph. du V.

Chanteloup musique. 15 €.

 

 

Martien Martienne de Ray Bradbury, mise en scène de Laurent Fréchuret, composition musicale de Moritz Eggert

Martien Martienne de Ray Bradbury, mise en scène de Laurent Fréchuret, composition musicale de Moritz Eggert

Chroniques martiennes  est un recueil de nouvelles de science-fiction  du célèbre auteur américain (1920-2012)  qui a été publié en France  il y a soixante cinq ans.  On est sur la planète Mars en 2030. « Il y avait tout juste vingt ans que Monsieur et Madame K vivaient au bord de la mer Morte, dans la même maison qui avait vu vivre leurs ancêtres… Mais ils n’étaient plus heureux». Ylla, une Martienne, un peu Madame Bovary, s’ennuie avec son Martien de mari. Au fil de ses rêves, elle entre en contact télépathique avec le premier astronaute qui s’approche de la planète Mars et se met à fredonner des chansons inconnues.  Monsieur K est alors jaloux de sa femme qui rêve d’aller ailleurs pour vivre une autre vie et qui reste debout devant sa maison en attente d’autre chose. Soit deux mondes qui n’arrivent pas à se rencontrer…

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La musique des vibraphones, marimbas, xylophones du Groupe des Percussions Clavier de Lyon, sous la coordination de Gilles Dumoulin, orchestrent cet impossible rêve de cette Martienne,  avec un espace vidéo interactif, de fascinantes projections de lumières qui créent un monde singulier où évoluent les cinq musiciens.  Et l’auteur a su rendre ces  Martiens proches de nous: «Cette nuit, j’ai rêvé d’un univers très grand, un géant à la peau blanche qui descendra du ciel! » Avec la peur de la colonisation par un envahisseur, la fermeture est dangereuse. «Si on allait voir un spectacle, ça te changerait les idées ? J’essaye de me rappeler, je suis triste sans savoir pourquoi… ».

Les nouvelles de Ray Bradbury avaient captivé notre jeunesse et l’histoire de ce voyage étrange grâce à une efficace mise en scène arrive encore  à  nous séduire. A la fin du spectacle, un débat s’engage entre les acteurs et un public de jeunes enfants…

Edith Rappoport

Spectacle vu au Théâtre de Châtillon (Hauts-de-Seine), le 17 décembre.

L’Absolu conçu et interprété par Boris Gibé

L’Absolu conçu et interprété par Boris Gibé

©Jérôme Vila

©Jérôme Vila

Créé à Auch l’an passé, le spectacle sera repris en janvier: «Comme dans un théâtre anatomique, j’avais envie que ce spectacle soit vu du dessus, en circulaire, pour que le public se retrouve dans une réalité supérieure au sort de l’homme mis en scène. » Boris Gibé (voir Le Théâtre du Blog) entraîne le public dans l’espace vertigineux d’un silo cylindrique en tôle (neuf mètres de diamètre et douze mètres de hauteur) comportant un escalier à double révolution qui s’enroule autour de la piste. Les spectateurs sont assis sur une seule rangée de tabourets collés aux parois, en surplomb.

Tout là-haut, un corps s’agite dans la transparence aqueuse du plafond avant de chuter brutalement pour disparaître au fond du puits. Par terre, l’acrobate s’arrache au sol tourbeux dans un jeu de miroirs aux lumières oniriques. Au sommet d’un agrès aérien, il est parfois menacé par des matériaux tombant des hauteurs. Allusion à la condition de l’homme aux prises avec des éléments hostiles: air, eau, feu… Tel Sisyphe, dans une lutte absurde et toujours recommencée.

Jouant sur le haut et le bas, avec des illusions d’optique et un travail poétique sur les matières, Boris Gibé nous ouvre ici un univers inquiétant, halluciné et hallucinant. On se passerait volontiers du texte qui accompagne ce beau spectacle, tant les images et les impressions sont fascinantes et parlantes. La compagnie Les Choses de rien, implantée à Paris depuis sa naissance en 2004 poursuit une recherche autour de la perception du monde, dans cette pièce d’une heure dix avec une belle dimension philosophique.

 Mireille Davidovici

Du 7 janvier au 5 février, Espace-Cirque d’Antony, rue Georges Suant, Antony (Hauts-de-Seine). T. : 01 41 87 20 84.

Festival de magie à Semur-en-Auxois

Festival de magie à Semur-en-Auxois:

Pickpocket d’ Hector Mancha

FCC21026-5EE3-43CD-B42C-07996A610956Cela se passe dans l’ancien Tribunal de Semur-en-Auxois (Côte-d’Or)… C’est l’heure de la plaidoirie et du jugement pour Hector Mancha, un ancien repris de justice espagnol. Enfant, il volait des sacs sur les plages des îles Canaries d’où il est originaire. Féru de jeux vidéo, il les subtilisait dans les magasins et les entassait jusqu’au jour où son père lui demanda comment il les avait eus. Sa cleptomanie compulsive s’arrêta net et il décida alors d’utiliser sa maîtrise pour divertir les gens. Les jurés, plutôt dubitatifs, demandent à voir les techniques mises en œuvre par ce personnage facétieux, une pointure de la magie mondiale, champion du monde F.I.S.M. 2015 avec un numéro virtuose de manipulation.

Le pickpockettisme est pratiqué par certains magiciens  qui en font leur spécialité avec la complicité du public: cela devient alors une démonstration spectaculaire de dextérité et de bagout. Il faut en effet absolument contrôler sa future victime par son assurance et par un flot de paroles… Un Allemand Compars Herrmann (1816-1887) et son frère Alexander (1844-1896) en sont les précurseurs, avec une séquence de vol à la tire, au début du XX ème siècle. L’un des premiers du genre, un magicien anglais d’origine française Fred Brezin, à Londres en 1906, se présente comme The Original and  first pickpocket. Suivi par l’Allemand Walter Sealtiel (1890-1948).

En 1929, un Hongrois Adolph Herczog (1896-1977), alias Dr. Giovanni, fit sensation en Angleterre en volant une épingle de cravate au Prince de Galles. Une vedette auprès du public populaire des boîtes de nuit aux États-Unis et dans le monde entier. Dans les années 1930, les pickpockets investissent les music-halls et Nissim, un prestidigitateur bulgare, défraya la chronique: il avait été pris en flagrant délit de vol dans le métro…

L’âge d’or a lieu après la seconde guerre mondiale. Avec le célèbre Serbe polyglotte Borislav Milojkowic (1921-1998), surnommé Borra, roi des pickpockets ou le voleur de Bagdad. Père du numéro de cette discipline et créateur d’un style archétypal, il  se vantait d’avoir dévalisé Scotland Yard, Interpol et le F.B.I . Il fut vite une star des cirques en Europe, avec un numéro commençant par une chasse aux cigarettes agrémentée de ronds de fumée, suivie par un «déballage» d’objets que, déguisé en placeur, il avait volés au public qui entrait dans la salle. Pour un grand final, il faisait venir plusieurs personnes sur scène et de façon virtuose, les volait aussitôt…

20BE4C42-2800-4CB2-B682-BF4DC92B4282En 1949, le Danois Tommy Iversen (1921-1984), alias Gentleman Jack et sa femme Maj-lis, «l’aristocrate des pickpockets » présentaient sur les cinq continents dans de nombreux grands cirques et spectacles de variété, un élégant numéro dans un style british très élégant. Dans les années cinquante, des Européens se font aussi connaître:  Borra Junior, Alf Melander, Boris Borsuks, Mark Raffles… Au même moment aux États-Unis, Victor Perry, pratique le mentalisme, l’escapologie, l’hypnotisme. Et considéré comme le meilleur pickpocket au monde. Mais grâce à un autre Américain, Fred Revello, alias Ricki Dunn (1929-1999), la discipline se démocratise. Auteur d’un livre-référence sur le sujet, il a mené une longue carrière aux États-Unis, sous le nom de Mr. Pickpocket ou Le Premier pickpocket de l’Amérique.

Dans les années soixante, apparaissent le Suédois Bob Arno et le François Dominique Risbourg qui commence à quinze ans! Il devint aussi magicien et ventriloque. Et à vingt ans, il travaille au Lido à Paris et, en vedette, à Las Vegas… D’autres se font connaître: le Letton Boris Borsuks, le Tunisien Kassagi (conseiller technique pour Pickpocket de Robert Bresson), Fred Clifton et les Français Joe Waldys, Gérard Mercier et Dody Willtohn, le Suisse Pierre Jacques, etc. Et plusieurs magiciens célèbres ont  inclus une séquence de pickpocket dans leur numéro.

Pour introduire l’art de détrousser les autres de façon honnête, Hector Mancha propose une routine-prétexte fondée sur un seul et grand principe: détourner l’attention. Muni d’une boîte de chips, il réalise une hilarante adaptation du numéro dit des boulettes de Slydini. Il fait asseoir une spectatrice sur une chaise et lui demande d’ouvrir la boîte. Et il se propose de faire disparaître une chips dans sa main en réalisant un «faux dépôt» et en écrasant au-dessus de sa main la chips empalmée pour produire des «miettes magiques» qui font disparaître la première des chips! Après ces gags, Hector Mancha réalise ensuite de vraies passes magiques pour éliminer une demi-douzaine de chips une à une. En utilisant le fameux «geste au lancé de boulettes » et différentes techniques empruntées à la manipulation de pièces, comme la révélation sur l’épaule ou l’apparition dans la main du spectateur.Des classiques que l’on retrouve dans le Traité de la prestidigitation des pièces de Jean-Baptiste  Bobo. A la fin, la spectatrice, aidée par le magicien, va faire disparaître le reste des chips restantes dans la boîte… en la  secouant frénétiquement. Résultat : une flopée en tombe par terre. Après cette séquence comique, il rendra à la spectatrice.. la montre qu’il lui avait subtilisée!

Puis Hector Mancha demande à un jeune homme de venir sur scène qui, méfiant, sait qu’il va aussi essayer de lui subtiliser sa montre. Mais c’est bien le but, montrer que, même si la victime est avertie, cela ne l’empêche pas de la voler! Hector Mancha va alors proposer au volontaire de faire disparaître une pièce et de focaliser toute son attention sur cette pièce. Il réalise une disparition classique en main et la pièce réapparaît dans le pli de son pantalon, puis dans son poing.  Et plus fort, il dit qu’il va la faire disparaître dans la main du jeune homme. Opération répétée plusieurs fois mais en vain.  Pas grave…  Entre temps, le magicien lui a bien volé sa montre!

Il démontre ici avec brio que, même sur le qui-vive, le cerveau peut être trompé car incapable de se concentrer sur plusieurs actions en même temps. L’illusionniste a bien conditionné sa victime, en lui touchant plusieurs fois le poignet pour l’habituer à la normalité de la chose… Et ensuite il s’offre même le luxe de lui voler son portable plusieurs fois de suite. Ensuite Hector Mancha détaille quelques techniques employées par les pickpockets comme le jeu de foot, la tache sur l’épaule, la bousculade dans un escalator ou un wagon de métro, la carte géographique et le journal utilisés comme couverture et écran, la veste sur le dos de la chaise… Mais il n’expliquera ni la pince ni la fourche,  des gestes basiques mais essentiels pour voler des objets…

Il invite ensuite trois personnes, tire un billet de 50 € d’une petite bourse et le fait signer. Placé dans un foulard à clochettes à l’avant du pantalon d’une des trois personnes. Le porte-monnaie est montré vide et confié à quelqu’un d’autre. La personne avec le foulard dans le pantalon et donc gardien du billet signé, est ensuite victime du pickpocket qui lui vole portefeuille, téléphone portable, clés, lunettes, ceinture… avec la complicité des deux autres spectateurs… Pour terminer cette «routine», la victime est invitée à secouer son foulard et les grelots, puis le magicien extrait d’un seul coup le tissu pour montrer la disparition du billet… qui se trouve dans le porte-monnaie.

Mais un véritable pickpocket n’opère jamais seul dans la vie et, circonstance aggravante pour lui, il y a, dans ce cas, association de malfaiteurs! Avec des techniques très différentes de celles utilisées par les magiciens, ils font souvent appel à des accessoires sophistiqués. En investissant les endroits où il y a foule : métro, bus, champs de courses, grands magasins, etc. et où ont lieu bousculades et attouchements involontaires… Un terrain de jeu idéal pour passer inaperçu. Les victimes sont si préoccupées par tout ce qu’elles voient et entendent, que leur esprit «efface la sensation de la main qui les vole». Le cerveau ne peut avoir qu’un seul centre d’intérêt à la fois et enregistre donc la sensation la plus forte.

Le voleur, lui, travaille rarement seul mais entouré de deux « barons ».. Une bande très organisée de complices qui opère en trois étapes dont chacun est le garant. Le premier détourne l’attention de la future victime, le deuxième la dépouille de ses biens et le troisième emporte le butin hors d’atteinte, très loin… Le « chef de brigade » est celui qui vole la victime mais le terme peut aussi désigner le barreur (celui qui la repère), le bloqueur (celui qui la ralentit) ou le caleur (celui qui la conditionne aux attouchements). Les objets plus volés: portefeuilles et porte-monnaie, montres, portables, trousseaux de clés, etc. Certains attendent que leur proie soit saoule ou utilisent une bombe de narcotique, ou encore du savon liquide pour voler une bague. Le magicien, lui, prend des objets sans grande valeur: cravates, nœuds-papillon, ceintures, bretelles, briquets, paquets de cigarettes, agendas, stylos, voire même  une chemise ! Mais quasiment impossible de subtiliser des bijoux sans que la victime ne s’en aperçoive, sauf certains colliers et bracelets.

Pour finir sur une touche plus poétique, Hector Mancha fait de l’ombromanie avec un télescope astronomique miniature projetant un halo de lumière sur le mur. Il enchaîne ainsi une vingtaine de figures du répertoire comme le chien, le lapin, le cygne, l’oiseau, l’éléphant. Mais aussi des célébrités comme Louis Armstrong chantant La Vie en rose  d’Edith Piaf.

Cette conférence-spectacle est une belle idée de l’équipe de ce festival de magie orchestré par Gérard Souchet à l’intention du public profane mais aussi d’un autre plus averti… Un  bon moment d’amusement et d’enseignement sur  une discipline peu traitée et réservée à un cercle encore plus fermé que celui des illusionnistes… Et considérée comme un art annexe se transmettant surtout oralement ou  que l’on apprend sur le tas… souvent à la limite de la légalité ou à l’aide des rares manuels sur le sujet.

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 24 novembre à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or).

 

 

 

On n’est pas là pour sucer des glaces mise en piste du Galapiat Cirque

On n’est pas là pour sucer des glaces, mise en piste du Galapiat Cirque

© Sébastien Armengol-5190 - copieC’est le « spectacle de fin d’études » de la trente et unième promotion de cette institution reconnue dans le monde entier avec onze garçons et cinq filles, neuf disciplines de cirque, neuf nationalités. Mis en piste par d’anciens élèves  qui ont fondé le collectif du Galapiat Théâtre, il y a treize ans.«  Ce qui est intéressant, c’est le désir des élèves de se mettre en danger, de sortir de leur zone de confort. C’est beau, c’est ça pour nous le cirque.» (…) «Après quinze jours de résidence, on leur a dit: Jusque là, tout va bien, mais c’est le dernier spectacle que vous allez faire ensemble… Soudain, ils en ont pris conscience et n’ont pas envie de rater cela. Notre désir est qu’ils donnent envie d’être rencontrés. Nous ne sommes pas inquiets, ils sont bons, c’est leur métier, ce sont des chats. »

Sébastien Armengol-5666 (2) - copieAu menu, différentes disciplines circassiennes. Surtout du côté acrobatie,avec la bascule coréenne (le Suisse Damien Bucci, le Danois Sébastien Krefeld, les Suédois Oskar Norin (qui est aussi violoniste) et Anton Persson): un imposant collectif tout à fait étonnant avec de brillants numéros. Mais aussi l’Espagnol Fernando Arevalo Casado et le Chilien Pbalo Pennalilo Soto à la corde lisse, l’Allemande Darianne Koszinki à la corde volante, l’Italienne Aurora Dini et la Française Noémi Devaux au cerceau aérien. Le Mexicain Ivan Morales au trapèze volant. Et à la roue Cyr (une roue en tube métallique d’environ deux mètres où s’insère l’acrobate pour réaliser des figures) l’Italienne Marica Marinoni qui avait commencé par la trampoline. Et les Français Céline Vaillier et Maël Thierry au mât chinois.. Nombre de ces numéros étant réalisés plutôt en solo… Et le brillant Carlo Cerato qui pratique un jonglage d’anneaux avec un grand sens du comique et une certaine couleur surréaliste.
Donc surtout plusieurs disciplines de haut niveau d’acrobatie en l’air sur corde ou trapèze ou au sol et plus de garçons que de filles… Mystère des sélections à l’entrée ! Cela commence par les glissades drôlatique d’un acrobate les pieds pris dans des blocs de glace. Jusqu’au moment où ses camarades l’aideront à s’en délivrer. Mais  cela commence mal avec ce numéro trop long et mal mis en scène comme la plupart des autres qui suivront sans vraiment de lien.

Mais tout est impeccablement réglé et il y a une solidarité exemplaire entre les élèves comme dans toutes les promotions du C.N.A.C. Cela fait du bien de voir ces jeunes gens issus de pays si différents (mais aucun Africain !) travailler tous ensemble avec autant de passion que de maîtrise de soi et d’humilité. Ici, personne ne sert de faire valoir à quiconque et on sent un respect absolu de chacun au sein de cette école. Les apprentis-comédiens de certaines grandes écoles pourraient en prendre de la graine…

191202_RdL_0256_xlarge - copieOui, mais voilà, l’édition 2019 ressemble à celle de 2018 et nettement moins bonne que les précédentes:  la mise en piste ou en scène comme on voudra n’est pas de grande qualité : manque de rythme, redites (comme la bascule coréenne) longueurs, fausse fin… On nous dira sans doute que c’est une première mais non, il n’y aucune raison,  la première représentation doit aussi être impeccable et tous les spectateurs ont droit au meilleur…

C’est dommage pour ces futurs artistes, tous exceptionnels, qui vont entrer dans la vie professionnelle mais ici on assiste plus à une démonstration tout à fait réussie de travaux d’élèves mais non à un véritable spectacle. Et on a le droit d’être déçu. Poésie et prises de risque acrobatiques sont loin d’être incompatibles mais ici l’ensemble est trop brut de décoffrage et il y a encore du travail en perspective…  Il faudrait absolument au moins resserrer les choses avant la longue tournée annoncée: cela irait déjà mieux.  Donc à suivre.

Philippe du Vignal

Du 4 au 15 décembre, Centre National des Arts du Cirque, 1 rue du Cirque, Châlons-en-Champagne (Marne).

Parc de la Villette, Paris ( XIXème), du 22 janvier au 16 février; Les Halles, Schaerbeek (Belgique)  les 28, 29 février et le 1er mars.
Théâtre municipal de Charleville-Mézières (Ardennes), les 24, 25 et 26 mars. Cirque Théâtre d’Elbeuf (Seine-Maritime).
Pôle national Cirque -Normandie au festival SPRING les 3, 4 et 5 avril.

Le Manège-Scène nationale de Reims ( Marne) les 17, 18 et 19 avril.
Montigny-lès-Metz (Moselle), Cirk’Eole dans le cadre des festivals Les nuits d’Eole et Passages, les 8, 9 et 10 mai.
Centre culturel Le Grand Pré de Langueux (Côte d’Armor),  les 5, 6 et 7 juin

 

La Mémoire du Temps d’Alain Choquette

La Mémoire du Temps d’Alain Choquette

La Mémoire du Temps - Affiche - copiePour nous faire patienter, deux écrans LED diffusent le parcours  du célèbre illusionniste depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Alain Choquette  a commencé à la télévision canadienne de 89 à 95 comme  chroniqueur dans Ad Lib  et a créé son premier spectacle de magie Première apparition en 1993 au Théâtre Saint-Denis à Montréal.
En 1994,  il  se lance à la conquête des Etats-Unis avec Grand Illusions ’94 -An Evening of Magic and wonder  à Atlantic City pour cent cinquante représentations. La même année, il est invité à participer à l’émission mythique World’s Greatest Magic, enregistrée à Las Vegas et diffusée par la chaîne américaine NBC. En 1995, il s’installe au Forum de Montréal avec Fascination, un nouveau spectacle en compagnie de vingt-deux artistes de l’École nationale de cirque… L’année suivante, Alain Choquette retourne aux États-Unis et devient le premier artiste francophone à obtenir une résidence à Las Vegas. Il obtient une reconnaissance mondiale avec un numéro original La Disparition des douze où douze spectateurs disparaissent sur une plateforme. David Copperfield, lui-même, lui demandera l’autorisation de présenter cette illusion dans l’un de ses réalisations. En 1997, Alain Choquette crée Jeux de vilain  à Montréal, pour ensuite aller en tournée à travers le Canada…  Et en 2011, il lance un spectacle éponyme, en français et en anglais, avec lequel il parcourt de nouveau le Canada. Deux ans plus tard, il arrive en France pour la série de spectacles du Comedy Majik Cho d’Arturo Brachetti et  en 2014 il présente Drôlement magique au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse avec plus de six cents représentations! Cette année  il crée son dernier grand spectacle La Mémoire du temps au Québec, et le présente à Paris. Il entre en scène avec le tour final : la production de papillons en papier. La représentation est soi-disant terminée et ses assistants arrivent pour nettoyer la scène et charger le matériel dans des caisses. Le plateau est alors plongé dans le noir et une lumière de chantier s’allume et projette l’ombre de l’illusionniste sur un grand écran blanc, et il parle au public de ses débuts. Une  caisse s’ouvre toute seule  et apparait la première mallette de magie d’Alain Choquette.  Son ombre se transforme alors en silhouette d’enfant qui joue avec lui et la lumière de l’ampoule, dans un va-et-vient de l’écran au réverbère. Les souvenirs refont surface et ils exécutent ensemble une routine classique, celle des anneaux chinois entre le virtuel et le réel.  Un premier tableau pas très convaincant où sont repris tous les stéréotypes de l’artiste qui remonte le temps et se souvent de ses jeunes années quand il découvrait la magie… Un modèle anglo-saxon usé jusqu’à la corde. Les traits de l’enfant sont grossiers et l’interaction avec l’adulte se fait mal. Bref, un début maladroit…

Alain Choquette mentalisme (photo Annie T. Roussel) - copiePuis  les spectateurs qui ont tous reçu une enveloppe à l’entrée sont invités à l’ouvrir ; ils y découvrent quatre photos du magicien à des époques différentes. Alain adolescent avec son premier livre de magie, sa première photo comme professionnel,  une de lui aujourd’hui et une autre encore où il est âgé…Ces moments d’une vie vont se mélanger sous les ordres de l’illusionniste qui demande au public de faire exactement les mêmes gestes que lui. Les  photos sont d’abord mélangées face en l’air, puis face en bas. Puis le paquet est alors déchiré en deux. Les morceaux de nouveau mélangés dessus dessous  sont alors jetés en l’air plusieurs fois de suite. Un morceau est gardé par chaque spectateur qui le met sous ses cuisses. Les opérations sont répétées encore et encore jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une moitié déchirée face en bas. Le magicien demande à chacun de rassembler ses deux morceaux et les bouts correspondent parfaitement ! Le passé, le présent et le futur se sont mélangés un instant mais tout rentre dans l’ordre au final et l’intégrité du magicien est sauve. Une magnifique adaptation de Before You Read Any Further…How To Find Your Other Half créé par Woody Aragon en 2011… Un grand moment de communion avec la salle entière autour d’Alain Chouquette… 

La représentation est lancée dans les hautes sphères du mystère et l’illusionniste ne lâchera plus le lien qui l’unit désormais à tous jusqu’à la fin.  Onze spectateurs  vont participer activement aux prochaines expériences sur scène et dans la salle. Grâce à des gros ballons de plage numérotés qui vont se balader et s’arrêter au stop du magicien sur des volontaires choisis au hasard. Puis les six premiers numéros sont appelés sur scène et les spectateurs pour prendre place sur des chaises numérotées et disposées en arc de cercle autour d’une table à «expériences sensorielles». Une première  personne est invitée à une expérience olfactive en choisissant une boîte fermée parmi six, suivant le forçage PATEO. L’objet que la dernière boîte renferme secrètement est deviné par le spectateur à l’odeur… Un fruit.

Un deuxième spectateur est invité à mélanger quatre liquides différents (café, lait, eau, jus de pomme) et boire une gorgée de celle qu’il choisit à l’abri du regard du magicien qui propose de révéler la boisson bue à distance par le goût. La première révélation échoue. Le spectateur refait son mélange et boit une nouvelle gorgée d’un autre liquide. Cette fois-ci, le magicien devine le bon liquide et demande ensuite au spectateur d’en boire deux l’un après l’autre et il les devine  aussi…

Un troisième est invité à mélanger six cartes avec un numéro de 1 à 6 pour redistribuer les emplacements des volontaires. Une fois assis à leur nouvelle place, les six spectateurs retournent leurs chaises respectives et découvrent un nouveau numéro derrière. Une fois toutes les chaises retournées, le public peut lire une série de numéros qui signifie le cycle d’une année 365 /7/4/12 (jour de l’année/jours de la semaine/nombre de semaines dans un mois/nombre de mois dans l’année). La dernière chaise restante est retournée : on peut lire le prénom de l’illusionniste.

Alain Choquette - les enveloppes (photo Annie T. Roussel) - copieLes spectateurs n° 7 et n° 8 entourent le magicien qui propose une expérience de mentalisme avec un jeu de cartes. Après l’avoir mémorisé face en l’air, une première carte est choisie librement par un spectateur et replacée face en bas dans un jeu mélangé par ses soins. Le mentaliste étale les cartes face en l’air et  retire celle choisie qui n’est plus à la même place qu’au début. Opération répétée et réussie avec cette fois, trois cartes choisies et replacées dans le jeu. Les personnes avec les ballons numérotés de 9 à 11 prennent place debout sur un côté de la salle. Alain Choquette demande à une d’elles de choisir entre les hommes et les femmes de la salle. Une autre personne désignée choisit les plus ou les moins de cinquante ans. Une troisième choisit entre les gens portant des lunettes ou non. Enfin, quelqu’un désigne d’«éliminer» une partie du public pour n’en garder qu’une moitié. Le spectateur avec le ballon n° 11 le lance sur le public de la moitié de salle. Le n° 10 et le n° 9 en font de même. La personne qui a le ballon avec la croix est LE CHOIX final.

L’illusionniste rappelle toutes les étapes de ce choix totalement libre et hasardeux. Il révèle alors une prédiction d’une enveloppe, visible début le début du spectacle en avant-scène dans une vitrine, qui s’avère être la photo de la personne choisie ! Une séquence très puissante et la révélation finale laisse le public bouche bée:  apparemment libres, des gens n’ont  aucune maîtrise dans leurs choix

Le magicien présente deux vases à pied disposés sur des guéridons. Le premier est rempli d’un foulard blanc et recouvert d’un foulard rouge. Du néant, Alain Choquette tire du sable et le fait couler de son poing dans le deuxième vase vide qui se remplit pendant que l’illusionniste dit un très beau texte sur le temps qui passe. Quelques grains de sable sont envoyés plusieurs fois en direction de l’autre vase recouvert et  à la fin, le foulard blanc s’est transformé en sable qui est déversé dans l’autre vase.

Un coffre suspendu descend des cintres, isolé de tout et bien visible par l’ensemble  du public. L’illusionniste demande quel est le couple avec le plus d’années de mariage et le fait monter sur scène. Ce couple d’un certain âge s’assoie sur un banc de parc public, près d’un réverbère pour planter le décor d’une première rencontre amoureuse.  Sur un grand tableau noir, Alain Choquette va noter successivement toutes les réponses de la dame à ces questions sur les conditions et les circonstances de la rencontre et des habitudes du couple.

Une fois, le tableau rempli, il fait descendre le coffre et en retire une lettre contenue dans un tube en plastique transparent : celle-là même que le mari a écrit à sa femme avec les mêmes mots. Un banal tour de mentalisme réalisé par bon nombre de magiciens avec toujours la même trame semi-dramatique. Mais Alain Choquette a la grande intelligence de raconter une histoire bouleversante, celle d’un parcours où des époux se retournent sur leur passé et  voient combien ils sont attachés l’un à l’autre. Ce soir-là, le mari à l’annonce de « sa lettre écrite» était très ému et a fait pleurer la salle entière. Un formidable tour de force! Alain Choquette nous touche en plein cœur, comme rarement un illusionniste sait et peut le faire !

Puis, un plateau surélevé est disposé au centre de la scène par des assistants. L’illusionniste insiste sur le fait que cette structure est bien isolée du sol. Pour en contrôler tous les angles, il demande à quatre spectateurs de se positionner autour du plateau devant, derrière et sur les côtés supérieurs. Puis il sort ensuite de la salle pour rejoindre le hall d’entrée, accompagné d’un caméraman qui le filme. Nous le voyons et nous l’entendons qui s’adresse à la salle et qui donne des instructions aux deux spectateurs sur la plateforme. Il les invite à soulever un grand rideau de velours noir et à le secouer. A ce moment précis, la vidéo s’arrête brutalement et le magicien apparait derrière le rideau sur la plateforme !

Personne n’a vu venir cette formidable transposition-éclair stupéfiante qui clôt la représentation en apothéose. L’illusionniste a construit son coup comme un orfèvre avec un maximum de subtilités qui rendent possible un tel effet. Pour dissiper toute utilisation d’un double, il a emprunté une écharpe à une spectatrice, avant de sortir sous prétexte qu’il fait froid dans le hall. Pour donner l’illusion de continuité par l’image, il insinue que le caméraman est novice et qu’il ne sait pas très bien se servir d’une caméra ! Il y a donc des coupures inopinées et rapides de l’image… Nous avons donc cette illusion de continuité, alors que le temps s’est déjà arrêté et  Alain Choquette est déjà dans les coulisses. La téléportation, un vieux fantasme de l’humanité…

Un très grand moment du spectacle de cet artiste espiègle et charismatique. Construits sur une trame temporelle, tous ses numéros se répondent entre eux, avec des va-et-vient passionnants entre passé, présent et futur mais sans jamais tomber dans le stéréotype. Le but est atteint : se jouer de l’effet du temps en « conjuguant l’avenir, au présent». L’illusionniste a l’intelligence de scénariser la moindre de ses actions et de choisir un répertoire magique classique mais parfaitement adapté à son propos. La grande force d’Alain Choquette? Utiliser un matériel et des techniques simples et les transfigurer  pour arriver à créer une forte émotion. Une grande leçon de dramaturgie… Et cette magie directe frappe juste et fort à chaque fois. Il sait mettre le public au centre de la représentation  pour qu’il apporte sa synergie aux histoires intimes et universelles qu’il fait partager du début à la fin, et même dans toutes les mémoires que le temps façonne. «L’Histoire, disait déjà le grand historien grec Thucydide, est un éternel recommencement. »

Sébastien Bazou

Spectacle vu au Palace, 8 rue du Faubourg-Montmartre, Paris (IX ème) le 17 novembre.  Jusqu’au 11 janvier. T. : 01 48 74 03 65.

Un Américain à Paris, musique et lyriques de George et Ira Gershwin,mise en scène et chorégraphie de Christopher Wheeldon

Un Américain à Paris, musique et lyriques de George et Ira Gershwin, livret de Craig Lucas, mise en scène et chorégraphie de Christopher Wheeldon

un americain Cette comédie musicale est revenue à la maison… Après cinq ans de triomphe dans le monde entier, six cent représentations à Broadway et quatre Tony Awards, elle retrouve le Châtelet qui l’a vue naître. Pari gagné pour Jean-Luc Choplin, allié à la production Broadway Asia. On imagine ce que représente le montage d’une telle affaire: onze comédiens, danseurs et chanteurs excellents dans ces trois disciplines mais aussi vingt-cinq danseurs, autant de musiciens et encore autant de techniciens et régisseurs. Sans compter les arrangeurs et les librettistes, les chorégraphes, costumiers, assistants… Avec les producteurs et les organisateurs de la tournée, l’entreprise a pris une taille industrielle.

On dira que le public s’en fiche mais cela donne la mesure et la démesure de ce grand spectacle. Ses concepteurs ont repris la «rhapsodie ballet» de 1928  -l’époque du Paris est une fête d’Ernest Hemingway- et le film de Vincente Minelli  (1951) et ils ont placé l’intrigue au sortir de la seconde guerre mondiale. Le G.I. Jerry Mulligan retournera-t-il au pays ou restera-t-il mener la vie de bohème des peintres parisiens ? Cela commence fort avec l’arrachage d’un immense drapeau nazi remplacé par un aussi immense drapeau tricolore. Et le prologue voit juste : la France est du côté des vainqueurs mais elle est défaite et on assiste à un court ballet de la faim : une jeune femme s’évanouit avec grâce…
 
Mais la guerre est vite oubliée et les trois amis cherchent chacun à percer dans son art -le public profite de la démonstration- et ils tombent amoureux d’une jolie vendeuse qui se révèle être une danseuse promise au succès et… au fils des bourgeois qui l’ont cachée pendant la guerre. Mais elle préfère Jerry malgré les obstacles, même si une riche héritière tente de le séduire en lui ouvrant les portes des collectionneurs et mécènes… Happy end, évidemment : ni l’argent ni les services rendus ne peuvent acheter l’amour, tout le monde est d’accord là-dessus. Rideau.

À vrai dire, le spectacle nous accroche avec ces hésitations et péripéties amoureuses et artistiques mais… parfois longuettes. Et grâce à une haute performance technique : tout ici est réglé au millimètre et au dixième de seconde près. On a envie de dire, c’est de la dentelle mais c’est aussi  une mécanique de grande précision. Les décors apparaissent et disparaissent -éléments gigantesques sur roulettes silencieuses, projections sur tulle des toits et des rues de Paris- au rythme exact de ballets ininterrompus,  avec les changements de décor et de nouvelles chorégraphies, entre duos et solos. On pourra chipoter : les voix des chanteuses, parfaitement justes et bien placées, ont quelque chose d’un peu métallique. Et le GI Jerry de ce soir-là (ils sont deux en alternance) est plus convaincant en danseur (grands jetés puissants et envolés, déboulés à ôter le souffle), qu’en comédien mais la troupe est parfaite.

La frustration viendrait plutôt du côté de la musique. Impossible, dans une fosse, d’avoir la richesse d’un orchestre symphonique. Malgré leur vaillance en seconde partie, les cuivres manquent d’ampleur et de brillant. Il faut se dire que la musique est ici  au service du spectacle et que la battue du chef répond à l’exactitude du plateau. Donc, ne chipotons pas et battons intérieurement notre propre pulsation jazzy, les minuscules contretemps qui nous enchanteraient et qui nous manquent.

Enfin, une bonne nouvelle pour les moins de vingt-six ans et les plus de  soixante-cinq ans.. Un quart d’heure avant le début du spectacle, on peut trouver d’excellentes places à vingt euros… Sinon, ce sera de treize euros (au ras du plafond et les genoux écrasés) à quelque cent vingt euros au parterre…  Le prix des places semble presque aussi variable que celui des billets d’avion, mais cela vaut la peine d’essayer : le Théâtre est desservi par la ligne 1, automatique, qui roule pendant la grève.

Christine Friedel

Théâtre du Châtelet, Place du Châtelet, Paris (Ier) jusqu’au 1er janvier. (Aucune réservation par téléphone).

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