Cunningham, un film d’Alla Kovgan
Cunningham, un film d’Alla Kovgan
» Je n’avais pas pour objectif, de faire un «biopic» sur Merce Cunnigham », dit la réalisatrice. Elle s’est focalisée sur les trente premières années de la longue carrière du chorégraphe : «Il s’est produit sur scène jusqu’à quatre-vingt ans passés. J’ai voulu le montrer à la fleur de l’âge et dans l’inquiétude de ces années de survie financière et psychologique ». Il aura fallut sept ans à la cinéaste pour réaliser ce documentaire en 3D avec archives d’époque et reprises de pièces-phares créées entre 1942 et 1972, remises en scène par Jennifer Goggans et Robert Swinston, membres de longue date de la Merce Cunningham Compagny.
«Notre but, dit Alla Kvogan, n’était pas seulement de filmer la danse mais de traduire les idées de Merce en cinéma ». Un montage inventif, avec quatorze extraits de chorégraphies revisitées aujourd’hui et des interviews de Merce Cunningham et d’artistes associés à ses spectacles, dont le compositeur John Cage qui fut son compagnon de route et le peintre David Rauschenberg. S’y ajoutent des images d’archives avec des scènes captées au quotidien de la troupe : répétitions, extraits de spectacles, images de tournée en minibus à travers les Etats-Unis. Des archives articulées entre elles sur le mode du collage et qui, incrustées, se répondent, ce qui donne un rythme enlevé au film.
Nous revivons pas à pas les aventures de ces pionniers de l’art contemporain nord-américain. Dans l’intimité d’un studio de répétition, le chorégraphe, plutôt timide, montre plus qu’il n’explique : «Je ne décris pas ma danse, je la fais », dit-il à ses interprètes. On l’entend parfois sans le voir : de temps en temps, il enregistrait ses réflexions sur un petit dictaphone, soucieux de l’héritage qu’il laisserait. David Rauschenberg, lui, raconte les dessous de la création de Summerspace (1958) : «J’ai créé une sorte de camouflage et, si un danseur hésitait, il pouvait se perdre dans le décor.» Et sous nos yeux, les interprètes d’aujourd’hui, en collants académiques multicolores, se fondent dans les taches du sol et du fond de scène. On entend aussi Andy Warhol parler de Rain Forest (1968) avec ces gros et mémorables oreillers argentés qu’il avait conçus pour flotter au-dessus des danseurs : ici la réalisatrice nous présente un extrait de l’époque en noir et blanc puis une reconstitution actuelle.
Certains plans ont été tournées à l’extérieur dans des lieux insolites : Winterbranch (1964) la nuit sur le toit de l’immeuble de Westbeth qui a abrité le studio Cunningham pendant quarante ans ; Rune (1944) au cœur d’une forêt de pins et Song (1944), l’un des premiers solos du maître, dans un tunnel en Allemagne. La plupart des interprètes engagés pour le film ont appartenu à la dernière génération de la Merce Cunningham Company et peuvent ainsi assurer une transmission directe. La prise de vue, avec une seule caméra, fonctionne très bien pour la 3D : elle privilégie de longs plans-séquences dans l’espace chorégraphique et nous pénétrons alors dans l’action. Il a fallu un an de montage pour réaliser Cunningham, architecturer les scènes de danse et superposer les séquences d’archives.
Mais le résultat est là, vivant, émouvant… Et ce film ouvrira sans doute les portes de la danse contemporaine à un plus vaste public qui verra ici le travail de ce grand artiste souvent réputé difficile d’accès. «J’ai cru au départ que c’était un créateur très élitiste et un peu snob, constate Alla Kovgan, mais je me suis aperçue qu’il se préoccupait vraiment des spectateurs.» Merce Cunningham lui-même le disait : «Nous n’interprétons, pas quelque chose, nous le présentons, l’interprétation est laissée au public. »
Mireille Davidovici
Durée du film : 93 minutes. Actuellement dans les salles mais attention: il n’est projeté en 3D que dans certains cinémas.