La Lune en plein jour de Marina Tomé, mise en scène d’Anouche Setbon
La Lune en plein jour de Marina Tomé, mise en scène d’Anouche Setbon
Créé à la Comédie de Picardie à Amiens, ce récit autobiographique marqué par l’Histoire, les accidents et la maladie, n’en reste pas moins un solo très joyeux et ardent. De lignée juive, ses arrière-grands-parents et grands-parents fuient les pogroms de Pologne pour s’établir en Argentine. Et ses parents à leur tour, fuient la dictature militaire pour vivre librement en France libre. Une histoire d’exil, d’allers et de retours, selon les vacances qu’on s’octroie, pour retrouver les siens qu’on a laissés derrière soi… Comme abandonnés bien loin; et s’y ajoute peu à peu la distance des années qui s’accumulent, des jours qui passent : un autre éloignement, temporel.
Le sentiment de l’exil et un accident grave auraient pu arrêter tout net l’existence de la narratrice et interprète, ou la laisser handicapée. Pleine d’enthousiasme, la jeune bachelière était partie en mobylette s’inscrire à l’Ecole de Cirque, quand un camion la suit dangereusement et de si près qu’elle va se retrouver coincée entre les roues ! Heureusement, elle était revenue prendre son casque qu’elle avait oublié. Rééducation, kiné et psychothérapie, la jeune fille volontaire se bat jusqu’à la victoire, retrouvant l’usage des ses jambes, malgré un pied boitillant parfois légèrement.
La chance lui a finalement souri et elle retrouve, volubile, les joies de l’existence.. Mais elle dit souffrir, par ailleurs, de l’épiglotte qui juste au-dessus des voie respiratoire et digestive, si elle n’accomplit pas rigoureusement ses fonctions, elle peut provoquer ce qu’on appelle une fausse route: la nourriture allant dans les poumons et pouvant alors créer un étouffement…. Face aux événements marquants de sa vie, l’exil d’Argentine et la mort frôlée, elle écrit pour surmonter sa peine et «se retrouver », pour «donner du sens, combler le vide, recréer le lien, les points d’appui et transmettre l’élan de la vie. » Le compagnonnage avec la mort n’est pas un voyage existentiel que l’on choisit… Il se présente à vous abruptement, sans action salutaire pour l’éviter. L’exil: un anéantissement, une perte lente de soi et l’accident invite à goûter au vide, en mettant à mal le corps physiquement et sur le point de basculer.
La narratrice ne comprend pas cette boule étrange, cet alien qui l’accable, comme si quelque chose la gênait encore, la privant d’elle-même et de ses rêves. Elle s’en sort pourtant, grâce aux hallucinations provoquées en mâchant des feuilles de coca dans la forêt amazonienne. Cela lui rend sa part d’indianité qu’elle se cachait… Elle accomplit ainsi un ancien rituel andin qu’elle pressentait fortement.Comprendre enfin cette prédilection pour le rêve, le voyage imaginaire et même artificiel qui la tenait au-dessus du réel. Comme cette fillette de quatre ans désespérée que la famille argentine tenait serrée et, la passant de bras en bras, la soulevait de terre, telle une poupée qu’on embrasse.
Elle a enfin grandi et ne regrette plus d’avoir laissé tous ses bien-aimés derrière elle… La voilà, rieuse qui plaisante et fait le clown, entamant quelques pas de tango, frappant du pied un sol qui est à présent le sien… Humour et distance : consciente de l’amusement un peu impudique qu’il y a à parler de soi, Marina Tomé transmet au public l’art de la vitalité…
Véronique Hotte
Théâtre de la Huchette, 23 rue de la Huchette Paris (V ème).
Le texte est paru aux éditions Dacres-Les Quinquets.