Le Reste vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp, mise en scène de Daniel Jeanneteau

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© Christophe Raynaud de Lage

Le reste, vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp d’après Euripide, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Daniel Jeanneteau

Pourquoi un dramaturge d’aujourd’hui se met-il à écrire un presque calque des Phéniciennes d’Euripide ? Une affaire de lecture, peut-être : écrire pour comprendre. Pour toutes sortes de raisons dont la période historique troublée (fin du Vème siècle avant notre ère, pendant les guerres entre Athènes et Sparte) où elle fut écrite et représentée. La version que donne le dramaturge grec de la légende des Labdacides est la plus cruelle, la plus obstinée à ne laisser aucune blessure, aucun malheur dans l’ombre, à ne donner à la mort, aucun autre sens qu’elle-même.  Aucun pardon et si, à la fin, Œdipe est extrait de sa cellule, ce n’est pas pour  trouver le repos à Athènes et y retourner sa  malédiction afin de protéger la cité,  mais il doit aller sauver ce qui reste de Cadmos…

Martin Crimp a aussi lu dans Les Phéniciennes, l’étrangeté du chœur, une bande de jeunes filles en transit, peu concernée par la cité de Thèbes. Il a fait d’elles « les Filles » qui tirent les ficelles, comme celles de marionnettes. Daniel Jeanneteau les a recrutées à Gennevilliers, dans la “vraie vie“. Bienfaits du retour dans leur climat d’origine ? Maturité du spectacle ? Ce qui a pu se montrer insatisfaisant à Avignon, a changé. Avec la même durée, le spectacle passe en effet à la vitesse de la guerre. Dans un préau d’école où chaises et tables sont malmenées, les «Filles», ces petites Sphynx insolentes, avec leurs énigmes sous forme de comptines ou sondages commerciaux, ont la désinvolture et le naturel nécessaires…

Mais, au bout d’un moment, elles semblent lassées du jeu et laissent le terrain aux deux frères et à leur combat infantile et «gore», à la coléreuse Antigone et au petit Ménécée qui se sacrifie «pour être un homme ». Amertume et jeunesse, énergie dévorée dans l’instant : à côté de la dignité, au-delà de la douleur et avec Dominique Reymond en Jocaste, cela marche. On sort du spectacle secoué  -on aura même ri parfois- et ému. À voir, sans hésiter…

Christine Friedel

T2G Gennevilliers, avenue des Grésillons (Hauts de Seine), jusqu’au 1er février. T. : 01 41 32 26 26.

 

Mireille Davidovici qui avait vu le spectacle à Avignon, n’est pas du même avis que Christine Fridel:

Le reste, vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp d’après Euripide, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Daniel Jeanneteau

 Le metteur en scène avait déjà collaboré avec Martin Crimp en 2006 à l’Opéra- Bastille pour Into the little Hill, un opéra de George Benjamin (voir Le Théâtre du Blog). Il le retrouve avec cette pièce (2013) adaptée des Phéniciennes où Euripide revisite, au V ème siècle avant J.C., Les Sept contre Thèbes qu’Eschyle avait écrit cinquante ans  plus tôt. Il actualise le cycle d’Œdipe, en fonction d’une situation politique différente: Athènes, aux menées impérialistes, fomente une guerre civile dans le Péloponnèse. Ce conflit interminable entraînera l’effondrement de la civilisation attique. Pour introduire une critique de l’ordre dominant, l’auteur grec donne la parole à ces Phéniciennes, prisonnières étrangères en route pour Delphes et de passage à Thèbes.

Elles forment ici un chœur de lycéennes à qui Martin Crimp a confié le soin d’introduire et commenter la tragédie : dans une vaste salle de classe en désordre, elles se moquent du savoir qu’on leur enseigne et de ces personnages antiques issus pour elles d’une histoire poussiéreuse. Sales gamines, elles vont bousculer les protagonistes, les corriger, les chahuter et les manipuler comme des pantins bavards et pitoyables, sortis des réserves du théâtre … Et Œdipe, présent/absent tout au long de la représentation, enfermé dans une cahute dominant le plateau, apparait à la fin, hirsute, grossier et grotesque…

 On connaît l’histoire : Œdipe se crève les yeux quand il découvre qu’il a épousé sa mère Jocaste et qu’il a tué son père Laïos. Il vit toujours à Thèbes mais séquestré par ses fils Étéocle et Polynice.  Jocaste assiste, impuissante  avec  sa fille Antigone, à la brouille de ses fils et à leur guerre fratricide puis à leur duel meurtrie. Puis elle se suicidera. Le roi Créon et frère de Jocaste -dont le fils s’est offert en sacrifice pour la paix mais en vain -se saisit du pouvoir et interdit à Antigone, au nom d’Étéocle, d’enterrer Polynice. Mais Antigone bravera le décret du roi par lequel elle est de la Cité, comme son père et frère, Œdipe… Cette engeance incestueuse accouche d’un monde si monstrueux que nous n’avons pas envie de le décrypter…

Martin Crimp, questionne d’œuvre en œuvre, avec âpreté mais non sans humour, la place de l’homme dans la société actuelle. Ici, il s’attaque à ce mythe fondateur en écrivant directement à partir du grec ancien. Et sur les pas d’Euripide, il met à distance les conflits dans cette famille perturbée comme l’était le monde d’hier et comme l’est, celui d’aujourd’hui. Revue et corrigée par ces jeunes femmes mutines et irrévérencieuses, la tragédie prend un coup de jeune…

Dans cette grande salle de classe dont elle renversent et brisent peu à peu le mobilier, elles s’adressent au public avec des questions ironiques, exposés scientifiques fantaisistes, devinettes absurdes… Étudiantes ou travailleuses, elles viennent de Gennevilliers et des alentours: «Leur rencontre a déterminé le projet, commente Daniel Jeanneteau, qui dirige depuis 2017, le théâtre de Gennevilliers. La pièce les intrigue et elles ont été sensibles à ces Phéniciennes qui observent, d’une manière critique et intelligente, le pouvoir et la société. Habillées selon les codes d’aujourd’hui, elle convoquent les figures du passé et exigent des comptes. »

Ces jeunes filles ont de l’énergie à revendre mais le procédé devient parfois systématique et l’on peut s’en agacer. Par ailleurs, certains monologues portés par les acteurs, s’éternisent et ces deux heures trente paraissent un peu longues…  Mais Dominique Raymond  excelle sans pathos en Jocaste, mère de cette famille maudite. Quentin Bouissou est un Étéocle décontracté, sûr de son bon droit et Jonathan Genet, un Polynice, tête brulée et vulnérable. Un jeu équilibré entre amateurs et professionnels, une scénographie simple et lisible signée Daniel Jeanneteau et un espace sonore, conçu en temps réel par Olivier Pasquet et l’ingénieur Sylvain Cadars, venus de l’I.R.C.A.M. : grâce à eux, cette nouvelle lecture  teintée d’ironie du célèbre mythe, est ici solidement mise en valeur.

 Mireille Davidovici

Création du 16 au 22 juillet au lycée Aubanel, Avignon.

Du 9 janvier au 1er février, Théâtre de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis) et du 7 au 15 février, Théâtre National de Strasbourg.
Du 10 au 14 mars, Théâtre du Nord, Lille et les 20 et 21 mars, Théâtre de Lorient.

Le texte est publié chez L’Arche Editeur

 

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