Small g. -Une Idylle d’été d’après Patricia Highsmith, mise en scène d’Anne Bisang

Small g. -Une Idylle d’été d’après Patricia Highsmith, adaptation et traduction de Mathieu Bertholet, mise en scène d’Anne Bisang

Crédit photo : Guillaume Perret.

Crédit photo : Guillaume Perret.

Décédée à Locarno (Suisse) en 1995,  l’auteure, née en 1921 au Texas, a grandi à New York près d’une mère peu aimante. Considérée comme la reine du roman à ombres et du dédoublement, visionnaire sur les questions de « genre », elle a laissé une œuvre forte dont  Alfred Hitchcock s’est emparé en 1951 avec L’Inconnu du Nord-Express, puis René Clément avec Plein Soleil (1960),  Wim Wenders: L’Ami américain (1977) ; Claude Miller Dites-lui que je l’aime (1977), Michel Deville Eaux Profondes (1981) puis Le talentueux Mr Ripley (1999) et Carol (2015) d’Anthony Minghella,  des films bien connus des cinéphiles.

Mais un chaînon a longtemps été perdu: Les Eaux dérobées, son premier roman, paru en 1952 sous le pseudonyme de Claire Morgan, puis réédité sous le nom de l’auteure en 1983. Selon elle, « premier roman homosexuel qui se terminait si bien », comme l’écrivait François Rivière dans Le Gay Zurich  dans dans Libération en 1995.  Edité au lendemain de sa mort, il se présente comme un écho ultime de ce cri déjà ancien d’une femme en avance, longtemps appliquée à œuvrer dans «le suspense psychologique» et « le roman du malaise ».

Aussersihl, un quartier défavorisé de Zurich en 1990, dont le bistrot Chez Jakob est le cœur. Les habitués vivent, un été dans ce lieu social de rencontres, partageant joies, tristesses, amitiés, amours mais aussi haines et ressentiments. Un café d’échanges, qui n’existe plus aujourd’hui, avec ses expériences de réseaux sociaux in vivo, déconnecté de l’ère numérique balbutiante. Les cafés «tendance » s’épanouissent dans les villes avec des espaces de travail aux où règnent les nouvelles techniques de communication: smartphones, applications de rencontres et réseaux sociaux. Ici, nulle tension, nulle soumission aux échanges par whatsApp et autres selon le genre, l’âge, la classe sociale, les études, les activités et affinités. Les différences quelles qu’elles soient, s’associent  in vivo. Small g. , un établissement fréquenté par les homosexuels mais pas uniquement, est non communautaire et «ouvert» … Le week-end, c’est un bar gay friendly et animé. Les personnages de Patricia Highsmith nous sont proches, ceux d’un monde hanté par la drogue et par le sida meurtrier qu’on ne sait pas soigner. Mais aussi par l’homophobie, à Zurich, après l’évacuation il y a vingt-cinq ans d’un triste endroit autorisé,dans le Platzpitz Park. Il était ouvert à la vente et à la consommation de drogue et la police n’avait plus le droit de procéder à des arrestations…

Chez Jakob, refuge de consolation bienfaisante où une petite société est observée de près, nous sommes invités à passer un moment. Sur une trame inspirée du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec rencontres amoureuses croisées et erreurs, l’auteure peint le quotidien de ce bistrot zurichois. Avec ses habitués, comme Rickie, un dessinateur publicitaire hanté par le meurtre de son ami; il protège Luisa, une jeune couturière triste qui subit la tyrannie de Renate, une patronne acariâtre. Mais survient un éclair de joie chez Luisa: Teddie, un jeune bourgeois étincelant allume le désir au cœur de l’été et la séduit. Mais elle est aussi convoitée par Dorrie, une étalagiste et décoratrice, le cœur sur la main. Avec ce dernier roman testamentaire, l’auteure choisit l’intime et le combat du bonheur contre le poids d’une morale étouffante.

Le personnage de Rickie se rapprocherait de celui de Mr. Ripley, un double masculin de la romancière. Luisa, l’enfant abusée et maltraitée, a quitté les siens pour venir se frotter à la grande ville comme Patricia Highsmith. Renate, une Cruella d’enfer, évoque la figure maternelle abusive et Dorrie pourrait être une Patricia Highsmith émancipée dans sa jeunesse: elle ose, flirte, transgresse et aime la vie… Une vision prémonitoire. C’est un conte avec un Prince charmant joué avec brio, par le lumineux Raphaël Archinard;  la Princesse, elle, est interprétée par la rayonnante Zoé Schellenberger, un sourire apaisé sur les lèvres et  la Sorcière par l’élégante Tamara Bacci. Rudi van der Merwe est le Bon Parrain ,vivant et dynamique  et la pétillante Lola Giouse joue l’amie et Cédric Leproust, interprète avec un juste sens comique, un policier équivoque. L’affection, la tendresse doublée d’une présence amusée unit les habitués du café, alors que des ombres malfaisantes rôdent aux alentours.

Anne Bisang, directrice artistique du TPR-Centre neuchâtelois des arts vivants, à La Chaux-de-Fonds, invite ici le public à goûter l’espace sensuel et à fleur de peau de l’humanité fragile de jeunes gens et celui d’autres moins jeunes. Une vie tissée de deuils et de rencontres, et dans cette fresque avec rebondissements et suspenses, avec aussi une extrême attention portée à l’autre et à ses réactions, l’été correspond à la vraie jeunesse … un moment privilégié de suspension et d’utopie, de transition favorable aux possibles. Un ensemble fraternel de « queer », homosexuels et LGBT, une légitimité nouvelle pour des minorités sexuelles et leur  tribu de cœur, hors de leur famille d’origine.

Ce café est un refuge où puiser des forces et où  trouver un réconfort pour ceux qui se sentent vulnérables sur les chemins ardus d’ouverture vers l’émancipation. Dans cette mise en scène vivante et turbulente, se jouent sans cesse des allers et retours entre texte dialogué et texte raconté, entre moments choraux et scènes intimistes  selon un calcul de probabilités réjouissantes. Au centre du plateau, des espaces entre les tables  ou près du canapé du studio de Rickie, du collectif à l’intime, et autour de la piste de danse, il y a des micros sur pied pour les acteurs qui passent de l’action à la narration, et du récit même, au commentaire joueur, avec boutades et clins d’œil rieurs. La dimension chorégraphique de cet espace social scénographié par Anna Popek,  trouve son épanouissement à travers les mouvements en solo, explicites comme implicites, des danseurs et comédiens Tamara Bacci et Rudi van der Merwe qui  dessinent les esquisses éloquentes et pudiques d’ébats amoureux. Léonard Bertholet, en barman convivial et prévenant, parade derrière son comptoir. Serveurs et habitués de ce lieu ritualisé, les personnages apparaissent à la manière d’êtres dansants, sujets incarnés et évanescents, profondément changeants comme la vie. Discussions avec mots d’esprit propres aux jeux de séduction, distance et recul, mouvements incessants, ce bal est tonique. Un spectacle festif et ludique à tous les sens du terme, sur une réalité ouverte à la diversité mais aussi à l’universelle condition existentielle….

Véronique Hotte

Le spectacle a été créé du 16 au 19 janvier, au Beau-Site, Théâtre Populaire Romand, Centre Neuchâtelois des arts vivants, rue de Beau-Site 30. Confédération Helvétique, 2300 La Chaux-de-Fonds. T :  +41 32 912 57 70.

Comédie de Genève, du 22 janvier au 1er février.
Equilibre-Nuithonie, Villars-sur-Glâne,  les 6 et 7 février. Théâtre Vidy-Lausanne, du 11 au 14 février.

 

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