Una costilla sobre la mesa (Une côte sur la table) : Padre d’Angélica Liddell

Una Costilla sobre la mesa (Une Côte sur la table) : Padre d’Angélica Liddell

Una Costilla sobre la mesa (Une Côte sur la table) : Padre d’Angélica Liddell

Deuxième volet d’un diptyque  dont le premier, Madre (Mère) est joué ici en alternance et avec le même sous-titre : Una costilla sobre la mesa et le même petit livret mais inversé. Avec toujours ce leit-motiv dans son théâtre : l’amour-haine qu’elle voue à ses parents. Oui, mais voilà les rapports parents/fille ont changé… Ils sont décédés il y a peu et à quelques mois d’intervalle…

 Cela commence par un chant religieux dans le noir et elle vitupère devant un corps recouvert d’un drap. «Qu’est-ce que tu es, à présent, mon père ? Qu’est-ce que tu es ? Dévoreur d’araignées, néanmoins homme et père? Père assis au sommet de la création, auréolé, porteur de la parole spermatique et du sperme. Quel genre d’immensité renfermes-tu? ” Et elle se réjouit du cadeau qu’il lui a fait : sa lente agonie… Puis six jeunes femmes obèses aux longs cheveux noirs, absolument nues, arrivent en file. Silencieuses, elles accompagnent un homme jeune en chemise blanche, la trentaine comme elles. Il vocifère au micro H.F.  quelques grands principes d’esthétique et des phrases anti-féministes mais on le comprend mal. 
Puis sur le plateau au sol gris, une table de soins à roulettes, un grand appareil à dialyse, des fauteuils roulants. Ici, plane en permanence la dégradation physique du grand âge : père sous dialyse et mère atteinte de la maladie d’Alzeimer… Angélica Liddell est obsédée, et on la comprend par leur mort à tous les deux, comme elle l’était auparavant par leur existence. Bref, quand on est parent d’une enfant comme elle, on a tout faux…

© Tuong-Vi Nguyen

© Tuong-Vi Nguyen

Dans ce cérémonial aux musiques souvent religieuses, il y a une obsession du corps, de cette enveloppe, dénominateur commun à tous les êtres humains. Ici, la pudeur est un mot qui n’existe plus. Le père, tout maigre, tout petit aux cheveux blancs (Camilo Silva) est en couche-culotte comme le bébé qu’il a été autrefois et soumis aux infirmières en blouse rouge et blanche marquée d’une croix. Le vieil homme suspendu dans une nacelle télécommandée, attend en silence qu’on le puisse aller le doucher. Mais ici inversion des rôles : Angélica Liddell se déshabille et lui soumis, va nettoyer les fesses de sa fille soi-disant couverte d’excréments. Qui, en même, elle en profite pour se masturber… Citation  inversée d’un moment de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci -cible il y a neuf ans des catholiques intégristes- où un fils enlevait la couche de son père et le lavait devant un tableau du Christ? Ici cela se passe  devant un fragment de peinture classique représentant la vierge.

Angélica Liddell urine face public (merci à Jan Fabre qui avait déjà créé cette image ) dans un bocal dont elle verse le contenu dans un gros tube à essai. Autre inversion tout aussi physiologique, celle-là : le père ne pouvant plus uriner à cause d’une insuffisance rénale et la fille, elle urinant sans difficulté, et debout comme un homme… Au mur, le détail d’un tableau classique avec le beau visage voilé d’une vierge Marie. Un peu lointaine et en même temps proche de son père, un ancien officier supérieur comme on le savait et comme on l’apprend au détour d’une phrase, elle lui prépare ses médicaments. Mais cette ombre de lui-même ne parle plus guère et ne se souvient plus du nom du film qu’il a vu la veille mais de certains détails. Il y a aussi un enfant de quatre ans en slip blanc qui entre seul dans cet univers que, semble nous dire Angélica Liddell, il connaîtra, lui aussi, dans quelque quarante ans…  Le théâtre d’Angélica Liddell se situe dans un présent qui n’est pas le présent et un passé qui n’est pas toujours pas passé…
 

© Tuong-Vi Nguyen

© Tuong-Vi Nguyen

Il y a aussi six jeunes femmes obèses et le plus souvent absolument nues ou juste vêtues d’un grand jupon de coton blanc. Angélica Liddell veut aussi lire à son père des extraits des leçons d’Esthétique de Hegel: « Il est déjà permis de soutenir que le beau dans l’art est plus élevé que le beau dans la nature. Car le beau artistique est le beau généré et régénéré par l’esprit. Or, autant l’esprit et ses créations sont plus élevés que la nature et ses productions, autant la beauté dans l’art est plus élevée que la beauté de l’esprit.»  Et déroule sur un écran le sommaire détaillé de Présentation de Sacher-Masoch de Gilles Deleuze. Puis plus tard, le jeune homme revient avec les groupe de jeunes femmes qui s’allongent sur le sol puis sur le canapé d’un salon et un lit, tous les deux d’un blanc immaculé…  Des corps hors-norme, sans doute soigneusement choisis comme celui du père. Mais avec quelle intention?  Invitation  à un certain voyeurisme, comme se le demandaient des étudiantes près de nous ou provocation bien ciblée avec des images un peu faciles?  On ne sait trop mais il y sans doute ici la volonté de dire le naufrage de la vieillesse telle qu’elle l’a vécue avec ses parents et un vain essai pour exorciser celle qu’elle vivra dans une quarantaine d’années. «Le passé me tourmente et je crains l’avenir, disait déjà Corneille. »

Angélica Liddell dans tous ses spectacles a toujours mis en scène des corps nus, voire amputés comme un homme amputé des bras…  Et aucune gêne, semble-t-il, parmi le public qui sans doute en a vu d’autres mais… un ennui certain dans cette salle pas très pleine : des couples, les mains enlacées épaule contre épaule sommeillent doucement…. Une belle image. Elle, en longue robe bleu pâle, injurie le jeune homme à genoux et exige de lui une parfaite soumission. Et le prévient aimablement qu’elle le considérera comme son esclave. Les mêmes phrases de ce torrent d’injures et d’imprécations contre les hommes en général reviennent en boucle. Et elle fait marcher son compagnon sur un (faux !) tas de crottin de cheval. Mais cette fois-ci, cette guerre contre le mâle contemporain et son envie de lui régler ses comptes, trouve ses limites et ne fonctionne pas. Malgré, comme d’habitude, une belle précision dans la mise en scène, une référence des plus remarquables à la peinture en fond de scène : une toile avec seulement deux yeux de femme qui nous fixent intensément et un choix de musiques des plus raffinés…

 La créatrice réussit toujours à construire de beaux tableaux  et à tisser de remarquables liens entre les arts plastiques, le théâtre proprement dit, des textes philosophiques ou littéraires et la musique. Oui, mais ici, toute cette dramaturgie a un côté brouillon, répétitif et on décroche assez vite. Entre autres approximations de cette mise en scène, le texte n’a pas, et de loin sauf à quelques rares moments, la qualité de ceux que la dramaturge espagnole nous avait offert. Après une heure quarante, sur une dernière image qui se voudrait forte mais qui ne l’est pas: le père allongé sur sa fille les jambes écartées, le rideau noir tombera pour ne plus se relever. Elle et ses acteurs ne viendront pas saluer… Cela valait peut-être mieux: il y a eu quelques  timides applaudissements, loin de l’ovation debout qu’on avait connu à la fin de La Maison de la Force vers 2 h du matin au Cloître des Carmes en Avignon, un spectacle qui révéla Angelica Liddell qu’on aura donc connue mieux inspirée… Qui peut concerner ce décevant Padre ? Les gens comme nous qui auront connu presque pareille épreuve avec la maladie de deux des leurs ? On peut en douter: ce spectacle curieusement n’inspire aucune empathie. Le public qui a déjà vu des spectacles d’elle ? Il n’aura pas une bien haute opinion de cette construction philosophico-esthétisante assez prétentieuse. Quant aux jeunes gens qui n’avaient jamais rien vu d’elle, quand on parlait avec eux après le spectacle, ils trouvaient la chose bien faite mais ennuyeuse et avaient visiblement du mal à en percevoir l’intérêt. Bien vu. Et que vaut La Madre ? En tout cas, ce sera sans nous …

Philippe du  Vignal

Una Costilla sobre la mesa : Padre jusqu’au 7 février et, en alternance, Madre, jusqu’au 9 février. Théâtre de la Colline, 13 rue Malte Brun, Paris ( XX ème).

Une Côte sur la table (Una costilla sobre la mesa), traduction de Christilla Vasserot, est publié aux Solitaires intempestifs. 17 €.

 


Archive pour 26 janvier, 2020

Una costilla sobre la mesa (Une côte sur la table) : Padre d’Angélica Liddell

Una Costilla sobre la mesa (Une Côte sur la table) : Padre d’Angélica Liddell

Una Costilla sobre la mesa (Une Côte sur la table) : Padre d’Angélica Liddell

Deuxième volet d’un diptyque  dont le premier, Madre (Mère) est joué ici en alternance et avec le même sous-titre : Una costilla sobre la mesa et le même petit livret mais inversé. Avec toujours ce leit-motiv dans son théâtre : l’amour-haine qu’elle voue à ses parents. Oui, mais voilà les rapports parents/fille ont changé… Ils sont décédés il y a peu et à quelques mois d’intervalle…

 Cela commence par un chant religieux dans le noir et elle vitupère devant un corps recouvert d’un drap. «Qu’est-ce que tu es, à présent, mon père ? Qu’est-ce que tu es ? Dévoreur d’araignées, néanmoins homme et père? Père assis au sommet de la création, auréolé, porteur de la parole spermatique et du sperme. Quel genre d’immensité renfermes-tu? ” Et elle se réjouit du cadeau qu’il lui a fait : sa lente agonie… Puis six jeunes femmes obèses aux longs cheveux noirs, absolument nues, arrivent en file. Silencieuses, elles accompagnent un homme jeune en chemise blanche, la trentaine comme elles. Il vocifère au micro H.F.  quelques grands principes d’esthétique et des phrases anti-féministes mais on le comprend mal. 
Puis sur le plateau au sol gris, une table de soins à roulettes, un grand appareil à dialyse, des fauteuils roulants. Ici, plane en permanence la dégradation physique du grand âge : père sous dialyse et mère atteinte de la maladie d’Alzeimer… Angélica Liddell est obsédée, et on la comprend par leur mort à tous les deux, comme elle l’était auparavant par leur existence. Bref, quand on est parent d’une enfant comme elle, on a tout faux…

© Tuong-Vi Nguyen

© Tuong-Vi Nguyen

Dans ce cérémonial aux musiques souvent religieuses, il y a une obsession du corps, de cette enveloppe, dénominateur commun à tous les êtres humains. Ici, la pudeur est un mot qui n’existe plus. Le père, tout maigre, tout petit aux cheveux blancs (Camilo Silva) est en couche-culotte comme le bébé qu’il a été autrefois et soumis aux infirmières en blouse rouge et blanche marquée d’une croix. Le vieil homme suspendu dans une nacelle télécommandée, attend en silence qu’on le puisse aller le doucher. Mais ici inversion des rôles : Angélica Liddell se déshabille et lui soumis, va nettoyer les fesses de sa fille soi-disant couverte d’excréments. Qui, en même, elle en profite pour se masturber… Citation  inversée d’un moment de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci -cible il y a neuf ans des catholiques intégristes- où un fils enlevait la couche de son père et le lavait devant un tableau du Christ? Ici cela se passe  devant un fragment de peinture classique représentant la vierge.

Angélica Liddell urine face public (merci à Jan Fabre qui avait déjà créé cette image ) dans un bocal dont elle verse le contenu dans un gros tube à essai. Autre inversion tout aussi physiologique, celle-là : le père ne pouvant plus uriner à cause d’une insuffisance rénale et la fille, elle urinant sans difficulté, et debout comme un homme… Au mur, le détail d’un tableau classique avec le beau visage voilé d’une vierge Marie. Un peu lointaine et en même temps proche de son père, un ancien officier supérieur comme on le savait et comme on l’apprend au détour d’une phrase, elle lui prépare ses médicaments. Mais cette ombre de lui-même ne parle plus guère et ne se souvient plus du nom du film qu’il a vu la veille mais de certains détails. Il y a aussi un enfant de quatre ans en slip blanc qui entre seul dans cet univers que, semble nous dire Angélica Liddell, il connaîtra, lui aussi, dans quelque quarante ans…  Le théâtre d’Angélica Liddell se situe dans un présent qui n’est pas le présent et un passé qui n’est pas toujours pas passé…
 

© Tuong-Vi Nguyen

© Tuong-Vi Nguyen

Il y a aussi six jeunes femmes obèses et le plus souvent absolument nues ou juste vêtues d’un grand jupon de coton blanc. Angélica Liddell veut aussi lire à son père des extraits des leçons d’Esthétique de Hegel: « Il est déjà permis de soutenir que le beau dans l’art est plus élevé que le beau dans la nature. Car le beau artistique est le beau généré et régénéré par l’esprit. Or, autant l’esprit et ses créations sont plus élevés que la nature et ses productions, autant la beauté dans l’art est plus élevée que la beauté de l’esprit.»  Et déroule sur un écran le sommaire détaillé de Présentation de Sacher-Masoch de Gilles Deleuze. Puis plus tard, le jeune homme revient avec les groupe de jeunes femmes qui s’allongent sur le sol puis sur le canapé d’un salon et un lit, tous les deux d’un blanc immaculé…  Des corps hors-norme, sans doute soigneusement choisis comme celui du père. Mais avec quelle intention?  Invitation  à un certain voyeurisme, comme se le demandaient des étudiantes près de nous ou provocation bien ciblée avec des images un peu faciles?  On ne sait trop mais il y sans doute ici la volonté de dire le naufrage de la vieillesse telle qu’elle l’a vécue avec ses parents et un vain essai pour exorciser celle qu’elle vivra dans une quarantaine d’années. «Le passé me tourmente et je crains l’avenir, disait déjà Corneille. »

Angélica Liddell dans tous ses spectacles a toujours mis en scène des corps nus, voire amputés comme un homme amputé des bras…  Et aucune gêne, semble-t-il, parmi le public qui sans doute en a vu d’autres mais… un ennui certain dans cette salle pas très pleine : des couples, les mains enlacées épaule contre épaule sommeillent doucement…. Une belle image. Elle, en longue robe bleu pâle, injurie le jeune homme à genoux et exige de lui une parfaite soumission. Et le prévient aimablement qu’elle le considérera comme son esclave. Les mêmes phrases de ce torrent d’injures et d’imprécations contre les hommes en général reviennent en boucle. Et elle fait marcher son compagnon sur un (faux !) tas de crottin de cheval. Mais cette fois-ci, cette guerre contre le mâle contemporain et son envie de lui régler ses comptes, trouve ses limites et ne fonctionne pas. Malgré, comme d’habitude, une belle précision dans la mise en scène, une référence des plus remarquables à la peinture en fond de scène : une toile avec seulement deux yeux de femme qui nous fixent intensément et un choix de musiques des plus raffinés…

 La créatrice réussit toujours à construire de beaux tableaux  et à tisser de remarquables liens entre les arts plastiques, le théâtre proprement dit, des textes philosophiques ou littéraires et la musique. Oui, mais ici, toute cette dramaturgie a un côté brouillon, répétitif et on décroche assez vite. Entre autres approximations de cette mise en scène, le texte n’a pas, et de loin sauf à quelques rares moments, la qualité de ceux que la dramaturge espagnole nous avait offert. Après une heure quarante, sur une dernière image qui se voudrait forte mais qui ne l’est pas: le père allongé sur sa fille les jambes écartées, le rideau noir tombera pour ne plus se relever. Elle et ses acteurs ne viendront pas saluer… Cela valait peut-être mieux: il y a eu quelques  timides applaudissements, loin de l’ovation debout qu’on avait connu à la fin de La Maison de la Force vers 2 h du matin au Cloître des Carmes en Avignon, un spectacle qui révéla Angelica Liddell qu’on aura donc connue mieux inspirée… Qui peut concerner ce décevant Padre ? Les gens comme nous qui auront connu presque pareille épreuve avec la maladie de deux des leurs ? On peut en douter: ce spectacle curieusement n’inspire aucune empathie. Le public qui a déjà vu des spectacles d’elle ? Il n’aura pas une bien haute opinion de cette construction philosophico-esthétisante assez prétentieuse. Quant aux jeunes gens qui n’avaient jamais rien vu d’elle, quand on parlait avec eux après le spectacle, ils trouvaient la chose bien faite mais ennuyeuse et avaient visiblement du mal à en percevoir l’intérêt. Bien vu. Et que vaut La Madre ? En tout cas, ce sera sans nous …

Philippe du  Vignal

Una Costilla sobre la mesa : Padre jusqu’au 7 février et, en alternance, Madre, jusqu’au 9 février. Théâtre de la Colline, 13 rue Malte Brun, Paris ( XX ème).

Une Côte sur la table (Una costilla sobre la mesa), traduction de Christilla Vasserot, est publié aux Solitaires intempestifs. 17 €.

 

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