Angels in America de Tony Kushner, version scénique et mise en scène d’Arnaud Desplechin
Angels in America de Tony Kushner, texte français de Pierre Laville, version scénique et mise en scène d’Arnaud Desplechin
Le cinéaste avait déjà monté Père de Strindberg en 2015 à la Comédie-Française; avec cette mise en scène, l’œuvre du dramaturge américain (soixante-trois ans) entre ainsi au répertoire. « Juif, homosexuel et marxiste » ainsi se présentait-il. La pièce? Une “impureté théâtrale”dont Arnaud Desplechin, est tombé, dit-il, amoureux. « Le mélange des genres propre à Kushner m’enchante : c’est Shakespeare, et Brecht, plus Broadway! » La pièce en deux volets : Le Millenium approche (1987 et le second Perestroïka (1989), avait obtenu quatre ans plus tard après sa création, le prix Pulitzer et un Tony Award, puis elle fut adaptée à la télévision et à l’opéra. En France, elle avait été montée par Brigitte Jaques en 94, de façon absolument remarquable mais d’abord avec une création de la première partie, puis deux ans plus tard, de la seconde. Soit le tout en quelque six heures… Angels in America fut aussi mise en scène au festival d’Avignon 2007 par Krzystof Warlikowski.
L’auteur montre de façon très réaliste la société américaine. Avec histoires politiciennes mais aussi relations intimes de couples. Le tout sur fond anxiogène de sida qui fit des ravages dans les milieux homosexuels. Avec quelque vingt-trois personnages, la pièce est une sorte de condensé de la vie new-yorkaise entre 1985 et 1990. Les Républicains avec Reagan comme président sont au pouvoir et le sida, longtemps considéré comme une punition divine par beaucoup de gens, conduit les malades vers une mort rapide. Et cette épidémie fulgurante va aussi vite menacer les hétéros.
Ici, on croise des anges qui parlent du rêve américain, des scandales au parti républicain. Et apparait aussi l’ombre d’Ethel Rosenberg qui, avec son époux Julius, -des new-yorkais communistes- fut jugée coupable d’espionnage au profit de l’URSS. Ils furent exécutés sur la chaise électrique en 1953. Malgré la protestation de nombreux chercheurs et intellectuels dont Albert Einstein et, en France : Marcel Aymé, Marguerite Duras, Albert Camus, Henri Matisse, Maria Casarès, Serge Lifar….
Angels in America à la lecture, même si la pièce parait maintenant un peu datée, reste une fresque empreinte de vérité et de poésie. Mais ici, c’est une adaptation très raccourcie du texte original et la dramaturgie en devient bancale: on n’y retrouve pas toute la peinture du climat politique que l’auteur fait de cette époque et qu’avait si bien réussi à mettre en valeur Brigitte Jaques, notamment les discussions sur la démocratie, et qui tombe ainsi dans les oubliettes. Et on comprend vite qu’on ne peut retrouver ici la saveur de cette pièce dans cette adaptation des plus approximatives. Pourquoi ne pas avoir traité la pièce en deux parties distinctes? Pas dans les mœurs de la maison? Tout se passe comme si, par exemple, on réduisait L’Orestie d’Eschyle à une heure et demi.
Par ailleurs, Arnaud Desplechin traite le texte comme un scénario de cinéma avec de trop courtes séquences, ce qui casse le rythme. Et cette incessante circulation de rideaux, et de tampons qui n’arrêtent pas de monter et de disparaître dans les dessous, devient vite exaspérante. Dans cette pièce touffue, on croise des anges qui parlent du rêve américain, des scandales au parti républicain… mais aussi des jeunes gens qui se retrouvent dans les parcs comme Prior, atteint du sida et amoureux de Louis. Ou Roy Cohn, procureur juif homosexuel, anti-sémite et homophobe qui, lui, continue à nier l’existence du virus et prétend: « ne pas être pas un homosexuel mais un hétérosexuel qui s’éclate avec des mecs.» Il avait tout fait pour accabler les époux Rosenberg. Et Belize, un infirmier noir et fier de l’être, ancien drag-queen, qui est avec ses malades d’une grande bienveillance…
Les scènes simultanées sont bien mises en scène et il y a quelques belles projections de photos de New York en fond de scène qui restituent un peu le climat de la pièce. Et on aime bien voir ces Anges qui volent avec grâce dans le ciel, attachés à des câbles visibles… Mais il y a vraiment, et surtout dans la première partie, des moments où l’on s’ennuie ferme, alors que le texte aurait pu être beaucoup mieux traité.
Côté interprétation, Dominique Blanc s’impose dès qu’elle apparait sur le plateau. Elle joue entre autres, et visiblement avec saveur, le rabbin Isidor Chemelwitz, Ethel Rosenberg, un bolchevik et l’Ange Asiatica. Florence Viala, incarne aussi plusieurs personnages: l’Ange de l’Amérique, l’Infirmière Emily, Martin Heller et la Femme du Bronx. Michel Vuillermoz (Roy Cohn) fait le boulot mais ne semble pas vraiment à l’aise dans ce personnage burlesque. Mais au moins, on entend ces trois vieux routiers du Français… Quant aux plus jeunes acteurs comme Jennifer Decker (Harper Pitt), Clément Hervieu-Léger (Prior), Jérémy Lopez (Louis) et Christophe Montenez (Joe Pitt), ils boulent souvent leur texte et pourraient soigner davantage leur diction. On va encore nous dire que c’était la première et que les choses vont se mettre en place. Peut-être mais de toute façon, cet Angels in America méritait en tout cas mieux que cette adaptation et cette mise en scène bien décevantes.
Philippe du Vignal
Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette, Paris (Ier) jusqu’au 27 mars.
La pièce, traduction de Gérard Wajcman en collaboration avec Jacqueline Lichtenstein, est éditée à L’Avant-scène théâtre, n° 957 et n° 987-988)