Splendeur d’Abi Morgan, mise en scène de Delphine Selkin

Splendeur d’Abi Morgan, traduction et dramaturgie de Daniel Loayza, mise en scène de Delphine Selkin

©Eric Miranda

©Eric Miranda

 A l’intérieur du palais somptueux du Président, véritable tyran d’un pays qui fait songer à la Roumanie de Ceaucescu… Le titre rappelle celui du film d’Orson Welles La Splendeur des Amberson (1942), adapté du roman de Booth Tarkington qui décrit fêtes et petites histoires du clan fortuné des Amberson dont la splendeur n’est qu’apparente. Comme dans cette maison et à l’intérieur de soi. Quatre femmes se retrouvent chez la plus riche et la plus puissante d’entre elles, la femme du Président. Réunies pour un portrait de groupe involontaire… Madeleine, élégante et sûre d’elle (la grande Christiane Cohendy) est l’épouse du maître du pays. Geneviève, sa meilleure amie officielle la rejoint dès qu’elle l’appelle (Laurence Roy qui  joue à plaisir du non-dit).

Les cheveux trempés, en ces temps de neige, elle est allée chez son amie en voiture, après avoir traversé une zone proche de celle des combats. Quand elle arrive, deux autres «intruses» sont déjà là: Kathryn, une photo-reporter étrangère. Débrouillarde et autoritaire, elle reste toujours sur ses gardes (remarquable Anne Sée, ici  à contre-emploi).  Elle manipule tout au long du spectacle son appareil professionnel et est la première narratrice à reconstituer a posteriori les dernières heures de la Première Dame, en se remémorant ses conversations et ses obsessions. Il y aussi Gilma (Roxane Roux), la jeune guide-interprète de la photographe. Issue d’un des deux camps  ennemis, elle est réaliste et terre à terre, intéressée par les objets à chaparder dans cette demeure cossue, comme de petits verres et un vase de cristal rouge de Venise… La photographe surveille de près cette accompagnatrice équivoque qu’elle a vu négocier la course de taxi avec le conducteur, haussant le prix pour qu’elle et lui se partagent le supplément. L’interprète affamée se jette sur les plats sommaires qu’on lui propose et on se rend compte qu’elle ne traduit pas exactement la parole des unes et des autres, mais qu’elle intervient comme bon lui semble, mentant, censurant ou occultant les conversations…

La pièce pourrait s’intituler En attendant Oolio, du nom du despote: comme dans l’œuvre de Samuel Beckett, Oolio, en effet, ne viendra pas au rendez-vous. Mais la dramaturgie de l’auteure anglaise est lancinante, répétitive et joue à la fois de la récurrence et de la variation, de l’implicite et du non-dit, dans un mouvement dialectique. Les mêmes scènes sont rejouées comme l’arrivée de la meilleure amie un peu égarée sous la neige,  ou le bris du fameux vase de cristal précieux dont se saisit la jeune guide, les extraits de conversation entre les deux amies sur la situation de leurs enfants, les propos aigres-doux échangés entre la reporter et la guide-interprète…

Une parole à la manière d’un kaléidoscope qui laisserait jouer la lumière ou le son sur  l’aspect d’une phrase ou d’une histoire qui n’aurait pas été suffisamment mis en valeur ou explicité. Pour qu’enfin nous comprenions  le sens plus aigu et acéré de la situation, selon un rythme entêtant à la Thomas Bernhard, quand se rapproche la menace des troubles militaires et civils aux alentours immédiats. L’amie, veuve d’un peintre considéré comme dissident et «suicidé», est-elle une amie, ou une citoyenne soumise aux exactions du pouvoir ? Il y a des échanges entre personnages ou bien un seul s’exprime via une voix intérieure et en aparté. Avec aussi des monologues notamment, quand elles téléphonent derrière un paravent mural en guise de refuge. Elles se tiennent aussi parfois face public, en livrant leurs  pensées secrètes et inavouées et en s’approchant encore de leur vérité… jusqu’à ce que la tragédie fatale arrive inéluctable, irréversible..

Entre scènes mi-dialoguées et libres commentaires, les figures muettes du drame accomplissent alors des mouvements dansés chorégraphiés par Marion Lévy, en se débattant dans des vents contraires. Un spectacle rigoureux d’une forme concertante maîtrisée qui laisse peu à peu sourdre la haine tapie en soi, la frustration et le sentiment d’injustice.

 Véronique Hotte

Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff, du 28 au 31 janvier.

La MC2 Grenoble -Scène nationale, du 4 au 8 février. MA, Scène nationale-Pays de Montbéliard, le 20 février.
Le Manège-Scène Nationale de Maubeuge, le 3 mars. La Comète-Scène nationale de Châlons-en-Champagne, le 6 mars. Maison de la Culture de Bourges, les 10 et 11 mars. Théâtre de l’Archipel, Scène Nationale de Perpignan, du 24 au 27 mars.


Archive pour 31 janvier, 2020

Not I, conception et chorégraphie de Camille Mutel

Festival Faits d’hiver

Not I, conception et chorégraphie de Camille Mutel

 

©charleneyves

©charleneyves

Ce solo, avec des natures mortes intimistes d’une délicatesse qui rappelle la cérémonie du thé au Japon, a été conçue par cette artiste qui a été marquée par un spectacle de danse butô quand elle avait vingt ans. Une fine rampe lumineuse au sol la sépare d’un public de cinquante personnes sur deux rangs. Artiste résidente à la villa Kujoyama, elle rend ici un bel hommage à ses maîtres japonais, avec une gestuelle d’une grande rigueur.

Un tissu blanc enroulé, une planche en bois, un plat rempli d’oignons, un étau posés au sol. La danseuse se livre à un cérémonial, en passant très lentement d’un élément à  l’autre, selon sa propre logique, qu’il ne faut pas révéler. Un couteau de cuisine, une sonde à disséquer et un hareng,  qu’elle porte sur elle, viennent compléter ces natures mortes.

Dans cet espace réduit, la maîtrise des postures est parfaite, tout au moins au début de ces soixante-cinq minutes. Les attitudes qu’elle imprime à chaque étape, constituent des instantanés très esthétiques et sa performance pourrait trouver sa place dans un centre d’art contemporain.  Camille Mutel nous voit mais sans nous regarder, déplace ces objets du quotidien avec des gestes doux et un peu mécaniques. Au rituel final, un sourire aux lèvres, elle offre un verre de vin à un spectateur: le temps est suspendu ! Un moment rare de lenteur et concentration dans  notre monde qui vit dans la vitesse…

Jean Couturier

Spectacle joué les 28  et 29 janvier, au Point Ephémère, 200 quai de Valmy Paris (X ème) T. 01 40 34 02 48.

Le festival Faits d’hiver se poursuit jusqu’au 7 février

 

Les Fausses Confidences, mise en scène de Fotis Makris

Les Fausses Confidences de Marivaux, traduction en grec d’Andreas Staikos, mise en scène de Fotis Makris

79529952_10218576875827703_7029593318623281152_o - copieCette comédie créée par les Comédiens-Italien en 1737 est une pièce de maturité: Marivaux a  quarante-neuf ans et son écriture dramatique a  évolué. Peut-être moins brillante mais plus psychologique. Les personnages sont parfois distraits et ici, l’inconscient affleure souvent. Comme dans tout son théâtre, l’amour et sa naissance sont trahis par des propos dont la signification échappe à celui qui les prononce et ne sont évidents que pour le spectateur.

Dans un premier temps, le personnage ignore qu’il est amoureux, triche avec lui-même, fuit la réalité de ses sentiments puis voit enfin clair en lui-même… La pièce peut alors s’achever par l’aveu, la déclaration et la mise au net. Marivaux raconte toujours un peu la même histoire, celle d’un amour inconscient mais lisible par le spectateur. Et les sentiments des personnages triomphent alors des obstacles, le plus souvent intérieurs.

Ici, Araminte doit accepter d’aimer au-dessous de sa condition  malgré les ambitions de sa mère qui rêve de la voir épouser un aristocrate et non un simple intendant désargenté. Marivaux oblige chacun à être au clair avec son propre désir amoureux qu’il place au-dessus des intérêts financiers… Il en fait une force vive grâce à laquelle cette veuve  arrive ici à être en harmonie avec elle-même et à exercer pleinement sa liberté de femme émancipée…. Dubois a beau être un valet machiavélique dont les motivations  restent en partie mystérieuses mais il aidera Araminte à accoucher de sa vérité.

Chez Marivaux, le personnage  a souvent peur de se découvrir désirant et craint de perdre la maîtrise de soi. Plus son désir est puissant, plus il le plonge dans un chaos qui menace son identité. Et la surprise et la naissance de l’amour, telles que Marivaux les met en scène, restent d’actualité, quelque siècles après. Les sociétés changent, et avec elles, les préjugés et les relations entre hommes et femmes mais le désir, quelle que soit l’époque, est toujours une  révolution intérieure et l’amour, une  aventure où on se perd pour mieux se trouver.

Le grand dramaturge du XVIII ème siècle décrit mieux que personne ce branle-bas dans  l’inconscient que nos paroles révèlent, en échappant à notre propre intelligence. Et c’est sur cette notion de lapsus, bien avant que Freud ne le théorise,  que repose souvent le comique délicat de Marivaux. Mais Fotis Makris n’arrive pas à en saisir l’esprit fondé sur les sous-entendus… Il crée une sorte de méta-texte et a tendance à commenter presque chaque réplique. Dans cette version de la pièce, qu’il voudrait contemporaine, une gestualité excessive « explique » le texte, des musiques diverses interrompent l’action et visent à illustrer ce que l’écrivain veut cacher. Cela se passe dans un salon actuel où domine la couleur rose: un écran  de télévision  diffuse à des moments précis, des extraits de documentaires sur la reproduction de reptiles, une émission de gymnastique et des instants d’un film pornographique! En fait, ces associations d’idées superficielles ont pour seul but d’épater ou provoquer, avec toujours une tendance à commenter… Le jeu expressif des comédiens expressif complète la parole dans ce spectacle mais cette recherche expérimentale sur le texte ne fonctionne pas. Il faut signaler le travail du dramaturge Andréas Staikos qui a réussi à bien traduire en grec l’esprit même du marivaudage.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes. T. : 0030 210 64 53 330.

Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mise en scène de Stéphane Braunschweig

 

Crédit photo : Elisabeth Carecchio.

©: Elisabeth Carecchio

Le directeur de l’Odéon a monté avec tact, précision et sensibilité, cette pièce (1897) de Tchekhov dont il a déjà mis en scène La Cerisaie La Mouette et Les Trois Sœurs. Il fait entendre la voix du dramaturge russe qui, à travers son art révèle les motivations intérieures des êtres et les relations nouées entre eux : travail, pouvoir, convictions, amour, amitié, reconnaissance sociale, grand âge.  Soit l’état existentiel d’un monde mais aussi de manière anticipée, l’état physique d’une planète qui aujourd’hui se dégrade sûrement, en perdant un capital-santé irréversible.

 «L’homme a été doué de raison et de force créatrice pour multiplier ce qui lui était donné, mais, jusqu’à présent, il n’a pas créé, il a détruit. Les forêts, il y en a de moins en moins, les rivières tarissent, le gibier a disparu, le climat est détraqué.et, chaque jour, la terre devient plus pauvre et laide… »Ainsi, parle Astrov, le médecin éclairé d’Oncle Vania, et porte-parole de l’auteur. Et on comprend l’attirance amoureuse qu’a pour lui, Sonia, la nièce de Vania. Ces solitaires gèrent la demeure familiale et ce médecin de campagne inspiré, habité et actif sauve de la hache  les bouleaux et les autres arbres. Cet « homme qui plantait des arbres» avant l’heure, donne vie à une jeune forêt: «Toqué» peut-être, mais précurseur lucide bien conscient de favoriser la vie des hommes dans mille ans. Même si pour l’heure, tout semble détraqué et les scientifiques sonnent l’alarme  pour que l’on réagisse au pillage de notre environnement naturel. Le sous-titre de la pièce : Scènes de vie à la campagne, est la métaphore de la disparition d’un monde, entre catastrophes climatiques ouvertes et catastrophes relatives : échecs personnels et sentimentaux.

Stéphane Braunschweig a conçu ici les abords d’une villégiature ensoleillée, avec bains de soleil et piscine intégrée dont l’eau scintillante se reflète sur les parois en lattes de bois. Au lointain, une forêt de troncs d’arbres verticaux, élancés vers le ciel dont n’apparaît que la partie médiane. Et à l’acte III, ne reste du paysage boisé vivant initial des arbres sur pied, qu’une étendue horizontale  dévastée… un paysage de guerre, avec une accumulation de souches et branches grises, à la suite de coupes de bois… Au-dessus de l’avancée scénique, un  grand panneau de bois qui pourrait rappeler le fonctionnement de la guillotine, que soutiennent deux montants de bois et dont la lunette pourrait rétrécir, sous la menace d’un couperet prêt à s’abattre. Une vision d’enfer où tout pourrait disparaître : terres et hommes, alors même que la population mondiale ne cesse d’augmenter…

 On a le sentiment d’étouffement et destruction que peuvent avoir des personnages, malgré la médecine, la volonté d’écologie, le travail quotidien de la propriété, le désir d’art. Et il y a aussi toujours le rêve d’un ailleurs et d’un bonheur inaccessibles. Vania est amoureux de la seconde femme de son beau-frère, Elena comme le médecin Astrov, lui, plus chanceux quant à la réciprocité. Quant à Sonia, la nièce, elle éprouve un attrait irrésistible mais sans  espoir pour Astrov.

Pourtant avec des désirs à jamais insatisfaits, les êtres réussissent à vivre  malgré leurs peines. Et les grands acteurs du Théâtre des Nations de Moscou impulsent à la pièce tout l’élan tonique et l’émotion dont ils sont capables. Larmes versées, apitoiement sur soi et  compassion… Mais malgré tout, la vie l’emporte.

 Véronique Hotte

Le spectacle a été joué à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon Paris (VI ème),  du 20 au 26 janvier. T. : 01 44 85 40 40.

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