Festival VIS À VIS Portraits Woyzeck et Frictions #2/ Héros Habitus,
Festival VIS À VIS
« Les détenus ont des droits dont le droit à la culture , rappelle en début de soirée, le directeur inter-régional de l’Administration pénitentiaire. Les artistes et la culture sont un levier de prévention des récidives et donnent des outils de compréhension et de langage.» De nombreux artistes interviennent en milieu carcéral et nous avons pu voir quelques uns de leurs spectacles : au dernier festival d’Avignon, Macbeth Philosophe réalisé par Olivier Py et Enzo Verdet au Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet et au festival Montpellier-Danse, Soul Kitchen, chorégraphie d’Angelin Preljocaj, avec des détenues à la prison des Baumettes II, à Marseille (voir Le Théâtre du blog). Il est important de faire connaître ce travail : un bol d’air pour les prisonniers, une découverte pour le public. Ces projets réservent parfois de belles surprises. Par exemple, le premier chant de L’Iliade, monté par la compagnie Trama avec les détenus du Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin et présenté à VIS À VIS en 2016, est devenu un spectacle qui est parti en tournée.
Pour sa troisième édition, le festival VIS A VIS rassemble des créations réalisées avec les détenus de plusieurs établissements d’Île-de-France. Chaque soirée réunit deux propositions et les résultats sont souvent tributaires des conditions où se déroulent les ateliers. Avec des intervenants confrontés aux aléas de la vie pénitentiaire : horaires bousculés, disponibilité et volatilité des participants, problème de locaux… Ce programme que nous avons suivi illustre bien la disparité entre les spectacles…
Portraits Woyzeck d’après Woyzeck de Georg Büchner, mise en scène de Gilles Nicolas et Pauline Parigot, au Centre pénitentiaire de Fresnes
Les intervenants n’ont disposé que d’une trentaine d’heures pour construire cette courte pièce. Dix détenus prévus mais trois n’ont pu être là pour diverses raisons et à la fin, il a fallu revoir la distribution. Un joli récit poétique introduit le spectacle : l’histoire d’un homme qui court après ses rêves et qui ne les trouve pas : « Il est monté au ciel, la lune, un bout de bois fané ; le soleil, un tournesol fané. » Quelques pas de danse et Woyzeck entre en scène, se confiant à son ami Andrès. Ils seront plusieurs à endosser les rôles principaux de cette fable au dénouement tragique : pour mieux cerner les situations et les enjeux du texte, les metteurs en scène ont conçu le spectacle à partir d’improvisations, laissant chacun libre d’utiliser ses propres mots. Au terme de cet atelier, la pièce laissée inachevée par son auteur nous laisse sur une impression d’incomplétude. Reste la générosité de ces jeunes hommes, leur énergie et leur plaisir à faire du théâtre.
Frictions #2/ Héros Habitus, réalisation d’Antony Quenet, Caroline Beuret et Pierre-Vincent Chapus au Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin
Auteur, écrivain et performeur, Antony Quenet a imaginé une rencontre improbable entre le sociologue Pierre Bourdieu et Rocky Balboa, une star de la boxe, personnage fictif incarné au cinéma par Sylvester Stallone. Selon les règles d’écriture immuables de la série des Rocky, s’élabore le scénario de cette confrontation : «Cela pourrait se passer à Philadelphie, sur un ring de boxe, dans une salle miteuse.» profèrent, l’une après l’autre, les voix off des sept acteurs, avant d’évoquer les anonymes interrogés dans La Misère du Monde de Pierre Bourdieu.
Chaque comédien va endosser une veste et un bonnet, qui dans le rôle du boxeur, qui dans celui du sociologue. « De quel milieu vient le héros ? », se demande les voix. Bien d’autres questions sont posées telles qu’on pourrait les formuler dans une enquête sociologique…
Plusieurs points de convergence entre les héros : Pierre Bourdieu pratiquait le rugby et Pierre Carles lui a consacré en 2001 un documentaire La Sociologie est un sport de combat… A Philadelphie, où dans Rocky 1 (1976) l’ « étalon italien“ triompha contre le champion du monde tout aussi fictif Apollo Creed, Pierre Bourdieu donne une conférence en 1986 devant les étudiants. Mais ici, ses mots s’emmêlent à ceux de son traducteur espagnol, au point de ne plus rien vouloir dire. Mise en boîte du sociologue et démontage de la fiction héroïque … Le scénario s’écrit devant nous en toute liberté et la pièce prend forme, subtil tissage de sens, jeux de rôles et figures codées. A l’écran, les images de Caroline Beuret se superposent : combat de boxe, textes savants, slogans et apparitions sporadiques des acteurs au travail. Et la musique de Pierre-Vincent Chapus impulse une chorégraphie aux déplacements du groupe.
Cette compagnie, fondée par Antony Quenet, poursuit ici avec talent un chemin amorcé depuis quelques années en milieu carcéral. Les comédiens avec une grande inventivité relève le pari exigeant de mêler ces univers disparates. Le public ne s’y trompe pas. Venus en nombre, les familles des détenus, les professionnels des établissements pénitentiaires et les amateurs de théâtre, unanimes, ont apprécié cette démarche singulière qui mériterait d’être diffusée.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 25 janvier, Théâtre Paris-Villette 211 avenue Jean Jaurès, Paris (XIXème). T. : 01 40 03 72 23.