La très bouleversante confession de l’homme d’après Emmanuel Adely, mise mise en scène Clément Bertani et Edouard Bonnet

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La très bouleversante confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté, d’après le roman d’Emmanuel Adely, mise en scène Clément Bertani et Edouard Bonnet

 Il y a cinq ans le magazine Esquire publiait l’interview d’un ancien soldat qui, sous couvert d’anonymat, reconnaissait avoir abattu «le plus grand ennemi de l’histoire des États-Unis d’Amérique et du monde libre ». Une opération menée par vingt-trois guerriers des temps modernes surentraînés, gavés dès leur naissance à la pop culture et aux jeux vidéo, que met en scène aujourd’hui le collectif NightShot. Avec la traque de la star n° 1 du Mal. L’histoire commence par l’effondrement des tours à New York. Elle se poursuit par la traque pendant dix ans du commanditaire de cet acte terroriste, puis par son assassinat au Pakistan. Un vrai succès et une revanche pour les Américains. Quelques temps après, ce militaire, de retour au pays, mais contraint au silence, a quand même raconté sous anonymat comment il s’est retrouvé devant l’homme le plus recherché.

Etrange actualité de ce spectacle qui résonne du récent assassinat télécommandé d’un général iranien respecté, ce qui a déclenché aussitôt une haine irrépressible envers les Etats-Unis. Nous sommes sur une base militaire devant un rideau en lamé qui s’ouvre par instants et où sont projetés des extraits d’images et films de guerre. «La famille, c’est la base, pour un vrai Américain! » Ils s’asseyent tous les six à table avec des drapeaux de leur pays, évoquent le désert afghan, jouent au ballon, attendent «la nation rouge Satan»,  évoquent «vingt-trois mecs qui aiment l’action. 60 000 dollars par an avec des prunes! » (…)  «Il s’est fait arracher les couilles, c’est de la bombe, cette mission!  Frères de combat, se branler ou pas. Ils ont choisi le bien pour sauver le monde libre! » Ils s’exercent à tuer. « Obama doit dormir, il doit se réveiller.  » La torture pour extorquer des aveux, nom de code de l’opération:Trident de Neptune. Ils sortent leurs armes: «On te dit que c’est juste, faut former l’équipe qui va accomplir la mission pour libérer la planète. »

Les hélices décollent et le public est ébloui par les lumières : «En quinze minutes, ils sont à la frontière entre Afghanistan et Pakistan, tous les gens s’achètent avec des dollars ! Tu es le maître de la vie et de la mort !» Sur l’écran, on voit une planisphère.  «On veut niquer le monde ensemble, cette histoire va nous rapporter du fric.» Issu du Théâtre Universitaire et du Centre Dramatique National de Tours, le dynamique collectif  Nightshot avec Clément et Pauline Bertani, Brice Carrois, Juliette Chaigneau, Laure Coignard, Julien Testard, Mikaël Tessié, a une démarche originale et fait preuve d’une grande maîtrise technique. Bref, un spectacle qui, sur ce thème de la guerre  menée à distance par une nation toute puissante, fascine à juste titre, le public.

Edith Rappoport

Le Monfort Théâtre, 106 rue Brancion, Paris (XV ème) jusqu’au 18 janvier. T. :  01 56 08 33 88.


Archive pour janvier, 2020

Works chorégraphie d’Emanuel Gat

Works chorégraphie d’Emanuel Gat

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Après un décevant  Story Water au festival d’Avignon 2018, (voir Le Théâtre du Blog),  cette création réserve de belles surprises. La musique, jouée alternativement sur scène ou enregistrée,  avec des morceaux de Richard Strauss, Jean-Sébastien Bach, Nina Simone, Emanuel Gat… permet de réaliser une explosion de figures dansées sophistiquées, jamais répétitives.

La chorégraphie, écrite avec les dix interprètes, collaborateurs de longue date d’Emmanuel Gat, est souvent éclatée : duos  et  trios émergent de mouvements d’ensemble. Et, alors que l’on suit un trio, un quatuor se développe à distance. On remarque aussi un beau solo féminin. «La chorégraphie, comme phénomène vivant, dit Emamuel Gat, surgit dans  un mouvement constant pour atteindre la stabilité et la perdre, pour la trouver à nouveau au sein d’une nouvelle constellation et d’une réorganisation d’éléments différents.»  Avec, au centre d’un espace vide, un couloir de lumière où sont exposés les danseurs qui sont le plus souvent à l’avant-scène, avec aussi, leurs ombres portées.

Works met en évidence la virtuosité des interprètes, tous justes et engagés dans cette exploration du mouvement. Non narratif, ce spectacle rythmé donne vie à de belles figures et parfois à des tableaux figés. Nous sommes restés un peu extérieurs aux signes gestuels que les danseurs se transmettent.  Mais ce kaléidoscope asynchrone a enthousiasmé le public de cette première….

Jean Couturier

Théâtre national de la Danse de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris  (XVI ème), T. : 01 53 65 30 00, du 8 au 11 janvier.
 L’Artiste et son monde, une journée avec Emanuel Gat, le 11 janvier de 10 h 30 à 17 h.

 

Comparution immédiate II: une loterie nationale? de Dominique Simonnot et Michel Didym

©Eric Didym

©Eric Didym

 

Comparution immédiate II : une loterie nationale? de Dominique Simonnot et Michel Didym

Journaliste au Canard enchaîné depuis treize ans, spécialiste des affaires judiciaires après avoir créé à Libération la chronique Carnets de justice, l’auteure est passée par la case prison… Jeune éducatrice au Service pénitentiaire d’insertion et de probation, elle a conservé un fort attachement au devenir des personnes incarcérés et à leur parcours personnel. Dès 2017, Michel Didym s’est emparé de ses Chroniques pour créer au théâtre Comparution immédiate : une justice sociale?

Deuxième volet dans les sous-sols de ce qu’on appelait « les flagrants délits », Comparution immédiate II : une loterie nationale ? interroge de nouveau (le metteur en scène tient à ce point d’interrogation) les conditions dans lesquelles sont traités les prévenus : arrêtés sur le fait, jugés par des tribunaux surchargés, accompagnés par des avocats commis d’office, leur personnalité et leur passé judiciaire sont souvent des paramètres à charge.

Dominique Simonnot a écumé les tribunaux de la région parisienne : Versailles, Bobigny, Nanterre, Paris… mais aussi ceux de Rouen, Toulouse, Bordeaux, Nancy, Toulon, Lille, Boulogne-sur-mer… Partout, la même fatigue des procureurs qui reçoivent parfois, en cours d’audience, de nouveaux dossiers à traiter ; le même humour désenchanté des présidents ; la même impréparation des défenseurs. Elle retranscrit (sans en modifier les dialogues),  ce que le spectacle nous laisse appréhender : l’immense désolation des prévenus. Tous jeunes, quelquefois étrangers, la plupart  du temps des hommes, qui combinent vie précaire, alcoolisme, chômage, petite délinquance, violences familiales et, bien sûr, récidives.

Mais dans ce qu’il faut bien appeler le cirque de la justice expéditive, le spectacle s’attarde sur chacun et, grâce à l’interrogatoire de personnalité, se fait alors jour une enfance maltraitée, l’absence de diplôme, la peine à s’exprimer et quelquefois des antécédents psychiatriques. Michel Didym a choisi Bruno Ricci pour incarner tour à tour président, procureur, avocat, prévenu et même parfois huissier. Il enchaîne ces comparutions avec une grande délicatesse de touche, quand se joue une vie en mois de prison, avec ou sans sursis. Dans ce tour de France, on sent bien qu’on n’est pas jugé de la même manière à Paris, Lille ou Nancy. Les sensibilités personnelles comme la fatigue du président et les plaidoiries plus ou moins inventives des avocats, se combinent alors pour faire tourner la roue de la Justice.

Marius, Aziz, Kevin, Laurent, Eric, Karim, Samy, Milos, Eddy, Aurélien, Noël… existent à travers leur vie ici concentrée autour d’un délit : cambriolages, trafic de shit, aide à l’immigration illégale, conduite sans permis, violences conjugales. Au passage, un «gilet jaune». Et ces trois jeunes filles qui attaquent des personnes âgées : en quelques minutes, défile l’engrenage des difficultés, ce qu’on pourrait appeler le pas de chance… En filigrane, transparaît la pauvreté de ces tribunaux qui incarnent pourtant la puissance de l’Etat : fuites d’eau, manque de personnels, absence de suivi des dossiers, auditions tardives, parfois jusqu’à trois heures du matin !

Sans compassion particulière envers les prévenus, ni volonté d’instruire à charge contre l’institution judiciaire, Dominique Simonnot comme Bruno Ricci donnent à chaque audition la qualité d’un petit théâtre humain où les plus démunis sont confrontés à des lois dont ils ne  peuvent assimiler les termes. Ou qu’ils ne respectent pas, pour arriver à survivre dans les marges que la société leur a ménagées. Dans quel état sortiront-ils de ces peines de prison qu’on leur signifie à coups de marteau ? Tel est le vrai sujet de Dominique Simonnot qui a eu le temps de se confronter à   l’indigence des systèmes de réinsertion….

Dans ce théâtre documentaire, l’acteur – central – est ici tous les hommes et donne à chacun ses raisons. Et lorsqu’il lit les lettres, poèmes ou textes écrits par des prisonniers dans un atelier d’écriture, leurs rêves et leurs désirs s’adressent à nous, à travers les barreaux…

 Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au 2 février, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).

Les 4 et 5 février, Théâtre de Grasse, 2 avenue Maximin Isnard, Grasse (Alpes-Maritimes).

Rosa Luxemburg Kabarett, texte et mise en scène de Viviane Théophilidès

 Rosa Luxemburg Kabarett, texte et mise en scène de Viviane Théophilidès

Crédit photo : Pascal Gély.

Crédit photo : Pascal Gély.

L’auteure, metteure en scène et comédienne pensait depuis longtemps à  recréer  la célèbre militante politique qui fut assassinée par les Spartakistes. Et il y avait eu déjà une première version de ce spectacle au festival d’Avignon 2017 (voir Le Théâtre du Blog). Viviane Théophilidès a dessiné un portrait intuitif de cette icône mythique révolutionnaire.

«Rosa Luxemburg, née à Zamosc, le 5 mars 1871, en Pologne alors annexée par l’empire tsariste, dut quitter Varsovie pour Zurich où elle fit de brillantes études et devint aussi membre du Groupe des pairs où se retrouvaient des émigrés révolutionnaires polonais. Parmi eux Léo Joguiches dont la rencontre marqua toute la vie privée et publique de Rosa (…). L’un et l’autre étaient juifs et  fondèrent « la cause ouvrière », que Rosa rédigeait avant de partir pour l’Allemagne en 1898. » Ainsi s’exprimait Jack Ralite (1928-2017), longtemps maire d’Aubervilliers, ancien ministre, fondateur des Etats-Généraux de la Culture, que cite la metteuse en scène.

Rosa s’oppose là-bas au militarisme allemand, se lie avec Karl Liebknecht qui fut assassiné avec elle. En août 1914, après le vote des crédits de guerre par les députés sociaux-démocrates, Rosa Luxemburg connaît un moment de désespoir dans sa lutte sans fin contre les «Obscurants». Elle aura fait, entre Pologne et Allemagne plusieurs séjours en prison: des résidences forcées où elle écrira ses ouvrages et ses fameux discours. Libertaire, opposée aux courants nationalistes, cette femme politique était curieuse du monde: art, histoire, économie, sciences, géologie, ornithologie, plantes….

Sur le plateau nu de théâtre, quelques accessoires : des couvertures, livres et objets… Les interprètes habités par l’Histoire, participent  à ce cabaret à l’allemande aux courtes scènes dialoguées, avec des chansons et sketches aux anachronismes délibérés. Comment prendre la mesure de l’influence qu’eut à l’époque cette icône politique ? L’auteure émue évoque sa ville originelle de Poissy (Yvelines) et la haine de son grand-père pour Pétain, un traître selon lui comparable à Hitler et Staline. Le spectacle passe du XX ème au XXI ème siècle et Viviane Théophilidès essaye d’élucider un présent qu’elle a du mal à comprendre et dont elle est déçue…

Les interprètes font résonner une partition originale, à la fois poétique et musicale selon les  arrangements précis de Géraldine Agostini aux claviers et au chant. Et la vivante et gaie Anna Kupfer chante en allemand, en yiddish, en tzigane ou en français. D’un poème de Mörike ou d’une mélodie de Hugo Wolf, on se laisse emporter par les chansons de Viviane Théophilidès, musique de Géraldine Agostini et de Jacques Labarrière, par une complainte yiddish ou les paroles de La Fête continue de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma, L’Hirondelle, un poème de Louise Michel et enfin par un chant tzigane bien enlevé. Entre mélancolie et sourire, Viviane Théophilidès réussit à nous émouvoir avec cette évocation du personnage historique qui participa aux mouvements ouvriers révolutionnaires …

 Véronique Hotte

Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs Paris (Ier), jusqu’au 1er février. T. : 01 42 36 00 50.

Anne, ma sœur Anne d’après La Barbe Bleue de Charles Perrault, texte et mise en scène de Jeanne Béziers

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Anne, ma sœur Anne d’après La Barbe Bleue de Charles Perrault, texte et mise en scène de Jeanne Béziers (à partir de huit ans)

La Barbe bleue, très ancien conte populaire, dont la version la plus célèbre est celle des Contes de ma mère l’oie (1697) de Charles Perrault qui inspira ensuite plusieurs opéras avec le premier, celui d’André Grétry (1789), puis celui de Jacques Offenbach (1866) et enfin de Bela Bartok. Jeanne Béziers avait, elle, créé une première version de cette comédie musicale en 2001. Au théâtre, il y eut Barbe Bleue, l’espoir des femmes (1999) de la dramaturge allemande Dea Loher et La petite Pièce en haut de l’escalier (2008)  écrite par la Canadienne Carole Fréchette. Et de nombreux films, dont un muet réalisé par Georges Méliès en 1901, La huitième Femme de Barbe Bleue, une comédie d’Ernst Lubitsch, puis Juliette ou la clé des songes de Marcel Carné (1951) et plus récemment, un film de Catherine Breillat (2009). Mais aussi un ballet de la grande Pina Bausch et… le nom d’un hôtel à Montréal. Trois siècles après, ce conte mythique reste solide! Et fait exceptionnel… adapté par quatre créatrices.

Un homme riche à la barbe dure et fournie donc bleue, ce qui le rend terrible a déjà été marié plusieurs fois mais personne ne sait ce que ses femmes sont devenues. Hélène, une voisine accepte de l’épouser mais un mois après, il lui annonce à qu’il doit voyager et il  lui confie un trousseau de clefs des portes du château dont un cabinet où il est strictement interdit de pénétrer.  Ce que, bien sûr, elle va faire  et découvrir… les corps accrochés au mur de ses précédentes épouses égorgées. Elle laisse tomber la clef qui se tache alors de sang, un sang qu’elle essayera en vain d’effacer… Barbe bleue revient et découvre qu’elle l’a trahi et il veut aussi l’égorger. Mais comme elle attend la visite de ses deux frères, elle le supplie de lui laisser un peu de temps. Il lui accorde un petit quart d’heure… Déjà le fameux: « Encore quelques minutes, monsieur le bourreau… »

Et sa sœur Anne, monte en haut d’une tour du château pour voir si leurs frères arrivent bien. Hélène lui demande s’ils viennent, avec les célèbres mots : « Anne, ma sœur »… qui ouvraient déjà le monologue de Didon dans L’Enéide de Virgile. Mais la pauvre aperçoit seulement «le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie ».  Mais Barbe bleue revient et décide d’égorger son épouse, après avoir affûté son grand couteau sur un pupitre de musique. Heureusement, les deux frères arrivent enfin et le tuent à coup de revolver. Juste récompense, elle héritera de toute la fortune du très riche Barbe Bleue, ce qui lui permettra de fournir une dot à sa sœur…

C’est un travail rigoureux avec une scénographie efficace signée Emilie Bazus faite de quelques petits meubles et accessoires: un lit d’enfant en fer forgé avec un gros édredon rouge bien entendu, dans le fond, une chaise devant un petit rideau aussi rouge, un fauteuil avec un petit lavabo-cuvette en émail où Barbe Bleue se maquille et met une barbe et une poitrine poilue postiches, un carré d’herbe avec une grande cage à oiseaux vide. Ce qui laisse de la place au centre du plateau.

Et il y a quelques belles trouvailles comme ce lustre de cristal aux petites lumières qui, par moments, se met à virevolter, comme pour traduire toute l’angoisse de la situation, des cadres de tableaux pour enfermer parfois le visage des chanteurs mais aussi un jet de poudre rouge pour figurer le sang, un miroir qui reflète un jet de lumière pour suivre Barbe Bleue en fuite dans la salle…

Les acteurs-chanteursPierre-Yves Bernard, Jeanne Béziers, Martin Mabz, Cédric Cartaut, Hélène Darriot et Barbara Galtier en alternance avec Isabelle Desmero font le boulot… Et le texte souvent rimé, écrit par Jeanne Béziers est drôle, souvent parodique, et bien écrit: “En attendant, embrassez-moi, dit Barbe Bleue à Hélène, vous m’avez l’air d’avoir froid. Venez donc frissonner dans mes bras, Venez mon ange ne reculez pas. Vous êtes si blanche, une reine des neiges, Balancez bien vos reins de rêve. Sous mon étreinte, vous êtes une enfant. Mon Dieu, vous pleurez, je n’en demandais pas tant. Venez donc frissonner dans mes bras Venez mon ange ne reculez pas. »

Mais désolé, le spectacle ne fonctionne pas vraiment à cause d’une mise en scène approximative et sans véritable rythme. Cela commence déjà mal avec des jets de fumigènes renouvelés par la suite, agrémentés de la fumée nauséabonde de cigarillos qu’elle aurait pu nous épargner… La dramaturgie est faiblarde: personnages esquissés et peu de dialogues, ce qui aurait été pourtant bien utile pour aérer une musique envahissante jouée trop fortement au piano à queue. Et on se demande ce que vient faire un régisseur-perchman silcencieux travesti en grande robe noire… Une citation de la mythique Classe morte de Tadeusz Kantor… avec un personnage presque identique, symbole de la Mort, armé d’un grand goupillon qui chasse les pauvres vieux… Et, faute d’une mauvaise balance, on entend mal les paroles des chansons souvent interprétées en force, et à la limite de la criaillerie chez les actrices. Il y a des longueurs dues en partie à un mauvais équilibre entre dialogues et chansons et une fausse fin: cela fait quand même beaucoup de défauts ou d’erreurs pour soixante-dix minutes.

« Nous, ce qu’on aime dans cette fable, dit la metteuse en scène, après avoir eu bien chaud, c’est la fraîcheur de l’ombre du Diable qui nous glisse le long du dos. Anne, ma sœur Anne est une histoire d’amour et de dévoration, d’innocence et de perversion, de liberté et de possession. L’équipe du spectacle expérimente depuis sept ans un théâtre tout public ambitieux et festif et créée des objets pluridisciplinaires.” Oui, bon, mais désolé, malgré ces bonnes intentions un poil prétentieuses et quelques bonnes idées, le spectacle reste sec et manque d’une véritable poésie. Et du côté: “inventivité́ jubilatoire”, « sacré profane, artisanal et magique” (sic),  il faudra repasser!
Alors, à voir? Pas sûr, et autant dire les choses, vous risquez d’être déçus, vous adultes comme vos enfants, par cette adaptation en comédie musicale du célèbre conte…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 février, Théâtre 13 Seine, 30 rue du Chevaleret, Paris (XIII ème). T. : 01 45 88 62 22. 

 

 

 

 

Cunningham, un film d’Alla Kovgan

Cunningham, un film d’Alla Kovgan

cunningham-changeling-c-richardrutledge-5db2f4cc6a220  » Je n’avais pas pour objectif, de faire un «biopic» sur Merce Cunnigham », dit la réalisatrice. Elle s’est focalisée sur les trente premières années de la longue carrière du chorégraphe : «Il s’est produit sur scène jusqu’à quatre-vingt ans passés. J’ai voulu le montrer à la fleur de l’âge et dans l’inquiétude de ces années de survie financière et psychologique ». Il aura fallut sept ans à la cinéaste pour réaliser ce documentaire en 3D avec archives d’époque et reprises de pièces-phares créées entre 1942 et 1972, remises en scène par Jennifer Goggans et Robert Swinston, membres de longue date de la Merce Cunningham  Compagny.

«Notre but, dit Alla Kvogan, n’était pas seulement de filmer la danse mais de traduire les idées de Merce en cinéma ». Un montage inventif, avec quatorze extraits de chorégraphies revisitées aujourd’hui et des interviews de Merce Cunningham et d’artistes associés à ses spectacles, dont le compositeur John Cage qui fut son compagnon de route et le peintre David Rauschenberg. S’y ajoutent des images d’archives avec des scènes captées au quotidien de la troupe : répétitions, extraits de spectacles, images de tournée en minibus à travers les Etats-Unis. Des archives articulées entre elles sur le mode du collage et qui, incrustées, se répondent, ce qui donne un rythme enlevé au film.

Nous revivons pas à pas les aventures de ces pionniers de l’art contemporain nord-américain.  Dans l’intimité d’un studio de répétition, le chorégraphe, plutôt timide, montre plus qu’il n’explique : «Je ne décris pas ma danse, je la fais », dit-il à ses interprètes. On l’entend parfois sans le voir : de temps en temps, il enregistrait ses réflexions sur un petit dictaphone, soucieux de l’héritage qu’il laisserait. David Rauschenberg, lui, raconte les dessous de la création de Summerspace (1958) : «J’ai créé une sorte de camouflage et, si un danseur hésitait, il pouvait se perdre dans le décor.» Et sous nos yeux, les interprètes d’aujourd’hui, en collants académiques multicolores, se fondent dans les taches du sol et du fond de scène. On entend aussi Andy Warhol parler de Rain Forest (1968) avec ces gros et mémorables oreillers argentés qu’il avait conçus pour flotter au-dessus des danseurs : ici la réalisatrice nous présente un extrait de l’époque en noir et blanc puis une reconstitution actuelle.

Certains plans ont été tournées à l’extérieur dans des lieux insolites : Winterbranch (1964) la nuit sur le toit de l’immeuble de Westbeth qui a abrité le studio Cunningham pendant quarante ans ;  Rune (1944) au cœur d’une forêt de pins et Song (1944),  l’un des premiers solos du maître, dans un tunnel en Allemagne. La plupart des  interprètes engagés pour le film ont appartenu à la dernière génération de la Merce Cunningham Company et  peuvent ainsi  assurer une transmission directe. La prise de vue, avec une seule caméra, fonctionne très bien pour la 3D : elle privilégie de longs plans-séquences dans l’espace chorégraphique et nous pénétrons alors dans l’action. Il a fallu un an de montage pour réaliser Cunningham, architecturer les scènes de danse et superposer les séquences d’archives.

 Mais le  résultat est là, vivant, émouvant… Et ce film ouvrira sans doute les portes de la danse contemporaine à un plus vaste public qui verra ici le travail de ce grand artiste souvent réputé difficile d’accès. «J’ai cru au départ que c’était un créateur très élitiste et un peu snob, constate Alla Kovgan, mais je me suis aperçue qu’il se préoccupait vraiment des spectateurs.» Merce Cunningham lui-même le disait : «Nous n’interprétons, pas quelque chose, nous le présentons, l’interprétation est laissée au public. »

Mireille Davidovici

Durée du film : 93 minutes. Actuellement dans les salles mais attention: il n’est projeté en 3D que dans certains cinémas.

 

Faire son temps exposition de Christian Boltanski

Faire son temps exposition de Christian Boltanski

«J’essaye, dit l’artiste, dans mon théâtre comme dans mes expositions, de fabriquer des lieux d’errance». Il nous entraîne ici dans une déambulation à travers son œuvre, de 1967 à aujourd’hui… De pièce en pièce, de l’ombre à la lumière, on pénètre dans un univers de souvenirs, fait d’objets personnels ou anonymes, de photos fixant des instants de vie de l’artiste ou d’inconnus…Ces histoires, le visiteur peut se les raconter, en suivant ces traces accumulées sur des séries de boîtes en fer blanc, exposées dans des vitrines, agencées sur des châssis ou derrière des voilages, véroniques fantomatiques où s’impriment des visages estompés…

Christian Boltanski a toujours eu partie liée avec théâtre, depuis sa première exposition au Théâtre du Ranelagh à Paris en 1968 : avec, à côté de marionnettes grandeur nature, un film intitulé La Vie impossible de Christian Boltanski. Par la suite, il réalisera quelques courts-métrages fantastiques dont L’Homme qui tousse qui ouvre Faire son temps. «Le théâtre m’a appris à faire des choses qui ne soient que racontables», dit-il  et il admet volontiers une filiation à Bob Wilson, Tadeusz Kantor ou Pina Bausch, dans ses «spectacles d’images». «Le son, le froid, l’odeur sont des éléments importants pour moi. »En tout cas, la dernière partie de mon œuvre tient beaucoup de ces expériences théâtrales. » Et il fait la part belle aux éclairages comme aux sons que l’on entend surgir au détour des allées et venues : battements de cœur humain, chants de baleines, aboiements …

réserve: les suisses morts

réserve: les suisses morts

Il a toujours fabriqué des fictions à partir d’images, objets, livres dont il veut montrer la banalité mais qui, tels des reliques, sont aussi empreintes d’une forte charge affective. Les boîtes à biscuits en fer blanc (1969) par exemple, deviendront, à partir de 1986, un élément essentiel de son vocabulaire plastique.

On les retrouve ici dans plusieurs salles. Dans Réserve : Les Suisses Morts (1991), elles sont empilées à contre- jour, devant une baie vitrée du musée, de façon à  créer une ville de gratte-ciels en marge de l’exposition. Sur chaque boîte, la photo d’un défunt, publiée dans les pages nécrologiques du journal suisse Le Nouvelliste.

On voit ces mêmes boîtes, avec des portraits d’ouvriers, venus des archives de la mine du Grand-Hornu en Belgique. Ce Registre du Grand-Hornu (1997) accompagne Le Terril Grand-Hornu (2015) fait d’une montagne de manteaux noirs. Avec ce même art de la mise en scène, il y a dans Les Tombeaux, des cercueils couverts de tissu noir posés à différentes hauteurs, éclairés par des ampoules à filament et sur les murs de la salle, des voiles noirs masquent des photos, si toutefois, on a la curiosité de les soulever…

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Nous pénétrons dans un monde spectral où Christian Boltanski questionne la frontière entre absence et présence et où il entend orchestrer sa propre disparition: «Plus on travaille et plus on disparait, et plus on devient son œuvre.» Ce sont des légendes, mais elles sont créées par quelqu’un dont on ne se souviendra plus.»  Et l’artiste, né à Paris en 1944 d’une mère catholique et d’un père juif ayant passé la guerre caché sous le parquet, raconte une fois de plus son histoire une mythologie personnelle qui parle à tous  : « On est montreur, on n’est que montreur, on n’a plus de vie, tout comme un acteur de théâtre.» Il faut le suivre dans cette plongée sensible et ludique où la mémoire individuelle se fond dans la mémoire collective.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 14 mars, Centre Georges Pompidou, place Georges Pompidou, Paris (IV ème). T. : 01 44 78 12 33.

Du 10 au 12 janvier Fosse, spectacle de Christian Boltanski, Jean Kalman, Frank Krawczyk.

 

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