La Bouche pleine de terre de Branimir Scepanovic, mise en scène de Julia Vidit

La Bouche pleine de terre de Branimir Scepanovic, traduction de Jean Descat, adaptation de Guillaume Cayet, mise en scène de Julia Vidit

 

©Elisabeth Carecchio

©Elisabeth Carecchio

Dans les montagnes monténégrines, un homme détaché de la vie, se prépare à la quitter… Il descend du train avant l’arrêt prévu et s’avance dans l’obscurité: «Désemparé, parmi les rails, les tonneaux de goudron et les coffres de bois, il avait eu raison de céder au désir de s’enfuir dans la nuit, le plus loin possible des hommes et de tout de qui aurait pu, ne fût-ce qu’un instant, le pousser à chercher aide ou consolation. Il voulait fuir au hasard, s’éloigner du monde, jusqu’à ce qu’il fût tout à fait certain d’en être tout à fait détaché. Mais il ne cédait ni à la haine ni à l’envie. »

 Il voulait ne pas subir d’humiliation, ne pas réclamer aucune compassion ou même l’accepter: «A mesure qu’il s’enfonçait dans la nuit, poussé par le désir d’aller mourir, comme une bête à l’agonie, en quelque endroit silencieux et désert, il s’efforçait de s’habituer peu à peu à une pensée secrète qui, tout d’abord, lui avait fait peur et honte : ce qu’il avait de mieux à faire, c’était le courage de se donner lui-même la mort… » Le marcheur s’arrête, haletant dans l’aube naissante : dans la masse sombre de la forêt  et face aux cimes dentelées d’une montage qui ressemble à la Prékornitsa, celle de son enfance où il avait déjà pensé à la mort comme délivrance. Il allait réaliser cette idée : se pendre à un arbre ou bien tomber dans un précipice: «Il n’en éprouvait ni peur ni désespoir. Il se sentait tranquille, en parfait accord avec lui-même : il inspirait profondément l’air frais et écoutait les oiseaux invisibles qui chantaient au-dessus de lui, dans les hauteurs du ciel. »

 Vivre et mourir, en goûtant jusqu’à la fin, la beauté paisible d’un paysage consolateur : tout lui semblait plus beau et plus réel, personne ne pouvait lui vouloir du mal… Mais deux campeurs qui viennent chasser ici comme tous les étés, sentent que, dans la brume matinale, le paysage a imperceptiblement changé depuis la saison passée : l’herbe est humide, la forêt, violette  et qu’il y a des ondulations bleutées sur les rives abruptes de la rivière. Ils perçoivent aussi qu’une présence trouble l’harmonie et la pureté familières. Les chasseurs, traquant une proie, ont vu le solitaire partir au loin et décident de le suivre pour se rappeler à lui, le convaincre de leur bonne foi. S’ensuit alors une course folle aux intentions nobles mais  qui va basculer dans le trouble. Cette battue humaine de plus en plus farouche, vire à l’incompréhension et à la haine. Récit fantastique, absurde ou réaliste, entre allégorie, roman ou conte… Avec cette prose poétique sur la nature, l’écrivain serbo-croate Branimir Scepanovic décrit le berceau d’une enfance mais aussi les voies d’accomplissement de soi dans une ville, puisque l’homme malade est un chercheur en chimie. Nostalgie de temps radieux, mélancolie et déception, proximité de la mort: l’écrivain explore les thèmes éternels de la fuite, du suicide et du salut.

La mise en scène de Julia Vidit est inventive. Et le scénographe Thibaut Fack a imaginé un cône immense de métal étincelant qui n’en finit pas de tourner de façon énigmatique. Et rehaussé par les ombres et lumières conçues par Nathalie Perrier. Ce cône, dont la pointe est rivée à un anneau, à la manière d’une lourde structure transversale d’un pont de navire, roulante et grinçante. Il pourrait signifier les hauteurs mystérieuses des cimes, la profondeur de lacs, des perspectives rondes et ciselées, un toit de ciel bleu… Sur les parois rondes de ce cône, des images vidéo du dessinateur et vidéaste Etienne Guiol. Une figure humaine gît sur le sol, parvient à se relever, tonique. Telle une anamorphose vivante qui aurait une étonnante capacité de transformation.

Le public suit cet homme qui s’enfuit au bout de lui-même. Le récit, à la trame poétique, est à la fois, une exploration sentie d’un paysage et de soi-même. Portée physiquement et symboliquement par Laurent Charpentier à la voix grave et profonde qui s’est engagé dans l’écriture de La Bouche pleine de terre  et qui a une parole hallucinée  déclamée avec clarté et sensibilité. Et il s’astreint à une discipline corporelle pour faire rouler ce cône scintillant. Une métaphore de la vie qui va et vient, avec ses douleurs mais aussi ses plaisirs : un cheminement ardu dont on ne finit pas de suivre les méandres mais dont on se relève. L’acteur prend en charge la présence des chasseurs qui regardent, étonnés, cet homme fier, en partance et qui les ignore. Et Marie-Sohna Condé, majestueuse et digne, raconte la solitude de l’être condamné.  Un duo parfait pour un jeu de cache-cache,  autour d’une corne d’abondance insolite, une randonnée au cœur des paysages montagneux des Balkans mais aussi dans les hauts et les bas de toute existence.

 Véronique Hotte

 Studio-Théâtre de Vitry (Val-de-Marne), du 17 au 20 janvier.

La Comète-Scène Nationale, Châlons-en-Champagne (Marne), les 23 et 24 janvier.
Le Carreau-Scène nationale de Forbach (Moselle), le 13 février.
Pont des Arts, Cesson-Sévigné (Ile-et-Vilaine), les 24 et 25 mars.
La Manufacture, festival RING, Centre Dramatique National de Nancy (Meurthe-et-Moselle) les 6 et 7 avril. Théâtre-Scène conventionnée d’Auxerre (Yonne), le 16 avril.
Espace Bernard-Marie-Koltès, Metz ( Moselle), les 28 et 29 mai.
Printemps numérique, Centre Dramatique National de Reims (Marne), le 5 juin.
Espace 110, Illzach (Haut-Rhin), le 3 octobre.

 

 

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