Nijinski ou La dernière Danse du dieu bleu, d’après Les Cahiers de Nijinski,mise en scène de Flavia Lorenzi
Nijinski ou la dernière Danse du dieu bleu, d’après Les Cahiers de Nijinski, traduction de Christian Dumais-Lvowski, mise en scène de Flavia Lorenzi
Le 5 décembre 1913, l’immense danseur écrit à Gabriel Astruc qui, en 1909, avait mis en place la première saison des Ballets Russes au Théâtre du Châtelet: «Prière de communiquer aux journaux que je ne travaillerai plus avec Diaghilev.» Première fracture dans la carrière de cet artiste exceptionnel. Et, en 1919, survient une deuxième fracture : à Saint-Moritz, il déclare devant un public surpris et effrayé: «Je vais vous montrer comment, nous, les artistes, vivons, aimons, souffrons, comment nous créons nos œuvres.» Le soir-même, Vaslav Nijinski commence ses Cahiers, un journal intime bouleversant qu’il écrit en trois mois. Quelques semaines plus tard, il est interné dans une clinique psychiatrique en Suisse.
Ses écrits révèlent alors aux psychiatres, puis au grand public, son supposé désordre schizophrénique. Plusieurs scientifiques ont analysé le cas de Vaslav Nijinski dont le parcours de vie présentait déjà un décalage par rapport à la normalité. Ces Cahiers serviront de modèle pour la description de la schizophrénie par le psychiatre Alfred Adler qui en préfacera la première édition (1936). Une pathologie décrite en 1911, par le psychiatre suisse Eugène Bleuler : folie réelle ou induite par les traitements de l’époque? Un bon sujet de thèse… Le danseur a subi deux cent-vingt quatre injections d’insuline équivalant à des électrochocs de façon à le placer dans un coma hypoglycémique !
Nijinski ou La dernière Danse du dieu bleu est une adaptation des Cahiers dans une nouvelle traduction*. Flavia Lorenzi et son acteur Arman Saribekyan nous présentent le parcours exceptionnel d’un artiste hors normes et parfois visionnaire : «On m’a dit que j’étais fou, je croyais que j’étais vivant.» Devant un simple rideau de fond, le comédien du Théâtre du Soleil incarne parfaitement les mots et les maux du danseur, avec, pour seuls accessoires, une chaise et une petite table de maquillage. Accompagné par des extraits de musiques d’Igor Stravinsky et de Frédéric Chopin, il nous emporte en une heure et sans caricature, dans la vie de Vaslav Nijinski.
Le public découvre ses relations : conflictuelles avec son amant et mentor Serge de Diaghilev, et ambiguës avec sa femme, Romola qui a récupéré ses textes après son internement. Par ailleurs, il avait un lien avec Dieu qu’il considérait comme son égal et il signera ses Cahiers : «Dieu et Nijinski, Saint-Moritz-Dorf, le 27 février 1919.» Et il parle aussi de son art : «J’ai montré en dansant, trop de nervosité. Mais c’est exprès, le public me comprend mieux quand je lui apparais vibrant. La placidité chez un artiste est loin d’avoir son agrément.» Il évoque enfin sa sensibilité : «Il arrive à des charretiers de fouetter leur bête à mort.» «Le cheval tomba et moi, tout bouleversé, me retins de sangloter tout haut. Je m’apitoyais donc en silence.» Nous sortons de ce spectacle, touchés par cette existence dépeinte à cœur ouvert. Un beau travail théâtral…
Jean Couturier
Jusqu’au 9 février, Théâtre du Soleil, Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). Métro : Château de Vincennes + courte navette gratuite. T. : 01 43 74 24 08.
Les Cahiers de Nijinski, traduction de Christian Dumais-Lvowski, sont parus en 2.000 chez Actes-Sud.